[Archives] Clôture la conférence internationale "Paris, Place de Droit"

Publié le 16 novembre 2005

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux

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Monsieur le Ministre, cher Michel Aurillac,
Monsieur le Premier Président,
Monsieur le Bâtonnier,
Madame le Bâtonnier,
Monsieur le Juge,
Monsieur le Vice-Président,
Mesdames et Messieurs,


Le droit, la pratique juridique en général, sont désormais des enjeux stratégiques majeurs dans une société mondialisée devenue le cadre des échanges économiques.

Le droit est aujourd’hui appréhendé comme un moyen permettant de gagner des parts de marché et de s’assurer des positions d’influence durables dans le monde des affaires.

Dès lors, les caractéristiques propres aux différents systèmes de droit sont évaluées avec beaucoup plus d’attention que par le passé. Ils sont mis en concurrence, afin de mesurer leur capacité à répondre aux besoins des différents acteurs économiques. Par conséquent, l’attractivité juridique est une condition de notre attractivité économique.

La France ne peut pas, bien évidemment, se tenir à l’écart d’une réflexion approfondie sur cette nouvelle donne.

Elle doit au contraire adapter son droit aux conditions d’un monde qui change et le remettre en cause chaque fois que cela est nécessaire. Elle doit le faire sans complaisance, certes, mais aussi sans hésiter à mettre en avant ses domaines d’excellence.

Je pense en effet que notre pays, par l’ancienneté de sa tradition juridique, a des arguments sérieux à faire valoir dans la constitution de nouveaux points de référence au sein de la communauté internationale du droit.

C’est la raison pour laquelle je veux remercier le bâtonnier BURGUBURU et toute son équipe d’avoir pris l’initiative d’organiser cette manifestation dans notre capitale. Elle a permis de mieux éclairer les termes d’un débat, il est vrai déjà largement engagé, mais dont les bases méritent d’être périodiquement revisitées avec un œil critique. Cette mobilisation de tous les acteurs de la place juridique de Paris n’est pas la marque d’une prise de conscience tardive. Elle est au contraire un moyen d’imaginer comment le droit français peut accroître sa vitalité.

J’observe que c’est d’ailleurs bien dans cet esprit qu’a été choisi le thème qui a servi de fil conducteur à vos travaux et qui fait écho aux attentes exprimées lors de la conférence qui s’est tenue l’an dernier à Washington. Je veux parler de la convergence du droit.

Je suis intimement persuadé que la société du droit mondialisée doit s’appuyer sur la convergence et de ne pas céder à la tentation de l’uniformisation. C’est la voie que nous avons choisie avec nos partenaires européens et je suis convaincu qu’il s’agit d’une voie d’avenir.

Convergence en lien avec le développement, convergence et harmonisation dans les processus d’élaboration de la loi européenne, convergence et globalisation enfin dans le monde des affaires… Toutes ces problématiques illustrent bien ce qui me paraît être la réalité actuelle de la situation du droit dans la communauté internationale. Les traditions juridiques, en vérité, se croisent, se complètent les unes par rapport aux autres, bref, se métissent.

L’évolution du droit, le niveau de développement et les modalités d’application de la loi sont autant de facteurs qui déterminent les institutions appropriées à un pays. Nul droit n’est par essence supérieur aux autres. Il revient à chaque Etat de préserver ses traditions juridiques, tout en permettant à son propre droit d’évoluer en s’inspirant des expériences étrangères.

J’ai la conviction qu’il serait très dommageable que certains pays, encouragés par des recommandations établies sur des bases scientifiques contestables, soient amenés à calquer strictement leur système sur l’une ou l’autre des deux grandes traditions juridiques et à renoncer ainsi à l’ambition légitime de trouver leur propre chemin. L’idée de convergence paraît donc la plus pertinente, comme le montre l’exemple de l’OHADA, qui a su faire œuvre originale, tout en s’inspirant des points forts de plusieurs systèmes.

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Chaque modèle juridique conserve sa pertinence. Cela vaut naturellement aussi pour notre droit.

Les praticiens en connaissent bien les avantages : accès facilité à la justice et faible coût des procédures, contrats simples et peu coûteux, atouts dans le domaine de l’arbitrage, du partenariat public-privé, du droit financier et de la gouvernance d’entreprises …

Par ailleurs, comme l’ont montré les travaux menés à l’occasion de la célébration du bicentenaire de notre code civil, le droit français possède une forte capacité à évoluer pour s’ajuster aux contraintes d’un monde lui-même en constant changement.

Depuis 2002, notre pays a mis en oeuvre un programme ambitieux pour renforcer l’attractivité économique de notre pays.

Cela nous a conduit à moderniser notre droit financier et la gouvernance des entreprises, à améliorer l’expérience dite du « guichet unique », qui permet d’effectuer l’ensemble des formalités de création d’une entreprise auprès d’un seul point d’entrée et d’immatriculer une société en moins de deux semaines. N’hésitons pas à le dire, les exemples étrangers nous ont aidé. Mais il n’a jamais été question de changer les fondements de notre droit économique.

Nous avons également réformé notre droit des sociétés, par les ordonnances du 25 mars 2004 et du 24 juin 2004, en unifiant le régime des valeurs mobilières.

Les lois du 13 mars 2000 relative à la signature électronique et du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, ainsi que par l’ordonnance du 16 juin 2005, nous ont permis d’adapter notre droit des contrats au commerce électronique.

Nous avons également rénové notre droit des procédures collectives afin de donner une plus grande sécurité juridique et économique à nos entreprises. Nous avons aussi développé le recours aux modes alternatifs de règlement, qui devraient prochainement faire l’objet d’une directive européenne.

Dans le domaine de l’arbitrage, les démarches pour obtenir l’exequatur d’une sentence arbitrale sont désormais extrêmement simplifiées.

Nous allons encore améliorer l’efficacité et la célérité de la justice, en modernisant la procédure civile.

Enfin, nous réfléchissons, en matière civile, à une réforme du droit des obligations et du droit de la prescription afin d’en moderniser les règles. La refonte du droit des sûretés qui modifierait en profondeur les gages, cautions et hypothèques, est également envisagée ainsi que l’introduction en droit français des actions collectives ou de la fiducie.

Bref, nous ne cessons d’ajuster notre « modèle » français.

J’observe que ce modèle suscite toujours, et à juste titre, un très grand intérêt. Près de 60% des pays dans le monde se sont dotés d’un système juridique de droit écrit. Il mérite que nous en fassions une promotion encore plus active.

Dans quelles conditions ?

Le rayonnement du droit français passe, à mon sens, par la promotion de nos pôles d’excellence, la multiplication des échanges au sein de la communauté des juristes, l’exportation de notre savoir-faire et de nos techniques, et le développement à l’international des avocats et des juristes français.

Le dynamisme et le développement international des cabinets français sont en effet essentiel pour accompagner l’implantation de nos entreprises à l’étranger.

Aujourd’hui, près de 1 500 avocats sont inscrits à la fois au barreau français, principalement au barreau de Paris, et à un barreau étranger. Faire de Paris une véritable place de droit, c’est aussi œuvrer à la promotion internationale des cabinets d’origine française.


Il faut donc que nous poursuivions les réflexions engagées tant au niveau national qu’européen pour faire évoluer les structures d’exercice de la profession, afin de les rendre plus compétitives. Je souhaite également que la fiscalité soit un moteur, et non un frein, à l’exportation de nos cabinets d’avocats.

Je vais poursuivre, avec mon collègue du budget, la réflexion sur la répartition des charges liées aux activités hors de France, afin de tenir compte des délais pour implanter durablement un cabinet d’avocats à l’étranger.

La place de la France sur le marché du droit doit être reconquise, car nous avons été jusqu’à présent un peu trop timides. Il nous appartient de mieux promouvoir l’attractivité du droit français auprès des opérateurs économiques du monde entier.

Notre stratégie de reconquête du marché du droit est différente de celle de nos concurrents, notamment dans le domaine de la coopération avec des pays tiers.

Il ne nous paraît pas souhaitable, en effet, de proposer des solutions clés en main, qui ne sauraient être élaborées hors de leur contexte culturel. J’entends promouvoir un cadre juridique qui a fait ses preuves, et que chaque pays pourra, en toute liberté, adapter à ses propres besoins.

Je veux renouveler la promotion du droit français sur ces bases, en mettant l’accent sur le pragmatisme : il faut incorporer des « bonnes pratiques ».

Je souhaite enfin privilégier une approche scientifique rigoureuse, afin de mieux faire connaître les avantages du droit français. C’est dans cet esprit que la communauté juridique et économique française s’attache, depuis juin 2004, sous la présidence de Monsieur Philippe BOURGUIGNON, à mieux informer les opérateurs économiques étrangers sur les domaines d’excellence de notre droit, grâce à un programme de recherches international centré sur l’attractivité économique de notre droit.

Ces travaux trouveront évidemment leur prolongement au sein de la Fondation que le Président de la République a appelé de ses vœux lors la célébration du bicentenaire du Code civil à la Sorbonne. Je suis déterminé à la mettre en place avant la fin de cette année.

En effet, ce nouvel instrument est à mes yeux indispensable pour coordonner et faire converger les initiatives privées, mais aussi publiques, en faveur du rayonnement de notre droit continental. Un tel partenariat, dont la gouvernance de la fondation sera le reflet, permettra aussi de montrer à l’ensemble de nos partenaires internationaux que la communauté française du droit est entièrement mobilisée pour valoriser une tradition d’excellence et une expertise adaptée à des environnements très divers, utiles au monde du droit et de l’économie.


Mesdames, Messieurs,

La période que nous vivons nous impose de nouveaux défis. La concurrence économique entraîne presque naturellement une concurrence accrue entre les systèmes juridiques. Les besoins des différents acteurs de la scène économique sont de plus en plus ciblés et il ne fait guère de doute qu’aucun modèle, quel qu’il soit, ne peut les satisfaire dans leur entier. L’uniformisation ne saurait donc être une réponse crédible voire même, plus simplement, efficace.

Il revient donc à chacun, à partir de ses traditions et de ses références culturelles propres, d’imaginer les solutions les mieux adaptées à un contexte en constante évolution. De ces expériences et des succès qu’elles auront fait naître, il sera possible alors de faire converger les concepts qui serviront de fondements à une vision nouvelle de la communauté juridique internationale.

L’ambition de la France est de prendre toute sa part dans les évolutions qui s’annoncent. La mondialisation juridique doit se traduire par un progrès pour tous les systèmes de droit dans le respect des traditions nationales.

Je vous remercie de votre attention.