[Archives] Vingtième anniversaire de l’INAVEM

Publié le 13 mars 2007

Discours de Pascal Clément, Garde des Sceaux, ministre de la Justice

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Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie, Monsieur le Président, de votre accueil cordial et chaleureux.

Vous portez avec force les attentes du réseau que vous fédérez, ces associations petites ou grandes qui agissent au quotidien, très souvent dans l’ombre, pour améliorer concrètement la situation des victimes.

Je suis particulièrement heureux et fier d'être parmi vous,   pour célébrer ce vingtième anniversaire de l’INAVEM entouré d’éminentes personnalités.

Leur présence aujourd'hui en ce lieu prestigieux, atteste de l’intérêt, de la confiance et de la force de la relation qui existent entre les Pouvoirs publics, la société civile et l’INAVEM, mais aussi de l’attachement porté par le Gouvernement aux victimes d’infractions pénales.

Le développement depuis plus de 20 ans d’un réseau associatif d’aide aux victimes a permis de privilégier l’initiative locale et la proximité, dans la mesure où seules les associations garantissent une souplesse d’intervention et une réponse adaptée au plus près des besoins des victimes. S'inscrivant dans la tradition française de la vie associative, fondée sur l'universalisme et le don, les associations d'aide aux victimes sont ouvertes à tout public et leur intervention est toujours gratuite et confidentielle.

Créé en 1986 à l'occasion du premier regroupement de la cinquantaine d'associations d'aide aux victimes existant à l'époque, l'INAVEM a su fédérer toutes les énergies autour d'un objectif ambitieux, généreux et désintéressé.

Que chacun des Présidents et présidentes qui ont donné de leur temps et de leur énergie pour mener à bien cette mission tout au long de ces vingt années en soient ici remerciés.

Tous connaissent aujourd’hui le rôle majeur que jouent les associations d’aide aux victimes dans la prise en charge de nos concitoyens parfois durement éprouvés par les conséquences d'une infraction.

Ces avancées concrètes et tangibles dans la prise en compte des victimes reflètent un mouvement beaucoup plus vaste dans lequel le ministère de la justice a joué un rôle déterminant.

L’histoire de l’aide aux victimes est, en effet, celle d’un double mouvement : d’une part, accorder aux victimes des droits et leur permettre de les exercer effectivement, tant en matière d’indemnisation qu’en tant que partie au procès ; d’autre part, assurer une prise en charge globale, sur le long terme, des victimes dans le cadre d’une solidarité active.

Je ne vais pas ici en retracer toutes les étapes. Toutefois, il m’apparaît important de vous en remémorer les grandes lignes, tant les progrès accomplis ont été importants.

C’est vers la fin des années 1970 que la situation des victimes commence à évoluer. La loi du 3 janvier 1977 en instituant les commissions d’indemnisation des victimes a permis à nos concitoyens les plus éprouvés d’obtenir la réparation du préjudice découlant d’une infraction pénale, dont l'auteur n'avait pu être identifié ou était insolvable.

Un seul aspect des droits de la victime était alors pris en compte, celui purement matériel de l’indemnisation du préjudice. La volonté de rétablir les équilibres rompus par l’infraction et de faire de l’aide aux victimes une politique à part entière, n'a pris véritablement son élan qu'au début des années 1980.

A partir de cette date, et sur la base des conclusions du  rapport que le professeur Paul MILLIEZ remettait en juin 1982, à Monsieur Robert BADINTER, alors garde des Sceaux, que je salue ici, la Chancellerie s’est attachée à renforcer le cadre législatif, à affirmer sa politique en faveur des victimes et à accompagner le mouvement associatif de l’aide aux victimes.

Une politique publique d’aide aux victimes, à bien des égards novatrice en Europe, s'est ainsi affirmée comme l'une des priorités de l'action du gouvernement. Les circonstances rendaient cette évolution d'autant plus nécessaire que la fin des années 1980 voyait la France ensanglantée par une vague d'attentats terroristes qui fit de très nombreuses victimes.

Ces événements devaient entraîner une évolution majeure de la législation. C’est ainsi que  la loi du 9 septembre 1986 a institué pour les victimes du terrorisme un système d’indemnisation intégrale des préjudices.

Les principes de solidarité imprégnant ce texte inspireront la loi du 6 juillet 1990 qui institue un régime d’indemnisation autonome de la victime d'infraction, devant les Commissions d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI).

Parallèlement, confronté aux dimensions exceptionnelles de catastrophes impliquant un grand nombre de victimes, le Ministère de la justice a développé, en lien étroit avec les partenaires locaux - au nombre desquels, les associations d'aide aux victimes -, des dispositifs novateurs d'aide et de soutien.

L'expérience acquise en la matière par l'ensemble des partenaires permet ainsi aujourd’hui tant la mise en oeuvre d'une indemnisation amiable et rapide, que la prise en charge globale de la victime, des faits jusqu’au procès pénal, dont les enjeux excèdent ceux du procès traditionnel.

Conformément à la volonté du Président de la République, l’amélioration de la prise en compte des victimes d’infractions par l’institution judiciaire, s'est affirmée ces dernières années comme un élément essentiel de la politique pénale.

C'est ainsi que la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 (LOPJ) et la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ont renforcé notablement l'accès au droit et l'information des victimes, avec notamment la remise d’une copie du procès-verbal de plainte à leur demande, l’information systématique des motifs de classement sans suite, et l’octroi de l’aide juridictionnelle sans conditions de ressources pour les victimes des crimes les plus graves.

La loi du 9 mars 2004 a également donné une vraie place à la victime au stade de l’exécution des peines, complétée par la loi  du 12 décembre 2005 relative à la prévention de la récidive, qui permet à l’avocat de la partie civile de  présenter ses observations devant les juridictions de l’application des peines, lors de l’examen d’une demande de libération conditionnelle.

Sans le concours des associations et l'appui logistique de l'INAVEM, ces progrès constants en faveur des droits des victimes  n'auraient pas été aussi importants.

Les textes dont j'ai rappelé l'économie ne se bornent pas à affirmer des droits nouveaux pour les victimes ; la philosophie qui les inspire tend à faire de nos concitoyens victimes, des acteurs de leur propre vie et du développement d'une société plus sûre.

Le volet médiation des activités de vos associations fédérées à l'INAVEM joue à cet égard, un rôle essentiel. En luttant contre l’isolement des victimes et en prenant une part active à l'apaisement des conflits, les associations d'aide aux victimes luttent contre le sentiment d’insécurité.

Mais chacune de ces mesures, chacun de ces dispositifs n’a d’intérêt que s’ils répondent aux attentes des victimes et à leurs besoins. C’est la raison pour laquelle j’ai fait réaliser l'année dernière, une grande enquête de suivi des victimes.

Les premiers résultats de cette enquête, qui vous seront livrés tout à l’heure, apportent un regard neuf sur les victimes, mais peut être aussi sur la justice.

Ils nous révèlent d'abord que, si les hommes sont plus nombreux que les femmes à être victimes, ces dernières font majoritairement l'objet d'atteintes corporelles. Les atteintes corporelles et les atteintes aux mœurs sont d'ailleurs, les infractions qui conduisent le plus souvent les victimes à faire appel au soutien d'une association.

Dans ces situations de fragilité accrue, la grande majorité des victimes confirme avoir reçu les informations appropriées qu'il s'agisse de la possibilité d'être assistées d'un avocat, ou pour 59% d'entre elles, d'obtenir des éclaircissements sur la procédure judiciaire.

Surtout, plus d’une victime sur deux considère que Justice lui a été rendue. A la fois rapidement pour 56 % d’entre elles et en ayant le sentiment que leur situation a bien été prise en compte pour 53 % des personnes interrogées.

Ces résultats sont plutôt positifs sur la perception qu’ont les victimes de la justice, de la réponse pénale qui leur a été apportée, et de l’aide qu’elles ont pu recevoir, notamment par les associations d’aide aux victimes. 

Mais cette enquête nous montre aussi que beaucoup reste à faire en termes d’actions.

L’un des ses enseignements est que le besoin d’information des victimes est très important.

C’est pourquoi, j’ai souhaité développer l’action du ministère dans cette voie au cours de l’année qui vient de s’écouler.

Principal vecteur d'information du public, le 08VICTIMES,  plate-forme téléphonique gérée par l’INAVEM, a su développer un service généraliste d’information et d’orientation indispensables.

Ce service d’écoute, dont j’ai pu personnellement mesurer la qualité en lui rendant visite, permet d’informer au quotidien les victimes sur leurs droits, mais aussi de dispenser des informations aux familles lors d’évènements dramatiques tels qu’une catastrophe aérienne.

Dans le même temps, la Chancellerie a développé un  programme d'information à l'intention des victimes que j'illustrerai par deux exemples récents. Un guide gratuit sur « Les Droits des Victimes » a été élaboré. Il est complété par une « fiche pratique » qui s’adresse directement aux victimes, dans un langage simple et accessible.

Pour toucher le plus grand nombre, ces documents seront diffusés dans tous les points susceptibles d’accueillir des victimes : commissariats, hôpitaux, tribunaux, maisons de justice et du droit.

Cette exigence d’amélioration de la situation des victimes à laquelle nous sommes tous attachés passe également, et peut-être surtout, par un développement du travail en réseau de l’ensemble des professionnels.

L'esprit de nos dispositifs les plus récents, je pense par exemple, à la présence de travailleurs sociaux ou des associations au sein des commissariats de police ou des brigades de gendarmerie, est de proposer à la victime d'infraction un droit personnalisé à une aide et à un soutien, qui ne se limitent pas à une simple évaluation juridique de sa situation.

A cet égard, une approche pluridisciplinaire se révèle essentielle. Grâce au dialogue avec des professionnels d'horizon variés (juristes, travailleur sociaux et psychologues), la victime bénéficie au plus proche de l'infraction, d'une prise en charge effective et se voit ainsi épargner le parcours du combattant que lui impose la multiplication de guichets ou la dissémination des intervenants.

Dans cette perspective, l'INAVEM a posé en principe, la nécessité d'une formation adaptée des équipes qui œuvrent sur le terrain.

L'accent mis sur la formation est d'autant plus nécessaire, que les modes de traitement de la délinquance évoluent (généralisation du traitement en temps réel, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou bureaux d'exécution des peines) et appellent une intervention pro active (plus en amont) des associations vers les victimes.

La formation participe d’une démarche d'ouverture et de collaboration entre professionnels, sans laquelle les droits des victimes risquent de rester lettre morte.

Je tiens ici à saluer, Monsieur le Président, l'initiative que vous avez eu en constituant en septembre 2006 un groupe de travail entre l'INAVEM et la Conférence des Bâtonniers. Par l'évaluation de l'existant, le renforcement des complémentarités, votre partenariat avec le Barreau permettra le développement de projets communs d'assistance aux victimes, notamment celles de catastrophes collectives, et renforcera l'effectivité de leurs droits.

Par son ancrage fort dans la société civile, le milieu associatif est un acteur majeur d'un monde de plus en plus globalisé. En effet, la délinquance se joue des frontières des Etats et la prise en compte des victimes est désormais une préoccupation internationale, qui justifie la mise en commun des expériences et le partage des bonnes pratiques.

La dimension européenne et internationale des politiques publiques d'aide aux victimes est ainsi incontournable. Là encore, je me dois de souligner la collaboration active entre l’INAVEM et le ministère de la Justice, pour développer des projets innovants dans le cadre des programmes européens, contribuant ainsi à faire rayonner l’action de la France en Europe et dans le monde, en ce domaine.

La France est ainsi, dans le domaine de l’aide aux victimes et de leur indemnisation, placée au  premier rang dans le concert européen, comme en témoigne le rapport CEPEJ du Conseil de l'Europe.

Consciente de l'importance des enjeux en présence, votre fédération a entrepris de renforcer les liens qui l'unissent à son réseau.

Cette volonté de recentrage vers la fédération vous a conduit, parallèlement, à développer des outils de détection et de prévention des difficultés qui peuvent survenir sur le terrain au sein des associations.

Je ne peux qu'approuver cette évolution qui répond aux efforts engagés en vue d'une optimisation des concours financiers consentis aux partenaires du service public.

Je veux d’ailleurs répondre ici à l’une de vos préoccupations s’agissant des difficultés financières des associations et, notamment celles qui mettent en œuvre des mesures de médiation pénale. Je suis tout à fait convaincu que la médiation pénale est une alternative aux poursuites particulièrement adaptée à certains types d’infractions, notamment en présence de victimes. Je pense à des litiges de voisinage ou à certains contentieux liés au code de la route.

Cependant, dans l’objectif d’une réponse pénale systématique à chaque acte de délinquance, il faut laisser au procureur de la République, qui dispose d’une palette de mesures, la possibilité de choisir celle qui lui paraît la meilleure ou la plus adaptée.

Le choix différencié des mesures pénales prévues par la loi, mais aussi du prestataire de la mesure - personne physique ou association - permet d’apporter rapidement une réponse à tous les actes de délinquance dont la justice est saisie, dans le respect des droits des victimes. Il est essentiel de préserver cette diversité qui est un facteur de réussite d’une politique pénale ambitieuse.

Pour autant, vous le savez, conscient des difficultés que vous m’avez exprimées, j'ai immédiatement engagé une concertation avec l’ensemble des auteurs concernés, dont votre fédération.

Des travaux sont en cours afin de rechercher des solutions pratiques. Je suis persuadé qu’ils aboutiront à des propositions pertinentes.

Vous l’avez rappelé, M. le Président, l’engagement du Ministère de la justice aux côtés des associations d’aide aux victimes, est total.

S’agissant de l’aide aux victimes, le soutien financier apporté au développement du réseau associatif, n’a jamais été aussi important qu’au cours des cinq dernières années.

En effet, les crédits délégués aux associations d’aide aux victimes (171 à ce jour) sont passé de 4,6M€ en 2002 à 7,3M€ en 2007, soit une progression de 58 %.

Sachez garder le cap et poursuivre votre œuvre en faveur des victimes, tant la tâche est encore grande, pour que chaque personne touchée par une infraction puisse trouver le soutien dont elle a besoin.

L’INAVEM est parvenu, par son action, à ancrer l'aide aux victimes dans notre réalité sociale ; au travers de son réseau, votre fédération a développé une expertise unique qui contribue de manière déterminante à ce que la volonté du gouvernement de garantir à tous nos concitoyens plus de Justice et de sécurité, soit chaque jour une réalité.

A l’occasion de cet anniversaire, je souhaite vous redire à tous, mon estime et mon soutien pour votre engagement au service des victimes.

Je vous remercie de votre attention.