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Discours de Didier MIGAUD -Séminaire pour le 10e anniversaire de la création du PNF, mercredi 15 octobre
Publié le 15 octobre 2024
- seul le prononcé fait foi -
Mesdames et Messieurs les hauts représentants des autorités judiciaires européennes et étrangères et des institutions internationales,
Monsieur le procureur général près la Cour de cassation,
Monsieur le premier président de la cour d’appel de Paris et madame la procureure générale près celle-ci,
Mesdames et messieurs les premiers présidents et procureurs généraux,
Madame la présidente de l’Autorité de la concurrence,
Madame la présidente de l’Autorité des marchés financiers,
Mesdames et Messieurs les présidents, directeurs et secrétaires généraux des autorités indépendantes, administrations centrales et services de l’Etat,
Monsieur le procureur de la République financier,
Mesdames et messieurs les présidents et procureurs de la République,
Mesdames et messieurs les magistrats de la Cour de cassation et de la Cour des comptes,
Chers collègues, magistrats du parquet et du siège, des tribunaux judicaires et cours d’appel, assistants spécialisés et greffiers,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très honoré de pouvoir m’adresser à vous aujourd’hui en clôture du séminaire célébrant le dixième anniversaire du parquet national financier (PNF). Il s’agit d’une étape cruciale pour cette institution qui, en une décennie, a su marquer de son empreinte l’histoire judiciaire de la France dans sa lutte contre la grande délinquance économique et financière.
J’adresse en premier lieu mes sincères remerciements à Monsieur le premier président, Jacques Boulard, et à Madame la procureure générale, Marie-Suzanne Le Quéau, pour leur accueil dans ce lieu exceptionnel.
C’est un vrai symbole que ces dix premières années d’existence soient célébrées ici au sein de cette cité judiciaire, qui fut un Palais royal et le siège de l’ancien Parlement de Paris, et où donc la Justice est rendue depuis des siècles. A l’instar de ces lieux, le PNF est à la fois le fruit de notre histoire et le témoin de notre modernité.
Le second symbole important que je vois dans l’organisation de cet événement relève de son financement. Le rassemblement en ce lieu de toutes les forces engagées dans la lutte contre les atteintes à la probité et la criminalité financière est en effet permis par le réemploi vertueux des fonds versés par la Mildeca et l’Agrasc, provenant des confiscations opérées sur les groupes criminels et les délinquants grâce à l’action conjointe de l’autorité judiciaire et des services d’enquête. Beau symbole en vérité, auquel je suis sensible aussi bien comme ministre de la Justice que comme ancien Premier président de la Cour des comptes !
Madame la Procureure générale de Paris, madame la directrice des affaires criminelles et des grâces, monsieur le procureur de la République financier, je vous remercie vivement pour la proposition qui m’a été faite de clôturer cet événement et vous félicite pour l’organisation de ce bel anniversaire qui honore la Justice.
Comme vous le savez, dans mes dernières fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), j’ai été amené à formuler régulièrement des propositions visant à améliorer la lutte contre la corruption et la défense de la probité. Il s’agit en effet d’un sujet qui me tient particulièrement à cœur.
Je partage votre conviction : la corruption et les atteintes à la probité fragilisent les fondements de notre pacte démocratique. Elles instillent la suspicion, la défiance des citoyens vis-à-vis des institutions et de leur capacité à garantir une contribution équitable de chacun aux finances publiques.
Comment ne pas se révolter contre l’injustice de l’évasion fiscale ? Qui peut accepter que le jeu de la concurrence soit faussé de telle façon que ceux qui travaillent en sortent perdants ? Qui peut tolérer que des agents publics favorisent leur intérêt personnel au détriment de l’intérêt général ?
Cette délinquance donne l’impression que certains profitent, quand d’autres peinent. En somme, elle attise le sentiment d’injustice.
C’est le rôle éminent de l’autorité judiciaire que de mener cette lutte et de garantir aux citoyens que ceux qui trichent, qui fraudent et qui volent soient poursuivis, inlassablement. Quels qu’ils soient et où qu’ils soient.
Quelques chiffres permettent d’objectiver ce phénomène :
- les statistiques du ministère de la Justice révèlent une augmentation globale de 30 % du nombre de mis en cause dans des affaires d’atteinte à la probité, traitées par les juridictions pénales depuis 2017 ;
- une augmentation régulière du nombre de personnes mises en cause est également constatée en matière de fraude fiscale sur la même période ;
- de la même manière, une note d’analyse de l’Agence française anticorruption (AFA), d’octobre 2022 fait état de ce que les atteintes à la probité enregistrées dans les services de police et de gendarmerie ont augmenté de 28 % entre 2016 et 2021. S’agissant plus spécifiquement des seuls faits de corruption, cette hausse est de 46 %.
Ces chiffres, qui témoignent sans doute d’une amélioration de la détection et du signalement de ces infractions, montrent néanmoins l’ampleur de la tâche qu’il reste à accomplir. Et ce, d’autant plus que le développement de la criminalité organisée transfrontière, favorisée par la mondialisation et les nouvelles technologies, de même que le vacillement actuel de l’ordre mondial, offrent un cadre propice à la prolifération de cette catégorie particulière de délinquance.
Ces constats nous obligent.
Comme j’ai pu l’évoquer la semaine dernière devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, je considère que la lutte contre les atteintes à la probité est une politique aujourd’hui dispersée. Elle mérite d’être davantage identifiée, tant par les citoyens que par les responsables publics et les élus.
Nous ne partons pas d’une feuille blanche, fort heureusement.
En dix ans, la France a adopté une série de réformes structurelles qui ont accru la transparence et la moralisation de la vie publique, selon un triptyque éprouvé : prévention, détection, répression.
Prévention d’abord, avec la création de la HATVP, bien sûr, qui a célébré ses dix ans en octobre 2023, et de l’AFA. Je pense à la soumission des grandes entreprises au respect d’obligations de conformité en matière de corruption et à l’ensemble des obligations déclaratives, tant patrimoniales qu’en matière d’intérêts, auxquelles sont désormais soumis les responsables publics (élus et hauts fonctionnaires).
Détection ensuite, avec l’incitation et l’augmentation des signalements au procureur de la République par les différents services de l’Etat en cas de manquements à la probité ou de soupçons d’infractions, notamment en matière de fraude fiscale ou de blanchiment. Je fais bien sûr référence aux dénonciations obligatoires de l’administration fiscale, mais aussi aux signalements de Tracfin ou des juridictions financières.
Face à cette délinquance, par nature dissimulée, la voix de nos concitoyens, qui ont le courage de révéler des comportements délictueux, nous renforce. C’est cette conviction qui nous a amenés à améliorer le dispositif des lanceurs d’alerte et qui a conduit la Cour des comptes à mettre en place sa « plateforme de signalement ».
Répression enfin, avec la création de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), du PNF, et avec l’adaptation du régime procédural et des outils à disposition des enquêteurs et des magistrats.
Je citerai quelques-unes de ces mesures emblématiques :
- l’extension du domaine du régime de la criminalité organisée aux infractions de fraude fiscale en bande organisée et à leur blanchiment ;
- la création d’un mécanisme d’allégement de la charge de la preuve en instituant la présomption de blanchiment ;
- l’aggravation des peines d’amende et d’emprisonnement encourues ;
- l’accroissement des possibilités de confiscation ;
- la possibilité pour les associations anti-corruption de se constituer parties civiles ;
- et enfin, la création de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP).
Dans le combat contre la grande délinquance économique et financière, le parquet national financier joue désormais un rôle cardinal. Ce rôle n’était pourtant pas aisé au départ. Il lui a fallu trouver sa place dans une organisation judiciaire déjà très dense. Je salue à cet égard le rôle décisif joué par les procureurs de la République financiers successifs, Eliane Houlette puis Jean-François Bohnert, et leurs équipes, qui ont permis à cette institution d’accéder à la place qu’elle occupe aujourd’hui.
Des questions légitimes s'étaient élevées lors de sa création : une structure supplémentaire était-elle vraiment nécessaire ? Parviendrait-elle réellement à s'attaquer à une délinquance chevronnée, dissimulée et internationalisée ?
Aujourd'hui, force est de constater que le PNF et ses membres ont répondu à ces questions en s’imposant durablement dans le paysage judiciaire. Il est particulièrement satisfaisant de voir qu’il s’est intégré dans son environnement et qu’il est devenu l’interlocuteur incontournable de nombreux partenaires, français et internationaux.
Son action participe pleinement du triptyque prévention-détection-répression que j’évoquais à l’instant.
Il apporte – à sa mesure – sa pierre à l’édifice de prévention : je fais référence à sa préoccupation d’expliquer à nos concitoyens son action, notamment à travers la diffusion de lignes directrices en matière de CJIP. En cela, son action s’inscrit dans des objectifs de transparence et de prévisibilité que les acteurs économiques et nos concitoyens attendent.
Le PNF, par le fruit de son travail, est devenu un acteur de la détection. La reconnaissance internationale qu’il s’est forgée fait de lui l’interlocuteur naturel de nos homologues étrangers pour la dénonciation des faits relevant de ses champs de compétence. La reconnaissance internationale est d’ailleurs un marqueur fort de la réussite du dispositif français de lutte contre la corruption et les atteintes à la probité.
Cette détection est également menée par le biais de méthodes innovantes tenant à l’ouverture d’enquêtes sur la base de sources ouvertes, et notamment d’articles de presse.
Enfin, la répression est bien évidemment le cœur de l’action du PNF. Ce bilan vous l’avez brossé lors de ce séminaire. En dix ans, ce sont plus de 500 personnes qui ont été condamnées et un montant de plus de 12 milliards d’euros qui a été prononcé en faveur du Trésor public. Au-delà de ce que la Justice apporte aux citoyens dans l’exercice de sa mission, on peut donc dire que la Justice rapporte.
Pour tout cela, je tiens ici à saluer l’engagement sans faille et le courage des membres, actuels et anciens, du parquet national financier, qui ont démontré, par leur action, leur engagement et leur travail, à tout le pays et au-delà, que la lutte contre délinquance économique et financière du haut du spectre était une priorité de l’autorité judiciaire.
Vos efforts contribuent activement à lutter contre la défiance des citoyens à l’égard de nos institutions, en replaçant l’intérêt général au centre de nos valeurs. C’est un combat essentiel auquel, comme vous le savez, je crois particulièrement.
Cependant, pour conserver son haut niveau d’expertise et sa crédibilité à l’international, pour faire face aux nouveaux défis qui l’attendent, la France doit encore pousser plus loin les réformes qu’elle a jusqu’ici entreprises.
Je vous l’ai dit en introduction, la défense de la probité est un sujet qui me tient à cœur et j’entends bien faire avancer les réformes en la matière.
La France ne dispose pas aujourd’hui d’une véritable politique publique de prévention des atteintes à la probité. Aucun programme ni aucune mission n’existe sur le plan budgétaire, et aucun débat n’est tenu de ce fait devant le Parlement. Les exécutifs successifs n’ont pas porté cette question, hormis à l’occasion de la promotion du plan pluriannuel de lutte contre la corruption.
En tant que garde des Sceaux, je souhaite que la France se dote d’un nouveau plan national pluriannuel de lutte contre la corruption – avec deux ans de retard, je le sais attendu par beaucoup d’entre vous, compte tenu de l’engagement que vous avez mis à le bâtir. Il est nécessaire que ce plan puisse être présenté au Parlement, ainsi que je l’ai annoncé devant la commission des lois, et même largement diffusé auprès de nos concitoyens, qui sont directement concernés par ces questions essentielles pour l’intégrité de notre Etat et de notre démocratie.
La loi se doit d’être claire et prévisible, compte tenu du besoin de sécurité juridique que j’évoquais tout à l’heure.
Un nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics devant la Cour des comptes est entré en vigueur en janvier 2023. Une proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local a été déposée en janvier 2024 au Sénat.
Il m’apparaît nécessaire de mener une réflexion sur le régime de responsabilité des décideurs publics et notamment des contours de l’infraction de la prise illégale d’intérêts. J’y ai été sensibilisé dans mes fonctions de président de la HATVP. Il faut pouvoir sécuriser davantage les élus et les responsables publics tout en prévenant plus efficacement les risques de conflit d’intérêts et de prise illégale d’intérêts. Nous y travaillerons.
S’agissant enfin des outils à la disposition des enquêteurs et des magistrats, ils doivent être en adéquation avec ceux désormais utilisés par les délinquants économiques et financiers.
Le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, déposé le 7 mai 2024, et la proposition de loi qui en découle, ont mis l’accent sur la pénétration de la criminalité organisée liée aux trafics de stupéfiants dans la sphère politique et économique.
J’ai dit, mercredi au Sénat, que ces propositions méritaient d’être examinées de près en lien avec le ministère de l’intérieur. Nous serons très bientôt en mesure d’avancer à ce sujet, conjointement avec les parlementaires.
Vous le voyez : les travaux sont nombreux, la tâche est grande, mais nous nous y attellerons.
C’est ce qu’attendent nos concitoyens de la Justice : notre détermination et notre engagement. Ils peuvent et vous pouvez compter sur moi.
Je vous remercie.