Typologie de contenus: Actualité

Le procès du maréchal Ney

Publié le 06 août 2012 - Mis à jour le 11 juillet 2024

Dans la série « les grands procès de l’histoire », retrouvez celle du maréchal Ney. 

Le procès du maréchal Ney - Sources : Wikimedia commons

Temps de lecture :

6 minutes

Il est des fidélités – ou des ralliements – qui se paient très cher, et celle du maréchal Ney en est le plus parfait exemple. Ancien grand soldat de l'Empire, Michel Ney jure à Louis XVIII après le retour de Napoléon de l’Ile d’Elbe de le ramener "dans une cage de fer", comme un trophée. À Laffrey, une petite localité non loin de Grenoble, le maréchal Ney, alors qu'il commande les troupes royales, fait volte face en se jetant dans les bras de Napoléon Bonaparte, se ralliant de fait à sa cause. Ce revirement lui coûtera la vie.

Michel Ney (1769-1815), issu d'une famile modeste, devint soldat en 1787 et monta rapidement en grade pendant les guerres de la Révolution comme d'autres à cette époque.

Général en 1796, maréchal de France en 1804 puis grand aigle de la Légion d'honneur en 1805, il apposa son nom à toutes les grandes batailles de l'Empire : Ulm, Iéna, Eylau, Friedland, Borodino...
Honoré pour sa bravoure, il obtint les titres de duc d'Elchingen et prince de la Moskowa.

Mais sa trop grande fidélité à Napoléon allait finalement le mener à sa perte : il fut fusillé par ses compatriotes le 7 décembre 1815. Il avait 46 ans.

Le contexte

À la seconde chute de Napoléon, après les Cent-Jours et la célèbre défaite de Waterloo, une vague de terreur se répand dans tout le pays : les anciens fidèles de l'Empire sont pourchassés dans toutes les régions de France par des partisans royalistes.

Cette chasse à l'homme devait même se dérouler au plus haut sommet de l'Etat. C'est ainsi que Louis XVIII, frère de Louis XVI et nouveau roi de France, demande à Joseph Fouché, ministre de la Police, de lui communiquer une liste d'officiers accusés de traîtrise pour avoir rejoint Napoléon pendant les Cent-Jours. Le plus illustre d'entre eux, le maréchal Ney, en faisait partie.

Réfugié au château de Bessonies (Lot) et dénoncé par Jean-Baptiste de La Tour de La Placette, le maréchal est arrêté le 5 août puis emprisonné à la Conciergerie à Paris deux semaines plus tard.

Conseil de guerre ou chambre des pairs ? 

C'est le préfet de police de Paris, Elie Decazes, qui se charge lui-même des trois interrogatoires préliminaires. Les questions tournent globalement autour de cette volte-face incroyable et les raisons qui poussèrent Ney à rompre le serment qu'il avait fait au roi Louis XVIII.
Le compte-rendu des déclarations du maréchal est ensuite transmis au conseil de Guerre considéré comme seul compétent pour juger les actes de l'accusé.

Ce conseil était notamment composé de Moncey et Jourdan, deux anciens maréchaux et compagnons d'armes de Ney, et quand le premier, en tant que doyen, refuse catégoriquement de siéger à ce procès, le second nommé président entérine l'idée qu'un maréchal de France ne peut  être jugé que devant la Chambre des pairs, haute assemblée du royaume.
Après délibération, il apparaît que les autres membres du conseil abondent en ce sens et relevant leur incompétence.

La réaction royale ne se fait pas attendre : dès le lendemain, Louis XVIII ordonne par décret que l'affaire serait effectivement portée devant la Chambre des pairs.

Le procès

Le 21 novembre, le procès s'ouvre donc au palais du Luxembourg, siège de la Haute assemblée. Mais à peine les débats s'étaient-ils engagés que les avocats de l'accusé remettent en cause la légalité de la procédure au motif qu'aucune loi antérieure n'avait été prise pour faire de la Chambre des pairs une juridiction pénale. Les débats sont donc ajournés à une date inconnue, le temps pour le ministère public de régler cette question juridique.
Ce nouveau retard dans le déroulement du procès, s'il exaspère les royalistes les plus extrêmes, donne un répit supplémentaire à plusieurs membres de la Chambre qui rechignaient à devenir les simples exécutants (et bourreaux) de la vengeance royale.

Le Maréchal Ney remet aux soldats du 76e régiment de ligne, leurs drapeaux retrouvés - Sources : Wikimedia Commons

Les débats reprennent finalement le 4 décembre et, tout comme les premiers interrogatoires du mois d'août, ils concernent la « grande trahison » du maréchal Ney.

 

« Monsieur le maréchal Ney avait reçu des ordres précis. Il devait employer les forces qui lui étaient confiées à anéantir, à exterminer l'usurpateur [Napoléon Ier, ndlr]. Il quitta Besançon pour se rendre à Lons-le-Saulnier et c'est dans la fatale nuit du 13 au 14 mars qu'il se rend coupable du plus grand crime, qu'il paie par tant de perfidie les bienfaits dont il avait été comblé. »

Le procureur général Bellart, en charge de l'accusation, parle même d' "acte prémédité" et prétend que Ney avait déjà préparé le retour de l'empereur de l'île d'Elbe, ce que ce dernier nie formellement. Un long débat de procédure s'engage, les avocats du Maréchal obtiennent un délai pour citer les témoins de la défense ainsi que l'abandon de l'accusation de préméditation. Les séances verront se succéder 37 témoins appelés par l'accusation et seulement quatre pour la défense de Ney. 

Pour sa défense, Ney avance que les événements ont été très rapides. Lorsqu'il est arrivé à la tête de ses bataillons en face de l'armée impériale reconstituée, ses soldats l'ont abandonné, se sont sauvés pour rejoindre Napoléon : « Je n'avais que quatre misérables bataillons qui m'auraient pulvérisé si j'avais ordonné de marcher pour le roi ».

Bellart entame son réquisitoire centrant son discours sur la nuit du 13 au 14 mars 1815. Ce qui se déroula durant cette nuit demeure énigmatique. Le 13, le maréchal Ney charge le général Mermet de se rendre à Besançon pour prendre le commandement de l'armée au nom de Louis XVIII afin de contrer l'armée impériale qui avance vers cette position. Le 14, le maréchal lui ordonne d'aller à Besançon, mais cette fois pour y commander au nom de l'empereur. Le général refusera et sera remplacé.

Le procureur général, de manière péremptoire, déclare : « En une seule nuit, le maréchal était perverti. Il devient traître à son roi et perfide à sa patrie !... Il n'est point un de ces hommes qui puisse chercher quelque excuse dans leur ignorance. Le maréchal Ney, au premier rang de nos guerriers, l'un des citoyens les plus illustres qui firent longtemps la gloire de la France, ne devait chercher sa conduite que dans ses devoirs.... ».

Trois questions sont posées aux pairs :

  1. Le maréchal Ney a-t-il reçu des émissaires dans la nuit du 13 au 14 mars ? 111 pairs votent pour, 47 contre et les autres s'abstiennent.
  2. Le maréchal Ney a-t-il lu, le 14 mars, une proclamation invitant les troupes à la défection ? Trois protestent et votent contre, 158 votent pour.
  3. Le maréchal Ney a-t-il commis un attentat contre la sûreté de l'Etat ? Le résultat donne 157 voix pour trois voix pour avec atténuation et une voix contre, celle du duc de Broglie, le plus jeune des pairs de France, qui écrira dans ses "Mémoires" : « Nous délibérions dans une atmosphère d'intimidation dont le poids était étouffant. »

Deux jours plus tard, les pairs de France rendent leur verdict et, à la quasi-unanimité, reconnaissent le maréchal Ney coupable d'avoir attenté à la sûreté de l'État. Certains pairs, anciens maréchaux comme Ney, refusant catégoriquement d'envoyer à la mort un frère d'armes et ami, tenteront de faire adopter la peine de déportation. Mais l'inéluctable advint : la condamnation à mort est votée à 138 voix sur 161, et parmi ceux qui ont voté la mort, l'on comptera tout de même cinq maréchaux d'Empire.

Exécution du maréchal Ney - Sources : Wikimedia commons

Épilogue

La fin de celui qu'on surnommait le "Brave des braves" est entrée dans la légende : refusant de se mettre à genoux et d'avoir les yeux bandés, il commande lui-même au peloton d'exécution de le fusiller en criant "soldats, droit au cœur".

Près de 200 ans plus tard, si sa réhabilitation, par la révision pure et simple du procès, a été envisagée par plusieurs historiens, il apparaît que le maréchal Ney ait déjà été réhabilité par la postérité qui le dépeint comme un chef militaire courageux et proche de ses hommes mais souvent irréfléchi et impulsif, traits de caractère expliquant manifestement sa destinée.