[Archives] Assemblée générale Association Française Juristes d'Entreprise

Publié le 11 décembre 2003

Discours de Dominique PERBEN, Garde des Sceaux, ministre de la Justice

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Madame la Présidente,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,

C’est avec un très grand plaisir que je vous retrouve ce soir pour votre assemblée annuelle.

Nous nous étions déjà rencontrés l’an passé à cette même occasion et je crois pouvoir dire que l’année qui vient de s’écouler a été celle de l’affermissement des liens entre la Chancellerie et les juristes d’entreprise, notamment par le biais de votre association.

Je constate en particulier que vous êtes de plus en plus présents dans le dialogue que la Chancellerie développe avec l’ensemble des professionnels sur les évolutions du droit que je mène depuis 18 mois. J’y reviendrai dans un instant.

Je me félicite également de la visibilité croissante des juristes d’entreprise dans les différents forums qui discutent des interactions entre le droit et la vie économique. Cela est évidemment dû à votre dynamisme, Madame la Présidente, et à celui de toute votre équipe, que je tiens à saluer particulièrement ce soir.
Cela est également dû à l’importance croissante du droit dans la vie économique, qui met en lumière les rôles déterminants des juristes dans la réussite des projets de développement. Et quand je parle de juristes, je pense naturellement à la fois aux juristes d’entreprise et aux avocats.

La judiciarisation de l’économie, le recours moins grand que par le passé au pouvoir exécutif comme régulateur micro économique, le poids croissant des méthodes anglo-saxonnes dans la culture des entreprises sont autant de raisons qui me font penser que nous ne sommes qu’au début d’une évolution qui se développe et que nous devons comprendre et gérer ensemble.

Parce que je crois au caractère positif de cette tendance, qui manifeste notre adhésion au libéralisme économique, je crois aussi qu’elle nous met face à des défis importants que je résumerai en trois mots :

Compétition d’abord. Notre droit comme notre économie font désormais partie d’une compétition internationale intense. L’ordre économique évolue constamment et se globalise. Pour maintenir cet ordre, la norme juridique doit, elle aussi, se développer en tenant compte de cette échelle planétaire. Le droit applicable dans notre pays est un élément clé de la compétitivité du site France dont vous savez qu’elle est l’une des priorités du Gouvernement auquel j’appartiens. J’ai donc à cœur de tenir compte de cet objectif de compétitivité dans les réformes du droit économique que je mène. La loi de sécurité financière, que j’ai présentée avec Francis Mer, permet de maintenir en France une confiance tout à fait au niveau de celle rencontrée chez nos principaux partenaires.

De même, je travaille à une ordonnance sur la modernisation du droit des valeurs mobilières. Je la présenterai prochainement : elle a vocation à mettre à la disposition des acteurs économiques de notre pays un droit permettant de créer des instruments suffisamment souples pour financer efficacement notre économie.

La compétitivité de notre droit passe aussi par la capacité de nos partenaires à le comprendre et à le pratiquer. Le bicentenaire du code civil que nous allons très prochainement célébrer sera une occasion de porter ce message encore plus explicitement. Des manifestations telles que la Conférence de Paris du Droit et de l’Economie, à laquelle beaucoup d’entre vous ont participé il y a quelques semaines, contribuent, elles aussi, à cet effort commun.

Sécurité ensuite. C’est un concept multiforme. Je sais en particulier que votre préoccupation en tant que juristes d’entreprise porte d’abord sur la sécurité juridique. La sécurité juridique dans la vie des affaires, c’est nécessairement le travail conjoint de l’ensemble des acteurs du droit autour du chef d’entreprise. Garantir, pour le bon fonctionnement de l’économie, une sécurité juridique forte sans être contraignante, en particulier une prévisibilité suffisante du droit, est une responsabilité que nous partageons.

Il s’agit d’abord de la responsabilité des entreprises, au sein desquelles votre rôle de directeur ou responsable juridique va croissant. Beaucoup de dirigeants d’entreprise me le disent.

La responsabilité de la sécurité juridique incombe également au Gouvernement et au législateur, qui doivent travailler à la qualité et à la pertinence de la norme juridique applicable. Ils doivent aussi veiller à doter le pouvoir judiciaire des moyens humains, matériels et des méthodes permettant d’atteindre cet objectif de sécurité juridique. La loi d’orientation et de programmation pour la justice a été adoptée il y a un an. Le budget du Ministère que le Parlement a voté cette semaine en hausse d’environ 5 % est la traduction directe en termes de moyens nouveaux : cet effort exceptionnel de la communauté nationale traduit notre souhait d’une justice plus rapide et plus fiable.

Les évolutions des Tribunaux de Commerce que j’ai également décidées, qui prévoient une optimisation de la formation et de la déontologie des juges consulaires ainsi qu’une réforme de la carte judiciaire vont, je le sais, dans le sens des propositions que l’AFJE avait faites dès 1999.

Je souhaite que vous puissiez continuer à apporter à mes services votre contribution à cette réforme importante que je souhaite réussir avec les professionnels.

Pertinence enfin. C’est évidemment le plus difficile, car la pertinence d’une norme juridique ne correspond pas seulement à des choix techniques. Elle relève aussi de l’adéquation de cette norme avec les aspirations profondes des populations ou le contexte économique et social d’un pays, d’une époque. Ainsi, une règle, une procédure doit sans cesse évoluer pour tenir compte des modifications de la réalité.

Vous le savez, le Parlement examine en ce moment le projet de loi d’adaptation de la justice française aux évolutions de la criminalité. Son objectif est de maintenir la pertinence de notre droit face au développement de la délinquance organisée au plan mondial tout en lui conservant une pleine compatibilité avec les grands principes auxquels nous sommes attachés.iques. Le projet de loi sur la sauvegarde des entreprises auquel nous travaillons ensemble aujourd’hui a vocation à faire évoluer nos règles mais aussi la mentalité de nos entrepreneurs.
Je vous remercie particulièrement de la contribution de qualité que vous avez apportée au débat et qui, ajoutée à celles des autres acteurs de ces procédures, me permettra en fin d’année d’adresser au Conseil d’Etat un projet finalisé.

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Compétitivité, sécurité, pertinence, ce sont trois mots qui me rappellent que c’est d’abord une manifestation de professionnels qui nous réunit ici.
Et, en tant que professionnels, vous êtes soucieux de bénéficier du meilleur cadre possible pour exercer votre activité au sein des entreprises.

J’ai bien entendu, en particulier, votre analyse relative au manque d’encadrement que vous ressentez parfois lorsque vous gérez des questions sensibles propres à votre entreprise, questions qui peuvent engager votre responsabilité personnelle, civile ou pénale.

Je n’ignore pas que, si l’on compare votre situation à celle des professions juridiques réglementées, on relève des différences notables liées à leurs statuts spécifiques.

Mais je vois aussi dans ces différences une possibilité d’enrichissement mutuel.

Je sais d’ailleurs que les juristes d’entreprise, sous l’égide de votre association, ont engagé une démarche ambitieuse. Vous avez la volonté de vous former et de réfléchir à des questions déontologiques comme le secret professionnel ou la confidentialité des correspondances entre praticiens du droit. Je soutiens pleinement votre démarche.

Je souhaite à la fois l’accompagner et l’encourager. C’est pourquoi, j’ai demandé à mes services de participer au groupe de travail que vous avez initié afin de réfléchir ensemble à la formation des juristes d’entreprise à la déontologie. Cette question est importante et je vous invite donc à une réflexion dynamique en la matière, sur la base de laquelle nous pourrons construire pour l’avenir.

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Je ne voudrais pas conclure mon propos sans vous remercier tous encore à nouveau. Je sais que nous partageons un objectif commun : celui de la réussite de notre pays, de notre croissance économique, d’une croissance durable, poussée par la liberté d’entreprendre que le respect du droit permet de garantir.

Madame la Présidente, merci du dynamisme dont vous faites preuve qui témoigne de celui de tous vos collègues ici présents aujourd’hui et de celui de la communauté du droit à laquelle vous appartenez pleinement.