[Archives] Projet de loi organique relatif au juges de proximité

Publié le 27 janvier 2003

Discours du garde des Sceaux lors de la discussion au Sénat du projet de loi organique

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Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,


Votre Haute Assemblée examine aujourd’hui en deuxième lecture le projet de loi organique relatif aux juges de proximité dans les termes votés par l’Assemblée nationale en première lecture, le 17 décembre dernier.

Deux articles du projet, relatifs aux juges aux affaires familiales et au maintien en activité en surnombre des magistrats, ont été adoptés sans modification par l’Assemblée nationale.

Trois articles relatifs aux juges de proximité, qui constituent le cœur du projet, restent donc en discussion à l’issue de la première lecture.

Vous le savez, l’adoption de ce texte qui fixe les règles statutaires applicables à ces juges, conditionne la mise en place des juridictions de proximité dont la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 a fixé les compétences en matière civile et pénale ainsi que les principales règles d’organisation et de procédure.

L’adoption de ce projet permettra de traduire sans délai cet engagement majeur du Président de la République, qui répond à une très forte attente de nos concitoyens.

Dès les prochains mois, le recrutement des premiers juges de proximité pourra ainsi être lancé, afin qu’ils puissent prendre leur fonctions au dernier trimestre de cette année.

Les principes proposés par le projet du Gouvernement ont été clairement approuvés tant par le Sénat que par l’Assemblée nationale : c’est le choix d’une juridiction autonome nouvelle, composée d’un ou plusieurs juges non professionnels, qui exerceront, pour une durée de 7 ans et sous forme de vacation, une part limitée des fonctions exercées par les magistrats des juridictions de première instance, correspondant au petit contentieux de la vie courante.

Les modalités de leur rémunération seront fixées par un décret en Conseil d’Etat dans des conditions qui, naturellement, ne seront pas de nature à porter atteinte au principe d’égalité de traitement avec les magistrats professionnels.

L’objet principal du présent projet est de déterminer le statut du juge de proximité c’est à dire, classiquement, les règles applicables en matière de recrutement, de nomination, de formation, d’incompatibilités et de discipline.

Etant des juges à part entière, rendant des décisions ayant force exécutoire, ils doivent bénéficier, dans l’exercice de leurs fonctions, de garanties d’indépendance de même niveau que celles qui protègent les juges professionnels. Ils doivent aussi présenter des garanties d’aptitude à l’exercice de fonctions judiciaires.

Enfin, il importe que cette juridiction nouvelle s’insère dans notre organisation judiciaire actuelle avec le souci de développer la complémentarité et les synergies avec les juridictions existantes, en particulier la juridiction d’instance.

Sur toutes ces questions essentielles, je voudrais souligner ici combien la qualité du travail parlementaire conduit par les deux assemblées a permis d’améliorer et d’enrichir de manière significative le projet du Gouvernement.

Le texte que nous examinons aujourd’hui, qui est le fruit de ces débats particulièrement riches et approfondis, me paraît pleinement répondre à ces exigences d’indépendance, de compétence et de bonne organisation judiciaire.

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S’agissant de l’indépendance des juges de proximité, elle sera garantie en premier lieu par leur mode de nomination, puisque celle-ci interviendra dans les formes prévues pour les magistrats du siège : nomination sur proposition du Garde des Sceaux par décret du Président de la République, pris sur avis conforme de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du siège. Aucune nomination ne pourra donc intervenir sans l’aval de ce Conseil.

Corrélativement, les garanties disciplinaires reconnues aux magistrats du siège seront reconnues aux juges de proximité.

Leur indépendance sera garantie en second lieu par des règles particulières d’incompatibilité destinées à prévenir au maximum les risques de conflit d’intérêts. Tel sera en particulier le cas des membres des professions libérales juridiques et judiciaires, dont la proximité avec l’institution judiciaire commande qu’ils ne puissent être juges de proximité dans le ressort du tribunal de grande instance où est fixé leur domicile professionnel.

A l’initiative de votre Commission des Lois, en première lecture, vous avez d’ailleurs très opportunément renforcé ces garanties, par l’interdiction faite à ces auxiliaires de justice d’effectuer des actes de leur profession dans le ressort de la juridiction de proximité, ou de faire état de leur qualité de juge de proximité dans leur activité professionnelle.

S’agissant maintenant des compétences requises des juges de proximité, je crois que sur ce point, essentiel aussi, le texte actuel du projet est satisfaisant et équilibré.

Le projet du Gouvernement ouvrait ce recrutement aux anciens magistrats de l’ordre administratif comme de l’ordre judiciaire, aux auxiliaires de justice tels que les avocats, les notaires, les huissiers de justice, ainsi qu’aux personnes justifiant d’une formation supérieure de niveau bac + 4 et d’une expérience professionnelle à caractère juridique, tels les juristes d’entreprise.

En première lecture, le Sénat a souhaité élargir le champ de ce recrutement à plusieurs catégories de personnes dont il a estimé que l’expérience professionnelle particulièrement importante était de nature à garantir l’aptitude à ces fonctions, et notamment les conciliateurs de justice, les personnes exerçant des responsabilités de direction ou d’encadrement, ou encore les anciens fonctionnaires de catégorie A.

J’avais alors indiqué que le Gouvernement approuvait dans son principe que soit ainsi fait une plus large place à l’expérience professionnelle, qui est un gage important de bonne justice. J’avais toutefois souhaité que la navette parlementaire soit l’occasion de préciser le champ de cet élargissement.

C’est ce qu’a fait l’Assemblée nationale en approuvant cet élargissement, tout en modifiant son périmètre, afin de le recentrer sur les candidats connaissant le mieux les réalités du contentieux et du milieu judiciaire, je pense ici aux greffiers en chefs et aux greffiers des services judiciaires.

L’Assemblée nationale a par ailleurs estimé qu’en contrepartie de cet élargissement, qui conduit à recruter des candidats aux profils sensiblement différents, il importait de permettre que soit donné un caractère probatoire à la formation qui leur serait dispensée.

Le Gouvernement a approuvé cette initiative, qui lui est apparue tout à fait satisfaisante en raison de la souplesse qu’elle implique. En effet, si le Conseil de la magistrature en décide ainsi, le candidat, dont la nomination lui est soumise par le Garde des Sceaux, suivra une formation à caractère probatoire à l’issue de laquelle le Conseil rendra son avis. S’il estime au contraire inutile une formation probatoire, le juge de proximité suivra en toute hypothèse une formation d’adaptation une fois nommé.

Ainsi les exigences de formation sont à la fois ainsi renforcées, et adaptées au cursus professionnel des candidats.

J’ajoute que le Gouvernement veillera, par les textes réglementaires d’application, à ce que les modalités de cette formation, et notamment sa durée, soient compatibles avec l’exercice d’une activité professionnelle, faute de quoi de nombreux candidats potentiels seraient dissuadés de postuler.

S’agissant en dernier lieu de l’organisation de la juridiction de proximité, la navette parlementaire a sur ce sujet également fait progresser la réflexion.

La juridiction de proximité, par son fonctionnement, doit pouvoir s’appuyer sur une autre juridiction.

Le texte que vous avez adopté en première lecture conférait ce pouvoir d’organisation au président du tribunal de grande instance. J’avais toutefois indiqué que des dispositions réglementaires prévoiraient d’associer étroitement le juge chargé de la direction et de l’administration du tribunal d’instance.


L’Assemblée nationale a souhaité aller plus loin, et attribuer d’emblée au juge d’instance, en vertu de la loi, l’ensemble de l’activité d’animation, de coordination et d’organisation des services de la juridiction de proximité. Dans la même logique, le juge d’instance participera au processus d’évaluation de l’activité professionnelle des juges de proximité.

Ce choix m’apparaît judicieux et votre Commission des Lois l’a également approuvé. Je crois, comme je l’ai indiqué devant l’Assemblée nationale, qu’il présente l’avantage de mieux faire coïncider la géographie des lieux et la proximité des compétences et des hommes, puisque les juges d’instance et les juges de proximité exerceront dans des locaux le plus souvent communs, avec un personnel de greffe travaillant aussi bien pour l’un que pour l’autre.

Ce rapprochement est d’ailleurs souhaité par les juges d’instance et je ne doute pas qu’il contribuera à favoriser la complémentarité de ces deux juridictions proches du justiciable que sont le tribunal d’instance et la juridiction de proximité.

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Le remarquable travail parlementaire que je tiens à saluer à nouveau, en particulier celui de votre commission des lois, de son président René GARREC et de son rapporteur Pierre FAUCHON, a ainsi permis d’aboutir à un dispositif équilibré, que le Gouvernement approuve pleinement.

C’est pourquoi, comme le propose votre Commission des Lois, je souhaite que votre Haute Assemblée l’adopte aujourd’hui sans modifications, afin de permettre une mise en place rapide de la juridiction de proximité et de répondre ainsi à l’attente des français.

Je vous remercie.