[Archives] Anniversaire de l'Association Française des Juristes d'Entreprise
Publié le 15 décembre 2004
Discours du Garde des Sceaux à l'occasion du 35ème anniversaire de l'Association
Madame le Président,
Monsieur le Premier Président,
Mesdames, Messieurs,
C’est maintenant une habitude pour moi que de venir vous rencontrer à l’occasion de l’assemblée générale de l’Association Française des Juristes d’Entreprise.
Mais cette année est particulière : c’est le 35e anniversaire de votre association. Vous l’avez célébré tout au long de cette session.
Je voudrais le faire également en saluant l’action de tous ceux d’entre vous qui ont œuvré pour donner à l’AFJE la crédibilité qu’elle a aujourd’hui :
- Crédibilité auprès de vos membres, comme en atteste l’assistance nombreuse aujourd’hui ;
- Crédibilité auprès des entreprises, qui ont identifié l’AFJE comme un partenaire à part entière ;
- Crédibilité auprès des pouvoirs publics, c’est un point que je voudrais moi-même souligner avec force et sincérité.
C’est aussi, pour moi, l’occasion de saluer l’action de Sabine LOCHMANN, qui est votre porte parole auprès de moi depuis presque 3 ans que j’ai la responsabilité de la Chancellerie : votre dynamisme et la justesse de votre action, Madame le Président, vous honorent comme ils honorent votre association et vos pairs.
Comme vous le savez, je considère les juristes d’entreprise comme l’une des professions du droit, à part entière, et je l’associe pleinement à l’action que je mène au Ministère de la Justice.
Pour cette raison, je voudrais aborder ce soir devant vous trois sujets de collaboration future : la fondation pour la promotion du droit français (I), les travaux sur le rapprochement avocats-juristes d’entreprise (II) ; les projets de modernisation du droit applicable aux entreprises (III). Ce sont, en effet, trois thèmes sur lesquels je souhaite bénéficier d’une contribution des juristes d’entreprise particulièrement significative dans les prochains mois.
I - La création de la fondation pour la promotion du droit français à l’étranger
Comme vous le savez, lors de son allocution du 11 mars 2004 à la Sorbonne pour la célébration du bicentenaire du Code civil, le Président de la République a appelé de ses vœux la création d’une fondation destinée à fédérer les actions de promotion et de diffusion du droit français à l’étranger.
En effet, dans le contexte actuel de mondialisation, il nous apparaît important que la France puisse se doter d’un instrument susceptible d’assurer le rayonnement de son système juridique ainsi que des valeurs dont il est porteur.
Des rapports rédigés pour le compte d’organismes internationaux ont récemment critiqué notre droit, avec violence et sans beaucoup de pertinence. La démarche utilisée est contestable. Elle se nourrit d’à peu près et d’amalgames, lorsque ce n’est pas d’erreurs manifestes.
La communauté juridique française tout entière a réagi. Je m’en réjouis.
Je vous confirme l’engagement du Gouvernement dans ce sens : la création de la Fondation en sera le moyen central.
Le Chef de l’Etat nous a fixé une ligne de conduite, je travaille à la mettre en œuvre : la Fondation recueillera, coordonnera et développera toutes les actions en faveur de la promotion du droit français. Je souhaite, en outre, que tous ces projets soient concrets et utiles aux professions juridiques.
Le regroupement dans le cadre d’une même entité des initiatives qui concourent à la promotion de notre droit présente, en effet, de nombreux avantages. Le droit français gagnera incontestablement en notoriété et en efficacité. Nos actions gagneront aussi en visibilité.
Pour être efficace, la Fondation ne devra pas se cantonner à la seule sphère publique. Son succès tiendra, aussi, à sa capacité d’ouverture aux acteurs économiques, aux entreprises et aux professionnels du droit : juristes d’entreprise, avocats, notaires…
Je connais votre détermination sur ce dossier : vous m’avez écrit en ce sens et je vous en remercie.
D’autres instances représentatives de professions juridiques partagent cette même volonté, ce même désir, cette même ambition.
J’ajouterai que d’importants acteurs économiques, financiers, industriels ou encore de services m’ont aussi fait part de leur volonté de participer à la promotion du droit français à l’étranger.
Au bénéfice de ces auspices positives, je lancerai, la semaine prochaine, une consultation pour que chacun puisse exprimer de façon détaillée ses objectifs, ses attentes et ses projets d’engagement en faveur du projet. Pour cela, je soumettrai à la concertation une maquette du plan de travail et un projet de statuts.
Cette consultation a pour objet de susciter l’adhésion, d’adapter le projet si nécessaire aux besoins exprimés par les partenaires potentiels et de faire s’exprimer leurs capacités contributives, en privilégiant – c’est bien normal pour une fondation – la constitution du capital initial.
Notre projet prendra la forme attractive d’une fondation reconnue d'utilité publique. Ce statut privilégié lui permettra de bénéficier des dispositions très favorables de la loi du 1er août 2003 sur le mécénat.
Nous pourrons alors agir efficacement. Un conseil restreint se chargera de l’organisation administrative de la fondation. Son rayonnement sera assuré par un comité d’honneur international.
Je suis certain que votre profession exercera, au sein de cette fondation, son talent constructif et son imagination fructueuse.
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Madame le Président, le monde du droit évolue, son environnement exige de relever constamment de nouveaux défis.
Nous devons à la fois nous adapter et rester fidèles aux grands principes sur lesquels nous nous appuyons pour faire vivre notre droit au service de notre économie.
II – Cela m’amène donc naturellement au statut des professionnels du droit et aux travaux sur le rapprochement avocats-juristes d’entreprise
Nous nous accordons tous sur le besoin de droit et de justice, qui augmente sans cesse dans notre société et dans la vie économique en particulier.
Tous, qu’ils soient avocats ou juristes d’entreprise, ont à mon avis un intérêt commun à voir clarifier et renforcer la place des juristes français.
Face à la concurrence de leurs homologues étrangers, notamment anglo-saxons, qui peuvent travailler au sein d’une entreprise tout en bénéficiant du statut d’avocat, les juristes français apparaissent en positions de faiblesse.
De nombreuses réflexions se sont tenues tout au long des dernières années, notamment à votre initiative, Madame le Président. Beaucoup, sans doute plus nombreux que jamais auparavant, sont convaincus du bien fondé d’une avancée vers une forme de rapprochement.
Il nous faut à présent aller de l’avant. Je rejoins pleinement votre analyse à ce sujet.
C’est pourquoi je vous propose qu’un groupe de travail soit mis en place à la Chancellerie, réunissant les uns et les autres.
Je pense en effet qu’il faut recenser toutes les questions en suspens pour voir si elles peuvent être ou non résolues, et quelles sont les options qui s’offrent à nous.
Je suis persuadé que ces travaux communs sont de nature à lever les ambiguïtés de ce dossier.
Ils souligneront ainsi l’intérêt d’une grande profession du droit pour faire face aux professionnels étrangers. Ils concourront à notre action en faveur du droit français.
Pour autant, ma conviction est qu’une telle orientation, un tel rapprochement, ne peut se décréter ; elle doit être partagée. Nous verrons si telle est l’issue des réunions de ce groupe de travail. Pour ma part, je le souhaite vivement.
III - La modernisation du droit applicable aux entreprises
Je suis convaincu qu’une autre méthode, essentielle pour promouvoir notre droit est de le moderniser sans cesse pour améliorer son adéquation avec les besoins des acteurs économiques, notamment en trois matières : la simplicité, la sécurité juridique et la compétitivité des normes.
Depuis bientôt trois ans, je mène à la Chancellerie, des réformes, parfois très techniques, mais qui se veulent en permanence modernes et guidées par la combinaison des trois ingrédients que je citais précédemment : simplicité, sécurité juridique et compétitivité des normes.
Un facteur de réussite de ces réformes réside naturellement dans l’adhésion qu’elle suscitent chez les « utilisateurs », notamment les juristes d’entreprise.
J’ai la conviction d’avoir atteint les objectifs que je m’étais donnés :
- dans la loi de sécurité financière, où j’ai choisi la transparence comme moteur de la gouvernance d’entreprise,
- comme dans les ordonnances que j’ai finalisées cette année, notamment celles sur la modernisation du droit des valeurs mobilières.
Mais il faut aller de l’avant, et j’ai quelques ambitions dans ce domaine pour l’année 2005 dont je voudrais vous faire part car vous serez, en tant que juristes d’entreprise, les premiers « utilisateurs » de ces réformes.
1) La première ambition pour 2005, la plus avancée, est de faire voter la loi de sauvegarde des entreprises.
Le Premier Ministre l’a inscrite à part entière dans son « contrat France 2005 ». Le texte que je propose permettra aux entreprises de mieux anticiper sur leurs difficultés. Ils pourront les gérer d’avantage dans un esprit de négociation que dans la contrainte d’une procédure judiciaire. J’entends également apporter par cette réforme une contribution significative à la sauvegarde de l’emploi.
Le texte sera discuté par l’Assemblée Nationale au début du mois de février.
2) La seconde ambition que j’ai pour 2005 en matière de droit des entreprises est de progresser encore dans la modernisation des nos instruments juridiques.
Dès à présent, je vois au moins trois thèmes sur lesquels des progrès sont indispensables et où je souhaite avancer.
a. Le premier concerne, dans le prolongement des réformes que j’ai déjà menées, la simplification des règles.
Mon collègue Christian JACOB présentera en début d’année, une loi spécifique aux PME. Je travaillerai, pour ma part, à des mesures visant à alléger les formalismes en différenciant davantage les règles pour tenir compte des spécificités des entreprises, selon leur taille ou leur mode de financement.
Je souhaite cependant que les entrepreneurs aient à leur disposition un ensemble de cadres juridiques bien différenciés, dans un ordonnancement juridique lisible, selon qu’ils souhaitent ou pas faire appel à l’épargne (entreprises cotées, entreprises on cotées), que leur entreprise soit plus ou moins importante, qu’ils aient besoin de souplesse ou de standardisation.
b. Le deuxième axe de travail que j’ai choisi pour 2005 porte sur l’introduction en droit français d’un instrument dont disposent de nombreux pays qui sont nos partenaires : la fiducie, équivalent du « trust » des pays anglo-saxons.
Notre droit s’est en effet enrichi au fils des ans de perfectionnements qui tendent à apporter des solutions analogues à celles que le trust apporte dans les pays où il existe : le crédit-bail, la cession Dailly, le portage d’actions, le gage de compte d’instrument financier, et toutes les autres techniques souvent utilisées en France là où, dans d’autres pays, on aurait recours au trust.
Mais je comprends que notre dispositif actuel a des limites, par exemple en termes de portage d’actions ou de montages complexes pour le financement des entreprises.
Ceci amène bien des opérateurs à préférer réaliser des transactions dans d’autres pays, dans d’autres droits que le nôtre.
Cette situation est donc incompatible avec la vision que j’ai, et que le Premier Ministre et le Ministre des Finances partagent, de l’attractivité de notre territoire, et naturellement aussi de notre « place » juridique.
Je vais donc, en plein accord avec Hervé GAYMARD, mettre en chantier la rédaction d’un projet de texte de loi introduisant en France un mécanisme analogue au trust ou à la fiducie. Je souhaite évidemment développer, grâce à cet instrument, la compétitivité du droit économique français. Nous avons, en particulier, pour objectifs principaux le développement et la re-localisation d’activités dans notre pays et l’amélioration des conditions de financement des entreprises.
Comprenez moi bien : il ne s’agit pas de faire prendre à notre droit une tournure anglo-saxonne. Il s’agit de créer en France, dans le respect de notre tradition juridique, un instrument transversal répondant à un besoin exprimé par de nombreux acteurs économiques.
Afin de couper court, par avance, à toute critique, j’indique dès à présent que je souhaite rechercher, dans un tel instrument, une neutralité fiscale et une sécurité contre les risques de fraude, par référence à celle atteinte dans les mécanismes existants. Les « garde-fous » pertinents seront conçus à cette fin. Nous devons aussi veiller au respect des engagements internationaux, notamment ceux pris à l’OCDE et au GAFI dans le cadre de la lutte contre le blanchiment, et tenir compte des négociations en cours sur ces sujets.
Naturellement, une consultation des praticiens concernés sera menée dans cette perspective. Je souhaite avancer de façon significative sur cette réforme dès le début 2005.
c. Enfin, troisième thème de travail pour 2005, la réforme du droit des sûretés, que le Professeur GRIMALDI me proposera dans quelques semaines, aura également vocation à moderniser, dans un secteur d’une complexité reconnue le droit que les entreprises utilisent. Ceci me permettra d’apporter aux opérateurs une sécurité juridique qui semble aujourd’hui faire défaut à beaucoup de transactions.
Fondation pour la promotion du droit français, concertation sur une grande profession du droit, réforme des instruments juridiques dont disposent les entreprises pour leur développement : ce sont trois axes sur lesquels je souhaite que le dialogue entre la Chancellerie et les juristes d’entreprise continue de se développer en 2005. Je sais que je peux compter sur votre dynamisme et votre sincérité pour appuyer mon action en faveur d’une justice française plus efficace et plus pertinente, notamment en matière économique.
Je vous remercie de votre attention.
Plan détaillé
- C’est le 35e anniversaire de votre association
- Mme Lochmann
- Je considère les juristes d’entreprise comme l’une des professions du droit, à part entière
I. La création de la fondation pour la promotion du droit français à l’étranger
- Le Président de la République a appelé de ses vœux la création d’une fondation
- Des rapports rédigés pour le compte d’organismes internationaux ont récemment critiqué notre droit
- Regroupement dans le cadre d’une même entité de toutes les initiatives
- La Fondation ne devra pas se cantonner à la seule sphère publique
- Je lancerai, la semaine prochaine, une consultation :
- o Je soumettrai à la concertation une maquette du plan de travail et un projet de statuts
- o Forme attractive d’une fondation reconnue d'utilité publique
II. Statut des professionnels du droit et travaux sur le rapprochement avocats-juristes d’entreprise
- Intérêt commun à voir clarifier et renforcer la place des juristes français
- Concurrence de leurs homologues étrangers : les juristes français apparaissent en positions de faiblesse
- Un groupe de travail sera mis en place à la Chancellerie, réunissant les uns et les autres
- Intérêt d’une grande profession du droit
- Un tel rapprochement, ne peut se décréter
III. La modernisation du droit applicable aux entreprises
Un facteur de réussite de ces réformes réside naturellement dans l’adhésion qu’elles suscitent chez les « utilisateurs »,
1) La première ambition pour 2005, la plus avancée, est de faire voter la loi de sauvegarde des entreprises.
- Le Premier Ministre l’a inscrite à part entière dans son « contrat France 2005 ».
- Le texte sera discuté par l’Assemblée Nationale au début du mois de février.
2) Progresser encore dans la modernisation des nos instruments juridiques.
a. simplification des règles.
- différencier davantage les règles
- tenir compte des spécificités des entreprises
- taille
- mode de financement (cotées / non cotées).
b. introduction en droit français de la fiducie, équivalent du « trust » des pays anglo-saxons.
- Notre droit s’est en effet enrichi au fils des ans de perfectionnements.
- Mais notre dispositif actuel a des limites.
- Ceci amène bien des opérateurs à préférer réaliser des transactions dans d’autres pays.
- Rédaction d’un projet de texte de loi introduisant en France un mécanisme analogue au trust ou à la fiducie.
- Neutralité fiscale et sécurité contre les risques de fraude.
- Consultation des praticiens : avancer de façon significative sur cette réforme dès le début 2005
c. réforme du droit des sûretés (Grimaldi)
- Un secteur d’une complexité reconnue
- Apporter aux opérateurs une sécurité juridique