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Discours du garde des Sceaux à Marseille le 8 novembre 2024 sur lutte contre la criminalité organisée

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Messieurs les Préfets,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs, pris en vos grades et qualités,

Mesdames, Messieurs,

Il a été dit au printemps par les magistrats de Marseille que « nous étions en train de perdre la guerre » contre le narcotrafic. Constat terrible…

Si nous sommes ici aujourd’hui, le ministre de l’Intérieur et moi-même, c’est pour conjurer le sort, prouver qu’il n’y a pas de fatalité et montrer que la volonté politique est une arme puissante pour lutter contre la criminalité organisée.

Car la menace que représente la criminalité organisée est multiforme, grandissante, tentaculaire… Elle touche des innocents et sape les fondements de notre République.

C’est d’un « nécessaire sursaut » dont nous avons besoin, pour reprendre les mots de la Commission d’enquête sénatoriale sur le narcotrafic. Je salue son président, Jérôme Durain, et son rapporteur, Etienne Blanc, parmi nous aujourd’hui.

Le combat de l’Etat contre la criminalité organisée doit se faire désormais à armes plus égales : avec la même agilité, avec la même sophistication, avec la même détermination qu’elle, sans renier jamais nos principes et notre Etat de droit.

Les pouvoirs publics doivent resserrer les rangs. Nous devons faire front commun. Notre venue commune ici à Marseille – ministre de l’Intérieur, ministre de la Justice – en est la parfaite illustration et je remercie Bruno Retailleau d’avoir accepté cette proposition que je lui ai faite il y a quelques semaines sur les bancs du Sénat.

Le dispositif de lutte contre la criminalité organisée que nous annonçons aujourd’hui mobilisera d’autres membres du Gouvernement, sous l’autorité et l’impulsion du Premier ministre.

Il comportera un grand nombre de mesures. Avec Bruno Retailleau, nous vous présentons les principaux axes du plan de chacun de nos deux ministères.

Vous le savez, nous aurons besoin de la loi et cela prendra nécessairement un peu de temps, quelques mois sans doute.

Mais je vous le dis aussi, nous n’allons pas attendre. Nous pouvons prendre des mesures immédiates. Ce sont celles que je vais en premier lieu vous présenter, avant d’évoquer dans un second temps la phase législative.

  1. LES MESURES IMMEDIATES

Ces mesures immédiates sont simples et fortes à toutes les étapes de la chaîne : je veux donner les moyens de prévenir, d’investiguer, de poursuivre, de juger, de sanctionner et de réparer.

Premièrement, je veux donner les moyens de prévenir

Il faut prévenir par l’information de la population. Il faut un électrochoc. Une campagne de communication sera lancée pour révéler les liens entre l’usage de stupéfiants, les violences des trafiquants et les infractions qui en découlent. Il faut que ceux qui ne l’ont pas encore fait ouvrent les yeux sur l’ampleur du phénomène.

Il faut aussi prévenir par une action sur les consommateurs, sans qui il n’y a pas de trafic de stupéfiant et donc de réseau et donc de criminalité organisée. Des amendes sont encourues, il faut qu’elles soient davantage prononcées et systématiquement recouvrées.

Il faut également prévenir en évitant que les trafics prennent appui sur les entreprises comme sur les administrations, en agissant ainsi sur les risques de corruption. Le nouveau plan anticorruption élaboré par l’Agence française anticorruption (AFA), dont je salue la directrice générale, Isabelle Jégouzo, sera présenté dans quelques semaines avec mon collègue Laurent Saint-Martin. Il comportera des mesures utiles contre la criminalité organisée.

Deuxièmement, je veux donner les moyens d’investiguer

Les investigations judiciaires sont au commencement de l’enquête et la clé de sa réussite. Nous avons des outils numériques qu’il faut bien plus utiliser et développer, notamment les techniques d’enquête numériques judiciaires de l’AntenJ.

Il faut démanteler les rouages financiers des organisations criminelles en systématisant les investigations financières en la matière, pour remonter les circuits financiers, en particulier en mobilisant plus systématiquement les groupes interministériels de recherche (GIR).

Mais il ne s’agit pas que de nouveaux moyens en France. Il nous faut plus de mobilisation européenne et internationale car la criminalité organisée ne s’arrête pas à nos frontières.

Vis-à-vis des Etats refuges, il nous faudra tenir un langage de vérité pour obtenir des résultats concrets en termes d’entraide et d’extradition.

Le ministère de la Justice va projeter un nouveau magistrat dans un Etat source des trafics : avec l’installation d’un magistrat de liaison à Bogota.

Et, chaque fois que cela sera nécessaire, des assistants dédiés à la saisie des avoirs criminels viendront prêter main-forte aux magistrats déployés à l’étranger.

Parallèlement, nous devons mobiliser nos partenaires européens qui, tous, sont à des degrés plus ou moins avancés affectés par ce fléau. Nous renforcerons la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne par un 4ème magistrat dédié à la criminalité organisée.

Le ministère de la Justice défendra la création d’un bouclier judiciaire européen en la matière, en mobilisant les procureurs européens des zones portuaires, en facilitant l’accès par les services enquêteurs aux données numériques des réseaux criminels et en imposant le rehaussement des standards judiciaires dans la lutte contre la criminalité organisée.

Troisièmement, je veux donner les moyens de poursuivre.

C’est le rôle des parquets. Tous les parquets de France sont concernés par la criminalité organisée qui constitue désormais un contentieux de masse.

La coordination, la centralisation de l’information et la spécialisation des équipes sont les leviers essentiels de la lutte.

Nous ne partons pas de rien. Le traitement judiciaire de la criminalité organisée repose sur une organisation à trois niveaux :

  • Une juridiction nationale, la Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) ;
  • Des juridictions interrégionales spécialisées, les JIRS ;
  • Et enfin, toutes les autres juridictions dites InfraJIRS.

Cependant, ce système censé être pyramidal n’est pas ou presque pas articulé à l’heure actuelle. Il faut changer cela, radicalement.

Comme je l’ai annoncé il y a quelques jours, je suis favorable à un pilotage fort, constitué autour d’un véritable parquet national.

Il donnera beaucoup plus de visibilité et d’efficacité aux équipes remarquables qui œuvrent déjà aujourd’hui sans relâche au sein du parquet de Paris contre la criminalité organisée au niveau national et que nous devons aider et renforcer.

Pour mettre en place cette nouvelle structure, le Parlement devra légiférer.

Mais plusieurs leviers déterminants sont déjà à notre main. Et même à ma main, en tant que garde des Sceaux. Et elle ne tremblera pas pour mobiliser dès à présent toute la puissance de l’appareil judiciaire et structurer tout ce qui doit l’être sans attendre.

Il nous faut, je l’ai dit, une coordination.

Elle passe par un chaînage et une transmission systématique de l’information de la base au sommet. Des parquets locaux, jusqu’aux JIRS au niveau régional et à la Junalco au niveau national. Cette transmission d’information sera désormais pleinement obligatoire.

Cette coordination s’appuiera aussi sur une interconnexion des parquets autour d’un système d’information dédié (Sirocco).

Au sommet, c’est-à-dire au parquet de Paris, qui tient lieu aujourd’hui de parquet national, j’instituerai dans les prochaines semaines, en présence du Premier ministre, une cellule de coordination nationale chargée de dresser un état de la menace, fixer une stratégie opérationnelle et la mettre en œuvre.

Elle sera composée de magistrats, mais aussi, je le souhaite, de représentants des autres ministères concernés, intérieur, finances notamment et d’analystes criminels.

Je sais que la Procureure de Paris, Laure Beccuau, dont je salue ici la présence, est pleinement mobilisée pour que cette montée en puissance réussisse et que nous avancions très vite vers ce pilotage national dont nous avons tant besoin et qui sera, je l’ai dit, renforcé par l’intervention du législateur le moment venu.

Cela passera aussi par le renforcement de ses effectifs. Les équipes du parquet de Paris travaillant sur la lutte contre la criminalité organisée au niveau national seront ainsi renforcées de 40 %.

De même, les effectifs dans les JIRS seront sanctuarisés sur l’ensemble du territoire, et notamment à Marseille. Nous renforcerons également les parquets qui en ont besoin.

Quatrièmement, je veux donner les moyens de juger.

Cela ne suffit pas de renforcer l’investigation et les poursuites si nous ne sommes pas capables de juger.

J’ai déjà eu l’occasion de tirer la sonnette d’alarme sur nos délais d’audiencement criminels et correctionnels. Les jugements des affaires de criminalité organisés ne font pas exception.

Nous créerons ainsi cinq postes de juges supplémentaires à Paris et l’équipe autour des magistrats sera consolidée. Nous renforcerons ce qui doit l’être également dans les JIRS.

Cinquièmement, je veux donner les moyens de punir.

En matière de criminalité organisée, punir signifie le plus souvent incarcérer.

Pour ne pas faire de la détention une caisse de résonnance de ces réseaux criminels, il est nécessaire d’instaurer un dispositif de détection fine des profils de détenus du haut du spectre.

Il faut aussi adapter leur prise en charge avec la création de quartiers spécifiques pour empêcher la poursuite de l’activité criminelle depuis les murs de nos prisons.

En complément, il faut identifier des établissements en mesure d’accueillir ces détenus à la dangerosité élevée, établir un plan de sécurisation des quartiers d’isolement et renforcer les outils opérationnels permettant d’entraver toute action depuis les détentions, notamment, avec les dispositifs de lutte anti-drones.

Des mesures spécifiques sont déjà menées à Marseille et sont des exemples à suivre, comme le quasi-doublement des places de quartier d’isolement aux Baumettes, la mise en place d’une équipe cynotechnique, le déploiement de dispositifs de brouillages mobiles au sein des quartiers d’isolement, la tenue de réunions mensuelles entre la JIRS de Marseille, les forces de sécurité intérieure et l’administration pénitentiaire.

Enfin, la livraison aujourd’hui des premiers véhicules d’extraction judiciaire « nouvelle génération », aux équipements renforcés, permettra de garantir la sécurité des personnels pénitentiaires notamment dans les affaires de criminalité organisée (mesure du protocole Incarville).

Au-delà de l’incarcération, il faut frapper les criminels au portefeuille, en renforçant les possibilités de saisie et de confiscation judiciaire pour que le crime et particulièrement le crime organisé « ne paye pas ».

Punir, cela doit prendre des formes adaptées lorsqu’il s’agit de mineurs.

L’un des aspects dramatiques de cette criminalité est qu’elle concerne des mineurs, impliqués parfois dès le plus jeune âge dans des faits d’une violence et d’une gravité impensables.

Beaucoup a déjà été fait par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et par les acteurs de la justice des mineurs notamment à Marseille.

Il faut aller plus loin. Il est indispensable de diversifier les réponses en fonction du degré d’implication en développant le dispositif de « guetteurs-mineurs » initié à Marseille, en mettant en place un accueil de jour dédié et en multipliant les capacités d’accueil en centre éducatif fermé pour les mineurs les plus ancrés dans la délinquance.

En complément, l’accord-cadre Justice/Armées déjà existant sera consolidé et étendu aux forces de sécurité intérieures, afin que ces dernières puissent intervenir dans la prise en charge des mineurs délinquants, aux côtés de la protection judiciaire de la jeunesse.

Sixièmement et enfin, je tiens à ce qu’on n’oublie pas les victimes.

Vous le savez, le garde des Sceaux est le ministre chargé des victimes.

Nous venons de rencontrer les associations et familles de victimes d’assassinats liés au trafic de stupéfiants. Je veux leur dire tout mon soutien et la mobilisation de la Chancellerie.

Une mission particulière sera confiée à la déléguée interministérielle à l’aide aux victimes (DIAV), Alexandra Louis, dont je salue la présence avec nous aujourd’hui, pour évaluer les besoins spécifiques des victimes de la criminalité organisée, au plus près du terrain sur l’ensemble du territoire. Il est notre devoir de ne pas les laisser seules face à ce fléau.

Nous devons plus que jamais soutenir les associations qui, à Marseille (ex : AVAD) mais aussi partout ailleurs, réalisent un travail considérable d’accompagnement des victimes.

Ce sont des partenaires essentiels de la justice qui se mobilisent, dans l’urgence mais également sur le long terme pour aider celles et ceux qui souffrent des conséquences d’actes extrêmement violents et de la stigmatisation qui peut en découler, simplement parce qu’ils vivent et travaillent sur les lieux pris pour cibles par les trafics.

Le principe du « prendre aux criminels pour rendre aux victimes » sera favorisé à travers, notamment, les affectations sociales des biens confisqués, à l’exemple d’une maison confisquée à Marseille à un trafiquant de stupéfiants au profit de l’accueil et de l’hébergement de victimes d’infraction en 2023.

  1. DEMAIN : DE NOUVEAUX OUTILS LEGISLATIFS POUR LUTTER PLUS EFFICACEMENT CONTRE LA CRIMINALITE ORGANISEE

Nous devons, avec le Parlement, faire évoluer l’arsenal législatif, notamment à travers la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic des sénateurs Etienne Blanc et Jérôme Durain.

Les dispositions les plus structurantes sont celles qui permettent d’améliorer le régime des repentis.

Ce régime est en effet à repenser en créant un statu du collaborateur de Justice, en intégrant de nouvelles infractions, et des niveaux de peine plus incitatifs.

D’étendre certains moyens d’enquêtes dérogatoires.

L'application du régime procédural complet relatif à la criminalité et de délinquance organisée pourrait être étendu aux faits de corruption commis en lien avec des organisations criminelles ou envisager une hyper-prolongation médicale de garde-à-vue dans le cas des mules.

Permettre le partage des informations judiciaires aux services de renseignement.

La transmission aux services de renseignement d'informations recueillies dans les dossiers judiciaires pourrait être étendue aux infractions liées à la criminalité organisée, afin d'exploiter leur potentiel.

D’autres mesures législatives pourront être envisagées.

Etendre le champ des cours d’assises spécialement composées

Le champ des cours d’assises spécialement composées, déjà prévues pour les affaires de terrorisme, gagnerait à être étendu aux crimes en bande organisée et au crime d’association de malfaiteurs en vue de commettre ces crimes.

Cette professionnalisation des cours vise à éloigner le risque de pression exercé sur les jurés en vue d’orienter la décision judiciaire finale.

Créer une infraction d’association de malfaiteurs au niveau criminel

Cette nouvelle infraction d’association de malfaiteurs pour les crimes en bande organisée devra être étendue aux assassinats et être assortie d’une peine de réclusion criminelle.

Adapter le cadre judiciaire aux mineurs concernés.

Tout en conservant la spécificité de la justice des mineurs, il faut mettre un terme à l’idée, fausse, selon laquelle minorité serait synonyme d’impunité.

Les conditions permettant d’écarter l’excuse de minorité seront assouplies, pour les plus de 16 ans et les infractions les plus graves commises en situation de récidive légale.

Une déclinaison de la comparution immédiate pour les mineurs de plus de 16 ans et les infractions les plus graves sera en outre créée, ainsi que l’annoncé le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale.

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Vous l’aurez compris, ce plan d’urgence ambitieux de lutte contre la criminalité organisée est à double détente : des mesures immédiates puis des mesures législatives pour une Justice totalement mobilisée contre ce fléau.

Je vous remercie pour votre attention et cède la parole au ministre de l’Intérieur afin qu’il présente ses priorités.