[Archives] Projet de loi constitutionnelle mandat d’arrêt européen
Publié le 27 janvier 2003
Discours du garde des Sceaux lors de la présentation en 1ere lecture au Sénat du projet de loi
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Le projet de loi constitutionnelle qui vous est présenté aujourd’hui s’inscrit dans la construction d’un « espace de liberté, de sécurité et de justice » au sein de l’Union européenne, selon l’expression retenue par le traité d'Amsterdam signé le 2 octobre 1997.
Il a pour objet d’habiliter le Parlement à prendre les mesures nécessaires pour assurer la mise en œuvre, sur le territoire français, du mandat d’arrêt européen.
En introduction à votre discussion générale, je souhaiterai rappeler, en premier lieu, le dispositif du mandat d’arrêt européen tel qu’il résulte de la décision-cadre adoptée par le Conseil le 13 juin 2002. Je préciserai ensuite les enjeux de cette révision constitutionnelle et soulignerai, enfin, combien vous êtes appelés à consacrer ainsi une étape décisive de la construction européenne.
1/ le dispositif du mandat d’arrêt européen
Jusqu’à la décision-cadre du 13 juin 2002, la coopération judiciaire au sein de l’Union européenne restait soumise à la procédure traditionnelle, en droit international public, de l’extradition.
Certes, des initiatives avaient été prises par les Etats membres pour simplifier les procédures d’extradition, raccourcir leurs délais d’exécution effective et surmonter les obstacles de nature à s’opposer à leur mise en œuvre.
Ce travail a débouché notamment, en 1995 et 1996, sur la signature de deux conventions importantes. Fondées sur la Convention européenne d’extradition de 1957, elles ont notamment défini les bases et les modalités d’une procédure simplifiée.
Soucieux d’améliorer la coopération judiciaire au sein d’un espace européen caractérisé par l’intégration croissante des Etats membres, le Gouvernement a récemment engagé le processus parlementaire visant à autoriser la ratification de ces deux conventions.
Parallèlement, un projet de réforme de la loi du 10 mars 1927, qui demeure en droit interne le texte de référence en matière d’extradition, est apparu indispensable pour permettre l’entrée en vigueur des instruments de l’Union européenne.
Mais, dans un deuxième temps, la réflexion européenne a conduit à des perspectives plus ambitieuses. Le traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997, a fait le pari de veiller à ce que l'espace de libre circulation que constitue l'Union européenne devienne également un espace de sécurité et de justice.
Au sein de cet espace, le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice des Etats membres a pris corps. En vertu de ce principe, une décision judiciaire prise dans un Etat membre est supposée être immédiatement exécutoire dans n’importe quel autre Etat membre de l’Union.
La décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen et à la procédure de remise entre les Etats membres, adoptée le 13 juin 2002, est le premier instrument mettant en oeuvre le principe de reconnaissance des décisions de justice en matière pénale.
Elle a pour objet de permettre la reconnaissance, entre les Etats membres de l’Union européenne, des décisions de justice tendant à l’arrestation et à la remise d’une personne poursuivie ou condamnée.
Le mandat d’arrêt européen est ainsi défini comme “ une décision judiciaire émise par un Etat membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre Etat membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté ”.
La procédure traditionnelle d’extradition, qui implique en droit français une décision du pouvoir exécutif, sera, en conséquence, remplacée par une procédure entièrement judiciaire. Le rôle du pouvoir exécutif se limitera à un “appui pratique et administratif”.
Surtout, dès lors que les conditions prévues par la décision-cadre seront satisfaites, les décisions des autorités judiciaires des Etats membres seront reconnues et exécutées sur tout le territoire de l'Union.
Le mandat d’arrêt européen peut être émis pour des faits punis par la loi de l’Etat d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’une durée au moins égale à douze mois. Il en est de même lorsqu’une peine ou une mesure de sûreté a été infligée pour une durée au moins égale à quatre mois.
Dans le champ d’une liste limitative de trente-deux infractions qui recouvrent des faits graves, généralement incriminés par le droit interne de tous les Etats membres, le mandat d’arrêt doit donner lieu à remise, sans qu’il y ait lieu à un contrôle particulier du principe dit de la double incrimination selon lequel les faits fondant la poursuite ou la condamnation doivent être effectivement constitutifs d’une infraction tant dans l’Etat d’exécution que dans celui d’émission.
La décision-cadre énumère limitativement les motifs pour lesquels l’exécution du mandat d’arrêt doit ou peut, selon le cas, être refusé. Elle fixe également les cas dans lesquels l’Etat d’exécution peut demander des garanties à l’Etat d’émission.
Au titre des « motifs de non exécution obligatoire du mandat d’arrêt européen », on peut citer l’amnistie de l’infraction ou l’irresponsabilité pénale à raison de l’âge, dans l’Etat d’exécution.
Au titre des « motifs de non exécution facultative » figure la prescription de l’action pénale ou l’exercice de poursuites, dans l’Etat d’exécution.
Lorsque le mandat d’arrêt est délivré pour une personne condamnée, il peut également être refusée si l’intéressé est résident de l’Etat d’exécution et que ce dernier s’engage à exécuter la peine.
Il convient, en particulier, de relever que des motifs traditionnels de refus d’extradition, tenant par exemple à la non-extradition des nationaux, ne sont pas repris par la décision-cadre.
Cette décision permet également à l’Etat d’exécution de demander des garanties à l’Etat d’émission en cas de condamnation rendue par défaut ou de risque de condamnation à une peine privative de liberté perpétuelle.
Il y a lieu d’ajouter, pour achever cette présentation sommaire du mandat d’arrêt européen, que la décision-cadre fixe les critères de décision en cas de demandes émanant d’autorités de plusieurs Etats membres.
Elle prévoit un dispositif de sursis à l’exécution du mandat si la personne intéressée est protégée dans l’Etat membre d’exécution par un privilège ou une immunité ou pour des raisons humanitaires sérieuses.
Enfin, elle règle les effets de la remise au regard de la poursuite éventuelle d’autres infractions ou d’une éventuelle remise ultérieure à un autre Etat membre que l’Etat initial d’émission voire d’une extradition vers un Etat tiers.
La décision-cadre doit entrer en vigueur au 1er janvier 2004. Il appartient maintenant à la France d’assurer rapidement les travaux de sa transposition en droit interne d’autant plus qu’elle s’est engagée avec l’Espagne, le Luxembourg, l’Allemande et le Royaume-Uni, à la mettre en œuvre avant la fin du 1er trimestre 2003.
Sous réserve que soit préalablement approuvée la révision constitutionnelle qui vous est proposée, le respect de cet engagement supposera l’adoption d’un projet de loi adaptant le code de procédure pénale. Celui-ci est actuellement en cours de préparation au sein du ministère de la justice. Il pourrait être soumis très prochainement au Parlement.
2/ les enjeux de la présente réforme constitutionnelle
La décision-cadre est soumise aux principes définis par l’article 6 du Traité sur l’Union européenne aux termes duquel cette dernière « respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, en tant que principes généraux du droit communautaire ».
A ce titre, la décision-cadre est conforme à l’essentiel des principes fondamentaux du droit français qui avaient été dégagés, par les juridictions suprêmes, en matière d’extradition.
En outre, le considérant n° 12 de la décision-cadre précise expressément - je cite - que : « Rien dans la présente décision-cadre ne peut être interprété comme une interdiction de refuser la remise d’une personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen s’il y a des raisons de croire, sur la base d’éléments objectifs, que ledit mandat a été émis dans le but de poursuivre ou de punir une personne en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de son origine ethnique, de sa nationalité, de sa langue, de ses opinions politiques ou de son orientation sexuelle, ou qu’il peut être porté atteinte à la situation de cette personne pour l’une de ces raisons ».
Néanmoins, il ne pouvait être exclu que la novation que représente la reconnaissance directe d’une décision judiciaire d’un Etat membre de l’Union européenne et la suppression de certains motifs traditionnels de refus d’extradition, puissent être regardée comme heurtant notre tradition constitutionnelle.
Le Gouvernement a ainsi voulu, avant d’assurer la transposition en droit français de la décision-cadre, vérifié si celle-ci était de nature à se heurter à des obstacles tirés de règles ou de principes de valeur constitutionnelle.
La consultation directe du Conseil constitutionnel, sur le fondement de l’article 54 de la Constitution ne pouvant être envisagé s’agissant d’un acte de droit dérivé et non d’un « engagement international » au sens de cet article, il a été décidé de consulter le Conseil d’Etat. Celui-ci a rendu son avis le 26 septembre 2002.
Il résulte de cet avis que, pour la très grande majorité de ses dispositions, la décision-cadre est compatible avec l’ensemble des normes de valeur constitutionnelle.
En particulier, le Conseil d’Etat a relevé que « la pratique ancienne suivie par les autorités françaises de refuser dans tous les cas l’extradition de leurs nationaux ne trouve pas de fondement dans un principe de valeur constitutionnelle ».
De même, le Conseil d’Etat a considéré que la règle de la double incrimination « appliquée couramment dans le droit de l’extradition » ne pouvait davantage être regardée comme « l’expression d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens où l’on a entendu le Préambule de la Constitution de 1946 ».
Ce dernier a, néanmoins, estimé que « la décision-cadre ne paraissait pas assurer le respect du principe (qu’il avait) rappelé dans son avis du 9 novembre 1995 « selon lequel l’Etat doit se réserver le droit de refuser l’extradition pour les infractions qu’il considère comme des infractions à caractère politique », qui constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République, ayant à ce titre valeur constitutionnelle en vertu du Préambule de la Constitution de 1946 ».
Je tiens à souligner le caractère très théorique du risque d’inconstitutionnalité ainsi soulevé par le Conseil d’Etat. En effet, la liste des trente-deux infractions qui fondent de plein droit, et donc sans recours au principe dit de double incrimination, le mandat d’arrêt européen, vise uniquement des crimes graves en des termes souvent très proches de la loi pénale française.
Il est, en conséquence, très peu probable que cette liste puisse être utilisée pour exiger la remise d’une personne poursuivie dans un autre Etat membre, du chef d’une infraction que notre tradition juridique regarderait comme étant de nature politique.
Néanmoins, le Conseil d’Etat ayant signalé ce risque, fût-il très ténu, au Gouvernement, il devenait, dès lors, nécessaire de modifier la Constitution préalablement à la transposition de la décision-cadre.
Tel est l’objet du projet de loi constitutionnelle qui est aujourd’hui soumis à votre examen.
Il vous est ainsi proposé de compléter l’article 88-2 de notre Constitution par l’ajout d’un alinéa tendant à habiliter le législateur à fixer les règles relatives au mandat d’arrêt européen, en application des actes pris sur le fondement du Traité sur l’Union européenne.
Sur le plan formel, l’insertion de ce nouvel alinéa dans l’article 88-2 apparaît la plus conforme au plan de notre Charte fondamentale. Cet article prévoit d’ores et déjà les transferts de compétence nécessaires, d’une part, à l’établissement de l’Union économique et monétaire européenne et d’autre part, à la détermination des règles relatives à la libre circulation des personnes et aux domaines qui y sont liés.
Si la révision de la Constitution du 4 octobre 1958 est motivée, pour la première fois, par la transposition d’un acte de droit dérivé et non par la ratification d’un traité, comme en 1992 et en 1999, ce qui justifie quelques différences rédactionnelles, elle se situe, néanmoins, dans le droit fil des transferts de compétences consentis aux fins de mise en œuvre du traité d’Amsterdam.
Les termes de ce nouvel alinéa de l’article 88-2 ont été soigneusement pesés. Je souhaiterais en éclaircir devant vous la portée.
Il n’est pas paru souhaitable que l’habilitation ainsi donnée au législateur soit définie par référence exclusive à la décision-cadre du 13 juin 2002. Celle-ci, comme tout acte de droit dérivé, sera un instrument contingent, susceptible d’évolution. Et, il ne serait pas conforme au statut de notre Constitution, d’imaginer que la France pourrait être amenée à provoquer des modifications constitutionnelles au fil des évolutions d’un tel acte.
L’Assemblée nationale a même souhaité qu’il ne soit pas fait explicitement référence au concept de « décision-cadre ».
Je rappelle qu’en l’état du droit européen, les décisions-cadre sont l’instrument de mise en œuvre de la coopération policière et judiciaire en matière pénale qui est couverte par le titre VI du traité sur l'Union européenne, encore appelé « troisième pilier ». L’Assemblée nationale a, à juste titre, considéré que cette notion même pouvait s’avérer trop contingente pour être cristallisée dans notre norme constitutionnelle.
Néanmoins, il ne s’agit pas de vous demander de donner un blanc-seing à des évolutions que nous ne saurions aujourd’hui anticiper.
Ainsi, l’habilitation donnée au pouvoir législatif est circonscrite à la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen tel qu’il est et pourra être défini par des actes de droit européen pris en application du Traité sur l’Union européenne, dans sa version prévalant à la date de l’entrée en vigueur de la présente réforme.
Celle-ci inclura donc les ajouts du traité d’Amsterdam et, selon toute vraisemblance, ceux du Traité de Nice qui sera alors en vigueur. Je rappelle que l’Irlande, dernier Etat à procéder à cette formalité, a déposé son instrument de ratification en décembre dernier et que, dans ces conditions, le Traité de Nice entrera en vigueur le 1er février 2003.
C’est donc cette modification, indispensable pour bâtir un espace judiciaire européen cohérent et circonscrite à la mise en œuvre du mandat d’arrêt européen, que le Gouvernement vous demande d’adopter.
Avec cette révision va être réalisée une étape importante en faveur de la construction de l’espace judiciaire européen.
3/ Une étape décisive de la construction européenne :
Le présent projet de loi constituera en effet la quatrième révision constitutionnelle liée à la construction européenne, après celles de 1992 pour le traité de Maastricht, de 1993 pour les accords de Schengen et de 1999 pour le traité d’Amsterdam.
C’est la première qui porte sur la coopération judiciaire entre les Etats membres. On ne pourra manquer d’y voir un signe des enjeux que représente actuellement pour nos sociétés le développement de la criminalité internationale, corollaire de l’intensification des échanges et des moyens de communication.
Au sein de l’Union européenne, cet enjeu est apparu d’autant plus impérieux que la construction de l’espace européen et la suppression des frontières ont pu contribuer au développement parallèle d’une criminalité transnationale.
Comme l’a rappelé le Président de la République au Conseil des ministres du 13 novembre dernier, le mandat d’arrêt européen “permettra à l’Europe de lutter plus efficacement contre la délinquance organisée et le terrorisme, en adaptant nos moyens d’action à l’ouverture des frontières de l’Union européenne”.
Mais, je ne souhaiterais pas que cette avancée décisive de la construction européenne soit uniquement placée sous des auspices aussi négatives.
Le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice atteste, peut-être plus que d’autres, la création d’un espace sans frontière marqué par un niveau élevé de confiance et de coopération entre Etats qui partagent une conception exigeante de l’Etat de droit.
Si la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen a été le premier instrument mettant en oeuvre le principe de reconnaissance des décisions de justice en matière pénale, d’autres instruments de reconnaissance mutuelle en matière pénale, portant notamment sur les sanctions pécuniaires, le gel des avoirs et des preuves et les décisions de confiscation, sont, comme vous le savez, en cours de négociation ou en voie d’adoption. Ils ont eux aussi vocation à renforcer la lutte contre toutes les formes de criminalité.
En adoptant aujourd’hui, la révision constitutionnelle qui vous est proposée, le Sénat marquera sa détermination à contribuer à la construction de l’espace de liberté, de sécurité et de justice que chaque citoyen de l’Union est en droit d’attendre.
Votre Commission des lois vous y invite.
Je ne doute pas que vous répondrez à son attente. Le travail d’analyse qu’elle a opéré est à cet égard pleinement convaincant et je tiens à rendre un hommage particulier à Pierre FAUCHON, le rapporteur du texte.
C’est donc avec confiance que j’aborderai la suite de ces débats.
Je vous remercie.