[Archives] Projet de loi relatif aux juges de proximité
Publié le 18 décembre 2002
Discours du garde des Sceaux à l'Assemblée nationale lors de l'examen du projet de loi
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
J’ai l’honneur de soumettre à votre assemblée en première lecture le projet de loi organique relatif aux juges de proximité adopté par le Sénat le 3 octobre dernier.
La création d’une véritable juridiction de proximité constitue un engagement majeur du Président de la République et du Gouvernement devant les Français. Elle répond à une très forte attente de nos concitoyens à l’égard de la justice. C’est à ce titre qu’elle figure parmi les priorités de la législature inscrites dans la loi d’orientation et de programmation pour la Justice.
Il s’agit d’apporter aux petits litiges civils du quotidien comme aux petites infractions aux règles de vie en société une réponse judiciaire simple, rapide et efficace.
Or, cette réponse fait aujourd’hui défaut.
Bon nombre de conflits de la vie courante ne sont pas portés devant le juge par crainte de délais et de coût des procédures. Quant aux « petites » infractions, le taux de classement sans suite est important, sans compter celles qui ne donnent même pas lieu à une plainte, par découragement des victimes.
La loi d’orientation et de programmation pour la justice fixe les compétences de la juridiction de proximité en matière civile et pénale ainsi que les principales règles d’organisation et de procédure.
Une juridiction autonome nouvelle est donc créée. Elle sera composée d’un ou de plusieurs juges de proximité. Ces juges ne seront pas des magistrats professionnels.
Ils exerceront une part limitée des fonctions actuellement assumées par les magistrats des juridictions de première instance.
Votre commission des lois propose de rétablir très clairement l’affirmation de ce dernier point. Cela me paraît très judicieux d’un point de vue constitutionnel.
Notre objectif dans les cinq ans à venir est de recruter 3300 juges de proximité. Si vous adoptez le texte aujourd’hui soumis à votre examen, ce recrutement pourra être lancé dès le début de l’année 2003.
Le choix d’une juridiction autonome est celui de la clarté et de la lisibilité pour nos concitoyens.
Je sais qu’il a suscité certaines interrogations ou incompréhensions quant à la place respective de la juridiction de proximité et de la juridiction d’instance, laquelle incarne également une forme de justice proche des justiciables.
Je le répète, il n’y a à mon sens aucune opposition mais au contraire une parfaire complémentarité de fonctions entre ces deux formes de justice proche des justiciables. Le juge de proximité déchargera le juge d’instance des petits litiges ne posant pas de difficulté juridique et celui-ci pourra se recentrer sur les conflits présentant une certaine technicité.
Il n’en reste pas moins qu’il convient de mieux préciser l’articulation des rapports entre ces deux juridictions très proches l’une de l’autre.
Votre Commission des lois y a été particulièrement attentive, en proposant un amendement qui confie au juge d’instance le soin d’organiser l’activité et les services de la juridiction de proximité. Ce choix est judicieux, la juridiction de proximité, par son fonctionnement intermittent, doit s’appuyer sur une autre juridiction. Le tribunal d’instance est à cet égard tout désigné.
Le texte voté par le Sénat conférait ce pouvoir d’organisation au Président du tribunal de grande instance.
J’avais cependant pris l’engagement que des dispositions réglementaires associeraient étroitement le juge d’instance chargé de la direction et de l’administration du tribunal.
L’amendement de votre commission des lois va plus loin.
Il attribue d’emblée l’ensemble de l’activité d’animation, de coordination et d’organisation des services de la juridiction de proximité au juge d’instance.
Cette orientation présente l’avantage de mieux faire coïncider la géographie des lieux et la proximité des compétences et des hommes. En effet, les juges d’instance et les juges de proximité exerceront dans des locaux le plus souvent communs. Et le personnel de greffe travaillera aussi bien pour le juge d’instance que pour le juge de proximité.
J’ajoute que ce rapprochement correspond aux attentes exprimées par les juges d’instance lors des entretiens que j’ai eus avec leurs représentants. Le gouvernement y est donc favorable.
Votre commission prévoit également, dans le même logique, la participation du juge d’instance au processus d’évaluation de l’activité professionnelle des juges qui la composent. Le Gouvernement, je vous l’indique dès à présent, est également favorable à cette disposition.
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L’objet principal du projet de loi organique est de déterminer le statut du juge de proximité. Il s’agit des règles applicables en matière de recrutement, de nomination, de formation, d’incompatibilités et de discipline.
Notre choix est donc de confier la juridiction de proximité, non pas à des magistrats de carrière, mais à des juges recrutés à titre temporaire pour une durée limitée, qui assureront, en fonction de leur disponibilité, un certain nombre de vacations.
C’est une réponse efficace pour traiter les « petits » contentieux.
Ce seront des juges à part entière, qui rendront des décisions ayant force exécutoire. C’est pourquoi ils doivent bénéficier, dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles, de garanties d’indépendance de même niveau que celles qui protègent les juges professionnels, sous la seule réserve des adaptations rendues nécessaires par le caractère intermittent de leurs fonctions.
Le Conseil Constitutionnel a, comme vous le savez, déjà eu l'occasion de se prononcer sur ce point à propos des magistrats recrutés à titre temporaire, juges non professionnels comme les juges de proximité. Il a précisé les conditions propres à assurer l’indépendance de ces juges, ainsi que leur qualification.
Le projet de loi organique s’est très clairement inspiré de ce précédent. Il satisfait donc pleinement aux exigences constitutionnelles.
1/ Il fixe tout d’abord les conditions de nomination aux fonctions de juge de proximité.
Il importe que ces personnes présentent les capacités requises pour l’exercice de fonctions judiciaires.
Pourront ainsi être nommés juges de proximité les anciens magistrats de l’ordre administratif comme de l’ordre judiciaire, les auxiliaires de justice tels que les avocats, les notaires, les huissiers de justice, ou encore les personnes justifiant d’une formation supérieure de niveau Bac + 4 et d'une expérience professionnelle à caractère juridique : juristes d'entreprise , anciens fonctionnaires de justice….
Le Sénat a souhaité élargir le champ de ce recrutement à plusieurs catégories de personnes dont il a estimé que l’expérience professionnelle particulièrement importante était de nature à garantir l’aptitude à ces fonctions. Il a notamment visé les conciliateurs de justice, les personnes exerçant des responsabilités de direction ou d’encadrement, ou encore les anciens fonctionnaires de catégorie A.
Le Gouvernement n’est pas hostile à ce que soit fait une plus large place à l’expérience professionnelle, qui est un gage important de bonne justice, dans le respect toutefois des exigences constitutionnelles.
J’avais souligné devant le Sénat que vous pourriez, Mesdames et Messieurs les députés, préciser le champ de cet élargissement.
C’est ce que propose votre Commission des Lois à travers plusieurs amendements qui renforcent les conditions. Le Gouvernement en approuve globalement l’économie.
Il s’agit là d’un aspect important. La justice de proximité loin d’être comme l’ont prétendu certains, de façon caricaturale, une « justice au rabais » sera une justice de qualité.
Les juges de proximité seront nommés pour une durée de sept ans.
Le Sénat avait souhaité que ce mandat soit renouvelable une fois.
Mais une telle possibilité de renouvellement – et donc de non renouvellement – serait contraire aux garanties d’indépendance dont bénéficient les magistrats du siège dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles.
C’est pourquoi le Gouvernement ne peut qu’approuver la proposition de votre Commission des Lois de revenir sur ce point au texte initial du projet.
L’indépendance des juges de proximité sera également garantie par leur mode de nomination, qui interviendra dans les formes prévues pour les magistrats du siège.
Ils seront nommés sur proposition du Garde des Sceaux par décret du Président de la République, pris sur l’avis conforme de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du siège. Aucune nomination ne pourra donc intervenir sans l’aval du Conseil Supérieur.
Ce dispositif est essentiel. Le Gouvernement ne veut pas d’une justice qui pourrait susciter les soupçons. Les juges de proximité bénéficieront donc de garanties équivalentes à celle des magistrats professionnels.
La formation de ces juges est également fondamentale, pour que la justice de proximité soit une justice de qualité. Cette formation doit porter sur l’actualisation des connaissances théoriques, les spécificités de leurs fonctions et les règles déontologiques.
Elle sera organisée par l’Ecole nationale de la magistrature et comportera un stage pratique en juridiction.
Votre Commission des Lois propose que, si le Conseil supérieur de la magistrature en décide, le candidat dont la nomination lui est soumise par le Garde des Sceaux suivra une formation probatoire. C’est à l’issue de cette période que le Conseil supérieur rendra son avis.
Même si le Conseil supérieur estime inutile un stage probatoire, le juge de proximité suivra en toute hypothèse une formation complémentaire d’adaptation.
Ce dispositif souple m’apparaît tout à fait satisfaisant. Il renforce les exigences de formation tout en permettant d’opérer des distinctions selon le cursus professionnel des candidats. Il est clair qu’un conseiller à la Cour de Cassation en retraite n’aura pas à se soumettre à un stage probatoire que pourra en revanche suivre le responsable du service juridique d’une entreprise.
J’ajoute que le Gouvernement veillera, par les textes réglementaires d’application, à ce que les modalités de cette formation, et notamment sa durée, soient compatibles avec l’exercice d’une activité professionnelle. Les candidats potentiels qualifiés seront ainsi encouragés à postuler.
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2/ S'agissant en second lieu des modalités d'exercice des fonctions de juge de proximité, le projet de loi prévoit que ceux-ci exerceront leurs missions à temps partiel sur la base de vacations.
Les modalités de leur rémunération seront fixées par un décret en Conseil d’Etat dans des conditions qui ne seront évidemment pas de nature à porter atteinte au principe d’égalité de traitement avec les magistrats professionnels.
Dès lors qu’ils n’exerceront leurs fonctions juridictionnelles que pour une part limitée de leur temps, les juges de proximité auront la possibilité d’exercer une activité professionnelle parallèle. Celle-ci ne doit naturellement pas porter atteinte à leur indépendance ni à la dignité de la fonction.
Pour les membres des professions libérales juridiques et judiciaires, tels que les avocats, notaires, huissiers ou greffiers de tribunaux de commerce, les liens étroits qu’ils entretiennent avec l’institution judiciaire commandent en outre de poser des règles particulières d’incompatibilité, de nature à prévenir au maximum les risques de conflit d’intérêt.
Il est raisonnable de prévoir qu’ils ne pourront être juges de proximité dans le ressort du tribunal de grande instance où se situe leur domicile professionnel.
Au Sénat, ces règles propres à prévenir tout conflit d'intérêts ont encore été renforcées. Ainsi, il leur est, en l’état actuel des textes, interdit d’effectuer des actes de leur profession dans le ressort de la juridiction de proximité, ou de faire état de leur qualité de juge de proximité dans leur activité professionnelle. Ces dispositions doivent, à mon sens, être approuvées.
Enfin les juges de proximité prêteront le même serment que les magistrats professionnels. Ils relèveront comme eux, en matière disciplinaire, de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du siège.
Le Gouvernement est favorable à la clarification apportée par l’un des amendements de votre Commission des Lois quant à la procédure suivie en cas d’exercice d’une activité professionnelle nouvelle qui serait incompatible avec les fonctions de juge de proximité.
Avec ce dispositif très complet, le statut des juges de proximité présente toutes les garanties.
Nous ne voulons ni d’une justice « de seconde zone », ni d’une « justice de notables », mais une justice proche, efficace et de qualité.
Notre seul souci est de répondre de manière satisfaisante à l’attente des justiciables.
Je suis convaincu que le texte qui vous est soumis, complété par les amendements de votre Commission, le permet.
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Deux autres dispositions ont été introduites dans ce projet, à l’initiative du Gouvernement, lors de la première lecture devant le Sénat.
Ces mesures de gestion contribueront, elles aussi, à améliorer le fonctionnement des juridictions judiciaires.
Il s’agit en premier lieu de pérenniser la possibilité, pour les magistrats des cours d’appel et des tribunaux de grande instance, d’être maintenus en activité en surnombre en juridiction pendant trois ans après leur admission à la retraite par limite d’âge.
Cette possibilité n’est aujourd’hui ouverte que jusqu’au 31 décembre 2002. Il est nécessaire de lui donner un caractère permanent, comme vous l’avez déjà décidé dans la loi d’orientation et de programmation pour les magistrats des juridictions administratives.
Cette mesure contribuera très utilement à réduire les délais de jugement et à résorber les stocks d’affaires à juger. Il s’agit bien, comme avec la juridiction de proximité, d’améliorer la qualité de la réponse judiciaire.
Il s’agit en second lieu de supprimer la fonction de juge des affaires familiales de la liste des fonctions spécialisées du siège dont la durée d’exercice est limitée à 10 ans. Prévue par la loi organique du 25 juin 2001, cette spécialisation qui doit se traduire par la localisation des emplois correspondants, conduirait, compte tenu de l’importance de l’effectif concerné, à introduire dans la gestion des juridictions une rigidité très préjudiciable à leur bon fonctionnement. C’est ce que nous confirment les rapports qui nous parviennent des présidents des tribunaux de grande instance.
Il m’apparaît donc préférable de revenir sur ce point à l’état de droit antérieur, dans lequel cette fonction était attribuée par l’ordonnance de roulement du président de la juridiction.
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Telles sont les grandes lignes du projet de loi organique que le gouvernement soumet aujourd’hui à votre examen.
C’est un projet ambitieux pour nos concitoyens.
Nous ne devons pas les décevoir.
Votre commission des lois, son Président, Monsieur Pascal CLEMENT et son rapporteur, Monsieur Emile BLESSIG, l’ont bien compris.
Je rends hommage à leur travail d’une très grande qualité comme à leur détermination profonde de rechercher les solutions les plus adaptées aux réalités concrètes de la justice d’aujourd’hui.
Je crois que nous avons beaucoup avancé pour mettre en œuvre une vraie justice de proximité, qui repose sur ces nouveaux juges, comme sur les juges d’instance.
Leur complémentarité est totale. Le texte qui vous est proposé, avec les amendements de votre commission des lois, permettra de la traduire dans les faits.
Lorsque vous aurez adopté ce dispositif performant, il nous restera à le mettre en place.
Nous le ferons en 2003 dès que la loi organique sera promulguée.
Votre vote aujourd’hui est donc essentiel et je sais pouvoir compter sur votre assemblée.
Je vous remercie.