[Archives] Loi Prévention et répression des violences au sein du couple

Publié le 13 décembre 2005

Discours Assemblée Nationale lors de la première lecture de la proposition de loi

Temps de lecture :

7 minutes

Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,


Une femme sur dix est victime de violences conjugales. Tous les quatre jours, une femme meurt de ces violences. Ces chiffres sont inadmissibles.

Conscient de ces drames, la Justice a fait de la lutte contre les violences au sein du couple une de des priorités.

Je ne peux donc que me féliciter de l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale de la proposition de loi sénatoriale renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple.

Cette proposition de loi, adoptée par le Sénat le 29 mars 2005, fait suite au plan « Dix mesures pour l’autonomie des femmes » présenté en conseil des ministres le 24 novembre 2004.

Avant d’examiner le contenu de ce texte, ainsi que les principaux amendements que votre commission des lois vous proposera d’adopter, je voudrai en quelques mots rappeler la mobilisation et la sensibilisation des juridictions en cette matière.

Le ministère de la Justice, en liaison avec les autres départements ministériels concernés, et avec les associations, est intervenu à plusieurs reprises ces dernières années pour améliorer l’efficacité de la réponse judiciaire contre les violences conjugales.

Le volume du contentieux des violences au sein du couple ne doit pas, pour autant, conduire les parquets à automatiser la réponse pénale.

Derrière chaque violence, il y a des femmes, des hommes et des enfants qui souffrent.

C’est la raison pour laquelle, le ministère de la justice a élaboré et diffusé l’année dernière le guide de l’action publique sur la lutte contre les violences au sein du couple.

Ce guide, qui est consultable sur le site Internet du ministère de la Justice, formule de nombreuses préconisations.

Elles portent sur la révélation des faits, avec notamment la création d’un protocole de recueil de la plainte.

Elles portent également sur l’élaboration des procédures, en donnant par exemple des précisions sur les protocoles de rédaction des certificats médicaux et sur les conditions de prise en compte de la situation des enfants du couple.

Elles concernent aussi les réponses pénales, en rappelant la possibilité d’éviction du conjoint ou concubin violent du domicile familial à tous les stades de la procédure ainsi qu’à l’élaboration d’un protocole de recours à la médiation pénale.

La Direction des affaires criminelles et des grâces participe ainsi aux travaux interministériels en cours relatifs à l’élaboration par le ministère de la Parité et de l’Égalité professionnelle d’un précis sur les droits des femmes, récapitulant l’ensemble des dispositions législatives existantes.

Lors de la journée de la femme le 8 mars dernier, le ministère de la justice a diffusé sur les chaînes hertziennes le film « Plus d’une femme par jour », contenant des images choc et un message engagé (« Réagissons avant qu’il ne soit trop tard »).

Enfin, dans le souci de protéger les victimes comme de responsabiliser les auteurs de violences conjugales, de nombreuses pratiques innovantes sont mises en œuvre par les parquets.
Je peux ainsi citer un projet de centre de traitement des auteurs de violences conjugales ou l’obligation pour les auteurs de participer à des groupes de parole composés d’un sociologue, d’un psychologue et d’autres auteurs.

C’est donc dans ce contexte qu’intervient la proposition de loi examinée aujourd’hui, qui présente le très grand mérite d’améliorer sur de nombreux points les dispositions législatives existantes, afin de mieux prévenir et de mieux réprimer les violences au sein du couple ou les atteintes dont peuvent être victimes les femmes.

J’examinerai donc les dispositions de ce texte en distinguant ces deux objectifs de prévention et de répression.

*

*   *

A. Participe évidemment de cet objectif de prévention le relèvement de l’âge du mariage des femmes de quinze à dix huit ans.

Ce relèvement est une question ancienne qui a longtemps opposé les partisans de l’égalité à ceux qui pensaient nécessaire de reconnaître dans la loi une certaine précocité féminine ou à tout le moins une réalité sociologique selon laquelle les femmes se marient en général plus jeunes que les hommes. Il s’agit également d’une question importante puisque est en jeu le principe fondamental de la liberté du mariage.

Le moment est venu de mettre un terme à ces débats. Les motifs qui historiquement expliquaient la différence d’âge entre hommes et femmes sont aujourd’hui dépassés.

Dans la perspective de la lutte contre les mariages forcés qui rassemble aujourd’hui le Gouvernement et la Représentation Nationale, la fixation à dix huit ans de l’âge légal du mariage permettra de protéger certaines jeunes filles du risque d’être mariées contre leur consentement.

Dès lors, je me félicite de la modification de l’article 144 qui permettra à la France de rejoindre sur ce point la quasi totalité de ses partenaires européens.

Désormais, la célébration du mariage d’une mineure ne sera plus subordonnée au seul accord des parents. Elle supposera que le Procureur de la République accorde une dispense pour motifs graves.

Nous aurons l’occasion de revenir au cours de la discussion sur le problème des mariages forcés et sur les excellentes propositions formulées par la mission d’information sur la famille et reprises par votre commission pour lutter contre ce phénomène.

B. Ce même objectif de prévention justifie de favoriser les mesures tendant à l’éloignement du conjoint ou du concubin violent du domicile familial.

Depuis la loi du 26 mars 2004, l’article 220-1 du code civil prévoit désormais une telle éviction dans le cadre ou en vue d’une procédure de divorce.

Cet objectif avait conduit le Sénat à compléter le code pénal et le code de procédure pénale afin de faciliter cet éloignement à tous les stades d’une procédure devant les juridictions répressives.

Cette disposition, du fait de son importance, a été reprise, à l’initiative de l’Assemblée nationale, dans la loi du 22 novembre 2005 relative au traitement de la récidive en matière pénale. Elle n’a donc plus de raison de demeurer dans la présente proposition de loi.

Votre commission propose donc d’y substituer une disposition permettant, la révocation du contrôle judiciaire des conjoints ou concubins qui n’ont pas respecté l’obligation d’éloignement, ou en faisant en sorte qu’après leur condamnation à un sursis avec mise à l’épreuve, le service chargé de contrôler l’exécution de cette peine soit le même qui celui étant intervenu dans le cadre du contrôle judiciaire. Je suis évidemment tout à fait favorable à ces améliorations.

J’en viens maintenant aux dispositions de nature répressive.

A. Le renforcement de la répression résultant des dispositions des articles 1er, 2, et 3 de la proposition de loi consiste en une amélioration notable des dispositions prévoyant des circonstances aggravantes en cas de violences au sein du couple.

Seront ainsi aggravées non seulement les violences commises contre le conjoint ou le concubin, comme c’est le cas depuis la réforme du code pénal, mais également les violences commises par des anciens conjoints ou anciens concubins, ce qui correspond, malheureusement, à des cas fréquents de séparations conflictuelles.

Par ailleurs, la situation des personnes liées ou ayant été liées par un pacte civil de solidarité sera aussi prise en compte.

Il est en outre prévu d’inscrire dans un nouvel article 132-80 du Code Pénal, l’existence de cette circonstance aggravante de commission d’une infraction par le conjoint ou le concubin ou l’ex-conjoint ou concubin de la victime, comme cela existe pour de nombreuses autres circonstances aggravantes.

Votre commission propose de préciser que lorsque l’infraction est commise par un ancien conjoint ou concubin, la circonstance aggravante ne jouera que si l’infraction a été commise en raison de ces anciennes relations. Cet ajout permet d’éviter de limiter de façon arbitraire la durée écoulée depuis la séparation.

Enfin, cette circonstance aggravante ainsi définie sera étendue aux crimes d’atteintes volontaires à la vie, notamment de meurtre, ce qui n’est pas actuellement le cas.

B. La question des violences de nature sexuelle au sein d’un couple, et notamment du viol entre époux, a donné lieu, vous le savez, à des interrogations et des évolutions jurisprudentielles.

Il est maintenant clairement établi par la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation qu’il peut y avoir un viol entre époux.

Le Sénat a souhaité consacrer cette jurisprudence dans la loi. Votre commission propose, ce qui me paraît préférable, de prévoir que la circonstance aggravante prévue par le nouvel article 132-80 sera également applicable en cas de viol ou d’agression sexuelle.

C. La volonté de renforcer la répression des violences au sein du couple a également conduit le Sénat à réprimer de façon spécifique la privation des pièces d’identité d’une personne par son conjoint ou son concubin.

Si l’objectif est louable, il demeure que ces faits sont déjà réprimés, car ils constituent des vols.

La seule difficulté résidant dans l’impossibilité de poursuivre pénalement le vol entre époux, votre commission propose de lever cette interdiction dans une telle hypothèse. J’y suis donc favorable.

Votre commission propose enfin de compléter la proposition de loi par plusieurs dispositions qui me semblent toutes particulièrement opportunes et sur lesquelles nous reviendrons au cours de la discussion.

Je tiens toutefois à citer les dispositions renforçant la lutte contre le tourisme sexuel, qui créent la peine d’interdiction du territoire en matière de viol ou d’agression sexuelle sur mineur. Elles permettent l’inscription au fichier des empreintes génétiques des Français ou des personnes résidant habituellement en France condamnés à l’étranger pour des infractions sexuelles.

*

*   *

En guise de conclusion, je voudrais remercier votre commission et son rapporteur M. Guy GEOFFROY pour l’excellent travail qu’ils ont accompli.

Cette proposition de loi répond en effet à une indéniable nécessité juridique, et elle présente en outre un caractère symbolique fort. Dans l’intérêt des enfants, nous nous devons de mettre en place un arsenal législatif plus cohérent et plus efficace.

Je demande en conséquence à l’Assemblée nationale d’adopter cette proposition de loi avec les amendements de votre commission.