[Archives] "Colloque baux commerciaux" organisé par l' UNPI

Publié le 17 juin 2003

Discours du garde des Sceaux

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11 minutes

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

Je voudrais d'abord vous dire le plaisir que j'ai à me trouver aujourd'hui parmi vous pour cette première rencontre publique avec l'Union Nationale de la Propriété Immobilière. (UNPI)

Je connais naturellement à Châlon et en Bourgogne, vos représentants et votre action et je salue mon ami Jean Perrin, votre président dans cette région.

Je voudrais ensuite vous remercier de me donner l’occasion de m’exprimer sur les baux commerciaux, thème de votre colloque. Je suis très attaché à ce que le ministère de la justice soit un acteur majeur de la réflexion et des réformes qui pourraient être jugées nécessaires en ce domaine et plus généralement, dans celui du droit de l'immobilier. Je pense en particulier à ce qui constitue le cadre quotidien de la vie de nos concitoyens.

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Je souhaite pouvoir avancer, au cours des prochains mois, sur un certain nombre de dossiers actuellement traités par mes services, en liaison bien sûr avec le ministère de l'équipement et du logement et le ministère de l'économie et des finances.

J’en ferai un bref panorama.

Il en va d'abord ainsi de la réforme de la réglementation des agents immobiliers qui sont vos partenaires dans la transaction et l’administration des biens .

Cette réforme est nécessaire. J'en suis si convaincu que c'est le premier groupe de travail en matière de droit immobilier que j'ai fait constituer après mon arrivée place Vendôme.

Celui-ci a pour objectif de proposer un texte modernisant et simplifiant la loi HOGUET.

Nous pourrons le faire par voie d’ordonnance et agir ainsi dans les meilleurs délais puisque nous y sommes habilités par la loi que vient d’adopter le parlement, habilitant le gouvernement à simplifier le droit.

Il s'agit d'un travail de grande ampleur.

En s'aidant de différentes réflexions, et notamment de celles de Bernard Vorms, dans son rapport d’avril 2002, le groupe de travail a rapidement envisagé une réforme tant de la loi du 2 janvier 1970 que de son décret d'application du 20 juillet 1972, qui ne compte pas moins, je le rappelle, de 95 articles.

Le groupe a d’ores et déjà procédé à de nombreuses auditions dont celles des représentants des garants et des organisations des professionnels de l'immobilier .

Ces derniers ont exprimé de manière quasi unanime des souhaits de modernisation très pratiques, concernant, par exemple, la possibilité de payer par carte bancaire ou encore celle de tenir les registres avec des outils informatiques. On peut s'étonner que ces mesures simples et modernes n'aient pas encore été prises et je crois savoir que le groupe de travail proposera de satisfaire rapidement ces demandes.

Ces aménagements seront assortis des mesures nécessaires à la sécurité juridique, qui vous tient justement à cœur. Seul un contrôle effectif et sérieux permet de prévenir les dérives qui avaient conduit, en son temps, à l'adoption de la loi HOGUET. Il ne faut donc pas déréglementer la profession, ce que personne ne demande d'ailleurs pas.

Reste que le renouvellement annuel des cartes professionnelles est critiqué par beaucoup dans la profession. Je ne méconnais pas la lourdeur de ce système. Mais je crois essentiel de maintenir un niveau de contrôle approprié. Aussi j’ai demandé au groupe de travail d’imaginer un dispositif qui pourrait être allégé tout en restant aussi efficace.

Je pense qu’il faut également s’attacher à des exigences de qualifications accrues.

Enfin, le dispositif pénal actuel mérite d’être modernisé et adapté aux nouvelles réalités économiques .

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Indépendamment de la réforme de la loi HOGUET, je souhaite voir avancer un autre chantier, celui du droit de la copropriété des immeubles bâtis.

Dans l'immédiat, le projet de décret toilettant celui du 17 mars 1967 est finalisé. Je crois qu’il y a sur ce texte un large consensus et que nous pourrons maintenant le publier dans des délais rapprochés.

Je sais en revanche l’attention particulière que vous porter à la mise en œuvre des nouvelles normes comptables des copropriétés. Je souhaite que le souci de transparence qui guide la réforme se combine avec une facilité d’utilisation et une lisibilité qui rendent réellement efficace le nouveau dispositif pour les copropriétaires.

Sensible aux difficultés qui me sont signalées sur ce point, je me suis aussi attaché à ce que le problème des copropriétés en difficulté fasse l'objet d'une réflexion juridique approfondie. Elle a été confiée à la Commission relative à la copropriété, que vous connaissez bien, puisque vous en êtes membre, et qui siège à la Chancellerie.

Je souhaite que nous légiférions sur ce point pour remédier aux blocages actuels, mais avec le souci de ne pas créer un statut dérogatoire.

Enfin, j’ai demandé à la commission la copropriété de se pencher sur la question délicate des résidences services pour lesquelles certaines dispositions de la loi 1965 ne sont pas adaptées.

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J’en viens maintenant aux baux d’habitation dont la réforme est, elle aussi entamée.

La Chancellerie travaille, avec le ministère de l'équipement et du logement, sur la sortie progressive des locaux soumis à la loi de 1948, que mon collègue Gilles de Robien s’est engagé à traduire dans les faits lors de votre congrès de Nantes.

Les auditions indispensables en la matière, ont d’ores et déjà été menées. A cet égard, j’ai bien noté que l’une des questions soulevées par les propriétaires était celle de la suppression de la transmission de ces baux aux descendants des occupants.

Une autre question est également à l’étude, celle de l’actualisation du décret du 27 août 1987 relatif aux charges locatives récupérables. Le rapport que Philippe PELLETIER vient de remettre à mon collègue Gilles de ROBIEN constitue à cet égard un élément de réflexion important.

On a pu en ce domaine, souligner la distorsion entre le fait et le droit, la liste des charges locatives récupérables n’étant plus adaptée à l’évolution des services offerts aux habitants. D’où des incertitudes juridiques et une incitation au contentieux. La recherche d’un dispositif clair, lisible, mais également emprunt d’une certaine souplesse apparaît donc indispensable.

Comme vous le voyez toutes ces questions correspondent à des préoccupations très concrètes de nombre de nos concitoyens.

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Je ne voudrais pas terminer ce rapide tour d'horizon des chantiers en cours, sans citer celui de la vente immobilière.

Comme vous le savez, le contrat de vente immobilière a profondément évolué depuis plus de 20 ans.

Il n'est plus la simple rencontre de volontés présumées égales où il appartient à l'acheteur de chercher à se renseigner sur une offre dont l'ensemble des composantes ne lui sont pas toujours perceptibles.

Il pèse désormais sur le vendeur une obligation d'information que rappellent de nombreux textes législatifs et réglementaires, pas moins de six au cours de ces dernières années, sans compter le projet de loi relatif à la prévention des risques technologiques et naturels, actuellement en débat au Parlement.


Cette protection de l’acquéreur qui illustre la place croissante du consumérisme dans notre société, n’est pas sans présenter des inconvénients. Elle conduit à une dispersion des textes, à une plus grande complexité des règles, à une lourdeur des démarches et à un coût souvent plus élevé des actes.

Il ne saurait bien sûr être question de remettre en cause la pertinence de dispositions qui visent à protéger la santé des personnes. Mais leur caractère épars et leur variété ne facilitent pour personne leur application et ne permettent pas, en outre, d’assurer un rapport équilibré entre les vendeurs et les acquéreurs.

C'est pourquoi, Gilles de ROBIEN et moi-même, travaillons à un texte global instituant un diagnostic technique du bâtiment et codifiant de façon cohérente les différents états requis.

Il ne s’agit pas d’une remise en cause de fond, mais de l’élaboration d’un document unique, plus lisible et plus facile à manier.

Il resterait attaché aux contrats réalisant ou constatant la vente d’un immeuble à usage d’habitation et il n’est pas prévu de l’inclure dans le contrat de bail.

Le texte devrait être intégré dans le futur projet de loi «Habitat pour tous».

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J'en viens maintenant au thème de votre colloque : «Le décret de 1953, 50 ans après : une modernisation nécessaire».

Je vois à travers ce thème, et les propositions que vous entendez débattre tout au long de cette journée, votre souci, non pas de bouleverser un ordonnancement juridique qui a fait et fait encore ses
preuves depuis 50 ans, mais de réfléchir sereinement et de manière approfondie aux blocages du statut actuel des baux commerciaux eu égard aux évolutions économiques depuis un demi siècle.

Je partage sans réserve la préoccupation qui est la votre de dégager des solutions propres à mieux équilibrer les rapports entre les bailleurs et les locataires.

Mon action dans ce domaine comme dans d'autres, est guidée par le souci de renforcer la prise en compte des principes traditionnels du contrat et donc de la volonté des parties, sans pour autant abandonner les garanties nécessaires à chacune d'elles.

Il est possible et souhaitable de desserrer l'étau juridique pour laisser s'exprimer la volonté contractuelle à chaque fois que la négociation est susceptible d’être opérée dans des conditions équilibrées.

Si le décret du 30 septembre 1953, modifié une vingtaine de fois depuis cette date, n'existe plus formellement aujourd'hui, puisqu’il est inséré au livre premier du code de commerce, sur le fond, cette législation cinquantenaire subsiste et justifie qu'on s'en préoccupe.

Elaboré en des temps de pénurie de baux commerciaux et d'inflation monétaire et destiné à régir des petits commerces , elle peut apparaître aujourd'hui décalée au regard des nouveaux besoins et des nouvelles formes de commercialité, quand bien même elle conserve sa logique et sa cohérence.

La récente codification, ainsi qu'une jurisprudence innovante, ont modifié à la marge des équilibres délicats. Ces changements ont été considérés comme des facteurs d'insécurité juridique, sur lesquels le législateur est revenu en urgence (loi MURCEF).

Cette actualité récente démontre la difficulté de la situation : il est de plus en plus délicat de changer des pièces de cette « horlogerie complexe ».

Il faut toutefois s'y atteler.

Ici, comme dans d' autres domaines de notre législation, il faut savoir affronter la « dialectique » de la loi et du contrat : quel est le niveau de protection nécessaire pour maintenir entre les parties au contrat une situation équilibrée ? Quel est le niveau d'interventionnisme requis pour garantir l'autonomie de la volonté des parties ?

L'étude de ces sujets essentiels pour l'économie ne peut être retardée plus longtemps. C'est pourquoi j'ai demandé à mes services de constituer un groupe de travail qui aura pour tâche de recenser toutes les questions posées, d'entendre tous les acteurs concernés et de faire, sans exclusive, les propositions nécessaires.

J’attache une importance particulière à sa composition. Je souhaite qu’elle soit représentative des différentes approches de la question, qu’il s’agisse des universitaires, des professionnels de l’immobilier, des avocats et bien entendu, des propriétaires et des occupants. Je veillerai à ce que vous y soyez associés.

Ce qui se passe chez les voisins européens pourra éclairer notre réflexion.

D'abord, si la plupart des pays de l'Union européenne ont un statut des baux commerciaux, il est des exceptions notables : en Allemagne, c'est le droit commun des baux qui s'applique.

Quant aux pays qui ont adopté un statut spécifique, le champ d'application de celui ci peut être plus ou moins large. Ainsi, en Belgique, au Luxembourg et aux Pays-Bas, il est essentiellement limité au commerce de détail. En outre , la rigueur du dispositif est très inégale, notamment s’agissant de la durée du bail. A cet égard, seules la Belgique et la Grèce connaissent, comme la France, un bail initial de neuf ans. De même, il est rare que le plafonnement du loyer joue non seulement en cours de bail, mais aussi lors de son renouvellement.

Le rapprochement de notre système national de celui de nos voisins européens n'est pas une fin en soi. Mais notre législation sera naturellement attractive pour l'extérieur, dès lors qu'une solution pertinente aura été trouvée à ce qui est présenté comme des rigidités du système actuel et dont il faut évaluer la réalité.

Pour autant, il n'existe aucune contrainte communautaire qui impose une modification du statut des baux commerciaux. Il est donc possible de maintenir une spécificité nationale.

L'une des questions auxquelles le groupe de travail devra répondre est de savoir si cela est souhaitable.

Il conviendra ainsi de se demander si les prix de détail français peuvent être grevés de charges dont ne sont pas grevés les mêmes prix étrangers et si le phénomène des pas de porte, qui lie le prix de la propriété commerciale à celui des loyers, peut dissuader certains commerçants étrangers de venir s'installer en France.

Plusieurs critiques ont été émises sur le pas de porte, notamment qu'il créerait une inflation artificielle des prix des fonds de commerce et que les jeunes commerçants sont pénalisés par l'importance du capital nécessaire au rachat des droits au bail. Il faudra étudier ces questions.

Il faudra également se demander pour quels types de locaux le besoin de souplesse et une plus grande marge de manœuvre laissée aux parties sont souhaitables.

Je pense bien sur aux bureaux et aux plates formes logistiques.
Il ne s’agit évidemment pas de créer de nouveaux statuts, mais de prendre en compte certaines adaptations qui soient opérationnelles dans l’intérêt de chacun.

La voie qui consisterait à orienter les loyers commerciaux vers davantage de réalisme doit être empruntée, même si la prudence et l'analyse s'imposent.

A cet égard je constate que sont souvent évoqués la libération progressive des loyers, par un retour graduel à l'application de la valeur locative du marché à tous les stades de la vie du bail, ainsi que la limitation dans le temps du droit au renouvellement du bail.

Sur ce point, je suis frappé de l’importance du contentieux que génèrent les dispositions sur le plafonnement. C’est à l’évidence une source de crispation entre les propriétaires et les locataires. Une telle situation n’est satisfaisante ni pour les uns ni pour les autres. Nous devons chercher à améliorer les choses sans perdre de vue que des solutions radicales n’auraient que des effets pervers.

Un certain nombre de critiques sont également émises sur les méthodes de fixation du montant de l’indemnité d’éviction. Il est vrai que le calcul actuel conduit à ce que cette indemnité bénéficie tout particulièrement à ceux qui ont déjà payé un loyer sous évalué ce qui est assez paradoxal. J’ajoute que ce dispositif est pour le moins complexe. J’attends donc également sur ce point des propositions du groupe de travail.

Reste un dernier aspect que je souhaiterais aborder, celui de la durée du bail.

Je sais que certaines voix s’élèvent pour revoir le système du « 3/6/9 » ou permettre plus facilement le recours à des baux de plus longue durée.

Mais je crois que le point central, et qui est d’ailleurs me semble t’il très largement consensuel, est celui de l’assouplissement du régime des baux dits « dérogatoires ».

Le système actuel est en effet trop rigide. La limite des deux ans, s’agissant de la durée du bail, joue comme un véritable couperet. C’est pourquoi il conviendrait d’examiner dans quelle mesure les parties pourraient bénéficier d’une faculté d’adaptation concernant notamment la sortie du bail. Mais il faut aussi se garder de la facilité qui consisterait, face à la difficulté de réformer le régime principal, à multiplier les occasions de s'y soustraire.

Comme vous le voyez, le groupe de travail aura une très lourde tâche afin de proposer les possibilités et les conditions d'une réforme.

Il lui appartiendra de suggérer de nouveaux équilibres entre le droit et l'économie, entre la loi et le contrat.

Il lui appartiendra de définir quel est le degré de sécurité nécessaire pour permettre aux acteurs de l'économie de jouir d'un maximum de liberté.

L'ampleur et l'enracinement des problèmes à résoudre lui imposeront à la fois un devoir d'ambition et de prudence. C'est la condition d'un droit plus efficace et d’une économie plus performante.

Je conclurai en vous disant que les travaux de votre colloque, précieux pour le groupe de travail que je vais instituer, illustrent bien ce constat que la force du dispositif juridique d'un pays passe particulièrement par ses règles de droit.

En ayant choisi de porter vos réflexions sur les baux commerciaux, vous montrez à quel point vous êtes ancrés dans la réalité de la vie économique tout en développant une expertise juridique solide de ce domaine complexe du droit.

Poursuivez dans cette voie.

Je vous remercie.