[Archives] Forum de la compagnie nationale des commissaires aux comptes

Publié le 18 décembre 2002

Discours du garde des Sceaux

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9 minutes

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les présidents,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,

C’est avec un grand plaisir que j’ai accepté votre invitation à m'exprimer au Forum de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes.

C'est ma première rencontre, en tant que Garde des Sceaux, avec l'ensemble de votre profession.

Je me félicite avec vous des liens étroits et suivis entretenus entre la Compagnie nationale, qui fédère l’ensemble de la profession, et la Chancellerie. Je vous remercie, Monsieur le Président, pour votre action car ces liens vous doivent beaucoup.

Nos échanges, ont toujours été riches et constructifs. Je ne doute qu'ils le seront plus encore avec la réforme qui s'annonce et dont je suis venu vous présenter les grandes lignes.

Notre rencontre d’aujourd’hui est importante par le nombre et la qualité des professionnels rassemblés.

Elle l'est aussi par le contexte actuel. A l’heure où l’économie de marché, fondée sur la liberté des échanges financiers et des mouvements de capitaux, réclame un niveau de confiance élevé, nous avons plus que jamais besoin de travailler ensemble.

Les récents scandales financiers, concernant principalement les comptes de sociétés américaines, notamment Enron et Wordcom, ont généré des interrogations sur le rôle des organes de surveillance. Il s’est développé, outre-atlantique, une incertitude réelle sur la sincérité des comptes présentés par certaines entreprises et sur la qualité du contrôle légal de ceux-ci. Une véritable crise de confiance s'est manifestée chez les investisseurs.

Nous n’avons pas échappé en France aux conséquences de cette remise en question, alors même que notre pays n’a pas connu de scandale comparable, grâce notamment, je tiens à souligner, à l’efficacité de votre profession.


Le débat est devenu aujourd’hui public. Tous les acteurs, dirigeants, administrateurs, commissaires aux comptes, analystes financiers et bien évidemment les autorités publiques, constituent les maillons d’une chaîne qui doivent œuvrer ensemble pour restaurer la confiance.

Dans ce débat, en effet, deux valeurs me paraissent essentielles, dans une économie de croissance : la confiance et la responsabilité. Je tiens à le dire, votre profession porte ces deux valeurs essentielles en développant la transparence, l’efficacité et la rigueur qui sont aujourd’hui des exigences incontournables.

Comme vous le savez, les Etats-Unis tentent de relancer l’activité des marchés et la confiance des investisseurs grâce à l'importante réforme que constitue la loi Sarbannes Oxley, votée le 30 juillet 2002. Cette loi renforce les moyens de surveillance des administrateurs et des auditeurs.

Elle impose aux dirigeants d’entreprises de certifier le contenu et la véracité de leurs comptes et engage leur responsabilité pénale en cas de manipulation comptable.

En outre, les cabinets d’audit ne peuvent plus, sauf dans des cas très limités, mener de pair des activités de conseil et de contrôle.


En France, la question ne se pose évidemment pas de la même façon. Les règles de droit sont différentes. Nous sommes l'un des pays où la profession de commissaire aux comptes est la plus réglementée. Elle comporte un certain nombre d’incompatibilités, dont la séparation des missions de contrôle et de conseil, et de spécificités telles que le double commissariat.

Pour autant nous ne sommes pas à l’abri des ondes de choc venues d’outre Atlantique, c’est pourquoi la réflexion est nécessaire. Elle s'est engagée à tous les niveaux et s'est développée sous plusieurs aspects.

Ainsi le rapport BOUTON, tout en insistant sur le rôle du conseil d’administration des sociétés anonymes, constate que cet organe collégial n’exerce pas toujours sa mission avec efficacité. Il préconise d’améliorer son fonctionnement par le meilleur exercice des pouvoirs reconnus aux administrateurs, par une plus ample information et par un nombre plus important d’administrateurs indépendants. Il ne comporte en revanche que des recommandations succinctes en matière de commissariat aux comptes.

Si le gouvernement d’entreprise constitue l’une des réponses à la crise de confiance que nous vivons, elle n'en est pas la seule. Votre profession ne peut rester à l'écart du débat actuel.

Le modèle français de commissaires aux comptes, parce que défendu activement par la Compagnie nationale avec l’appui constant de la Chancellerie, a montré toute sa pertinence à la lumière des événements récents.

Dans un contexte où les places financières connaissent des moments difficiles, j’ai confiance dans la capacité des commissaires aux comptes à toujours développer une information financière et économique de qualité, seule en mesure d’améliorer la transparence de la vie des affaires.

J’ai dit au président TUDEL et au président RICOL, lors nos entretiens toute l’importance que j’attache à cette confiance indissociable de votre profession. Je veux vous le redire ici publiquement.

Avec vous et vos représentants, je veux encore améliorer les règles applicables en France, tant en droit des sociétés proprement dit qu’en matière de contrôle légal des comptes. Il s’agit de répondre ensemble aussi bien aux enjeux propres des marchés qu’aux attentes de l’ensemble des acteurs du monde économique et social.

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Le projet de loi qui est cours d’élaboration, se situe dans la continuité d’une action que votre profession a entreprise depuis longtemps.
Vous avez créé le contrôle de qualité pour les sociétés faisant appel public à l’épargne et chacun s’accorde à dire que celui-ci fonctionne bien.

Votre code de déontologie traduit la volonté de toute la profession de ne pas transiger avec cette valeur essentielle à la vie des affaires comme à la vie publique en général, l’éthique.

En partenariat avec la COB (Commission des opérations de Bourse), votre compagnie nationale a créé le comité de déontologie de l’indépendance. Celui-ci a permis aux professionnels de trouver un interlocuteur prêt à réfléchir aux moyens de conforter les garanties indispensables aux commissaires aux comptes pour l'exercice de leur mission.

Votre compagnie travaille également avec détermination à améliorer les modalités du contrôle et établir des normes d’audit pour les professionnels.

Enfin, votre profession a manifesté sa volonté de répondre aux enjeux actuels en présentant un projet de contrat de progrès.

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Le projet de loi que le gouvernement entend présenter au Parlement permet de conforter ce travail important. Il assure les commissaires aux comptes du soutien de l’Etat dans une mission dont l’importance pour les actionnaires, les associés et les tiers doit être toujours réaffirmée et expliquée.

Ce texte n’est bien évidemment pas un signe de défiance à l’égard d’une profession qui aurait manqué à ses devoirs. C'est au contraire l'affirmation de l’importance de celle-ci et la garantie pour les professionnels d’avoir des règles claires et protectrices.

Tel est l'objectif du titre III du projet de loi relatif à la sécurité financière que j'aurai l'honneur de défendre au Parlement au début de l'année prochaine.

Ce texte propose la modernisation des autorités de contrôle, l’amélioration du contrôle légal des comptes et de la transparence.

Je n’évoquerai devant vous que les dispositions vous concernant directement.

Le projet s’attache d'abord à maintenir l’unité de la profession et le respect d’une déontologie commune.

Il instaure un contrôle équivalent quelle que soit la personne morale contrôlée par les commissaires aux comptes. Toutefois, certaines adaptations sont prévues pour les sociétés faisant appel public à l’épargne et les personnes morales ayant recours à la générosité publique.

Il réaffirme le rôle majeur donné aux organes de votre profession. Les compagnies régionales conservent, bien sûr, Monsieur le Président, pour répondre à votre question, leur personnalité morale et la compagnie nationale devient un établissement d’utilité publique . Instituée auprès du garde des sceaux, celle-ci a un rôle normatif dans l’élaboration des règles professionnelles, mais aussi dans la mise en œuvre du contrôle de la qualité des travaux et des investigations de ses pairs. En outre, elle participe activement au respect des règles de déontologie qui s’imposent à la profession.

Quel que soit en importance, ce rôle n’est cependant plus aujourd’hui plus suffisant. Il est nécessaire de compléter le dispositif pour passer d’un système proche de l’autorégulation à un système de régulation partagée avec pour objectif de renforcer la crédibilité des professionnels et la qualité de leurs travaux.

A cet effet, j’ai souhaité que soit créé un Haut conseil du commissariat aux comptes, ce titre tenant compte, vous le voyez, de vos observations. Je propose au Parlement que cette autorité contribuent à une meilleure transparence du fonctionnement et du contrôle du commissariat aux comptes. Elle sera constituée de juristes, de personnes qualifiées dans le domaine de l’économie et des affaires financières, de représentants des autorités du marché et des universités et, bien sûr, de commissaires aux comptes.

Le Haut conseil pourra créer, comme vous le souhaitiez, des commissions consultatives, avec la participation d’experts, pour préparer ses avis et décisions, notamment dans des domaines spécifiques tels que l’appel public à l’épargne ou le contrôle des associations.

Le projet prévoit que les normes d’audit élaborées par la Compagnie nationale, avec la collaboration des Compagnies régionales, devront être homologuées par le Garde des Sceaux, après avis du Haut conseil. Leur force probante ainsi reconnue renforcera la position du commissaire aux comptes tant à l’égard des personnes contrôlées que des juridictions.

Le contrôle de qualité assuré aujourd’hui par le comité d’examen national d’activité (CENA), suivant un programme établi conjointement avec la COB, sera encadré par le Haut conseil. Il incombera désormais en effet à ce dernier d’organiser les contrôles de la profession. C’est en effet lui qui, à l’avenir, décidera de la teneur de ce programme et déterminera les thèmes de vérification. Les contrôles ainsi organisés permettront de veiller à la qualité des travaux et au respect de la déontologie. Ses principes seront définis dans un décret soumis à l’avis préalable du conseil. Comme vous le relevez, Monsieur le Président, ces cas seront bien exceptionnels.

Par ailleurs, des inspections ponctuelles pourront être demandées par le Garde des Sceaux, dans des cas nécessairement limités et portant atteinte à l’ordre public.

Le Haut conseil sera également l'organe d’appel des chambres régionales, pour l’inscription et la discipline des commissaires aux comptes. Il remplacera donc, en ces matières, la chambre nationale de discipline.

Les obligations professionnelles du commissaire aux comptes sont également renforcées.

Sera rappelée, en premier lieu, l’interdiction de prendre, recevoir ou conserver tout intérêt, direct comme indirect, auprès de la personne dont le commissaire aux comptes doit certifier les comptes.

Les incompatibilités, pour certaines quelque peu obsolètes, seront définies de façon plus précise et adéquate par le code de déontologie.

Par ailleurs, le projet réaffirme, pour lever toute ambiguïté, le principe de la prohibition de la fourniture de conseil par le commissaire aux comptes. Il fixe en même temps clairement l’exception limitée aux conseils directement liés à la mission. Enfin il précise qu’il appartiendra aux normes professionnelles de définir ces exceptions.

Le principe de séparation du contrôle et du conseil s’applique à chacun, notamment aux réseaux. Aussi le commissaire aux comptes affilié à un réseau, ne pourra-t-il accepter une mission de certification des comptes d’une société française si celle-ci reçoit par un autre membre du réseau, des conseils autres que ceux directement liés à la mission. Le haut conseil sera chargé d’apprécier ce lien entre les conseils et la mission.


Pour autant l’existence même des réseaux n’est pas remise en cause, car la pluridisciplinarité est un facteur de compétence.

Que les choses soient claires :

  • est prohibé le conseil par le commissaire aux comptes à la société qu'il contrôle ;
  • cette interdiction s'étend aux filiales de la société contrôlée ;
  • est également prohibé le contrôle par le commissaire au compte de toute personne conseillée par un membre du réseau auquel il appartient ;
  • en revanche, il n'est pas interdit à un commissaire qui contrôle une société d'appartenir à un réseau qui conseille une ou plusieurs de ses filiales, françaises ou étrangères. La règle de la séparation du contrôle et du conseil s'apprécie en effet personne morale par personne morale.

Ainsi le texte n'a nullement de portée extra-territoriale.

Le projet de loi améliore également la qualité du contrôle, par le renforcement du système du co-commissariat mis en place pour l’exercice du contrôle des comptes consolidés.

Enfin, le texte prévoit un dispositif de rotation des commissaires aux comptes après l’exercice d’un mandat. Il s'appliquera aux personnes physiques signataires, chargées de la certification des comptes des sociétés faisant appel public à l’épargne, des personnes morales ayant une activité économique et des associations dès lors qu’elles font appel à la générosité publique.


Je sais que cette question de la rotation et des nominations décalées dans le temps des commissaires est importante pour vous. Le président TUDEL m’a notamment signalé les difficultés de cette alternance. Je me propose d'examiner donc à nouveau cette question avec mon collègue ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

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Tel est, Mesdames et Messieurs, le cadre juridique qui vous est proposé, pour vous permettre d'agir encore davantage en acteurs de la sécurité financière.

Cette réforme engagée, nous la réussirons ensemble, car je vous sais déterminés comme je le suis moi-même à ce que chacun accorde au modèle français de commissaires aux comptes, toute la confiance qu'il mérite.

Je vous remercie.