[Archives] Groupe de travail sur la dépénalisation de la vie des affaires

Publié le 04 octobre 2007

Discours de Madame Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la Justice - Chancellerie

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6 minutes

C'est une grande satisfaction de voir réunis d'éminents professionnels du droit et du monde économique pour travailler ensemble sur la dépénalisation de la vie des affaires sous la présidence de Monsieur le Premier président honoraire de la Cour d'appel de Paris, Jean-Marie COULON.

Monsieur le Premier Président,

Mesdames et Messieurs,

C'est une grande satisfaction de voir réunis d'éminents professionnels du droit et du monde économique pour travailler ensemble sur la dépénalisation de la vie des affaires sous la présidence de Monsieur le Premier président honoraire de la Cour d'appel de Paris, Jean-Marie COULON.

Je tiens avant toute chose à vous remercier de votre disponibilité. Je sais l'investissement personnel que représente votre participation à ce groupe de travail. C'est une charge qui vient s'ajouter à vos activités, déjà très prenantes.

Le Président de la République m'a demandé, vous le savez, de lui soumettre des propositions pour redonner son sens à la sanction pénale appliquée aux acteurs économiques.

Le constat a été fait de longue date d'un risque pénal excessif.

Ce risque entrave l'activité économique.

Il est un frein à son développement. C'est un risque diffus et difficile à cerner, qui paralyse l'initiative économique, au lieu simplement de l'encadrer pour éviter les dérives.

Il pèse sur l'attractivité économique de la France. Les règles de droit sont l'un des critères de l'attractivité. Si elles sont trop nombreuses, trop contraignantes ou pas assez lisibles, les entreprises investissent ailleurs.

Enfin, on le sait, les procédures en matière économique et financière sont deux à trois fois plus longues que dans les autres matières pénales. Elles ont naturellement un retentissement économique.

La sanction pénale est la plus rigoureuse des réactions sociales.

Sa vocation est claire ; elle ne peut être prévue que lorsqu'elle est absolument nécessaire. Elle doit être proportionnée à la gravité de l'acte.

C'est l'un des fondements de la Justice dans une société démocratique. Il est impératif d'y veiller, sous peine de voir le droit pénal discrédité et affaibli.

Quelle considération peut-on accorder à la sanction pénale lorsqu'elle dévie de cette vocation ?

Lorsqu'elle vient réprimer des obligations purement formelles, détachées de toute intention frauduleuse.

Lorsqu'elle est établie dans une logique de prévention plutôt que de répression.

Lorsqu'elle est simplement prévue pour veiller au respect de contraintes administratives.

Je voudrais vous rappeler les sages paroles du Doyen RIPERT, qui alertait contre une loi pénale excessive :

Une telle loi « [...] créé elle-même l'immoralité en exposant les hommes à commettre à chaque instant un délit pénal, si bien que les véritables délits n'apparaissent pas plus coupables que les autres. A déclarer indignes tant de gens qui ne le sont pas, on affaiblit l'indignité de ceux qui le sont. »

Déjà en 1985, Robert BADINTER avait installé une commission chargée de réfléchir à l'allègement du droit des sociétés.

Cette commission s'était prononcée, je cite sa conclusion, « en faveur d'une dépénalisation maximale ». Elle ajoutait : « Seules les infractions sanctionnant les agissements les plus graves et réellement frauduleux devraient être maintenues ».

Ces travaux ont en partie inspiré le mouvement de dépénalisation qui a été engagé au début des années 2000. Des réformes sont intervenues dans le domaine du droit des sociétés et de la concurrence, sous les gouvernements JOSPIN et RAFFARIN.

Nous voulons poursuivre ce travail aujourd'hui, car il faut aller beaucoup plus loin.

Ce qui a déjà été entrepris démontre la nécessité de la dépénalisation. Cela démontre aussi que cette préoccupation est partagée, toutes tendances politiques confondues. Ce travail peut être conduit dans la sérénité.

Pour la première fois, une réflexion d'ensemble sur le droit pénal des affaires est attendue.

C'est à vous qu'elle est confiée.

J'ai en effet souhaité la création de votre groupe de travail. Grâce à vos travaux, je veux être en mesure de formuler des propositions équilibrées et innovantes, éclairée par l'avis de spécialistes du droit et de spécialistes de la vie économique et financière.

Vous pouvez être les initiateurs d'une réforme ambitieuse et aboutie.

La lettre de mission adressée au Premier président COULON ne fixe aucune limite à vos réflexions.

Je veux que vous soyez libres et inventifs.

Libres de vous fixer les critères de dépénalisation qui vous paraîtront pertinents.

Libres de poser les limites que vous souhaitez.

Libres d'explorer les matières qu'il vous plaira.

Libres d'imaginer les solutions les plus adaptées et les plus réalistes.

Libres, et donc inventifs, dans vos préconisations.

Dans certains cas, la voie pénale qui s'avère inadaptée pourra céder la place à des mécanismes de régulation, plus en phase avec les enjeux et la réalité économiques.

Enfin, là où la sanction pénale apparaîtra nécessaire, des propositions pourront être formulées, afin de mieux l'articuler avec les autres sanctions possibles.

Je souhaite, à l'ouverture de vos travaux, vous exposer ma préoccupation et mes attentes.

Les poursuites judiciaires dans le domaine de la vie des affaires ont connu des aléas retentissants.

Recentrer le droit pénal sur sa vocation première de protection de l'intérêt général, lui faire retrouver son essence même, est un gage de pertinence et d'efficacité de l'action pénale.

A l'évidence, les sanctions pénales sont parfois inadaptées, alors que d'autres formes de sanctions ou d'autres modes de régulation tout aussi efficaces existent par ailleurs ou pourraient être mis en place.

  • Ainsi en est-il, par exemple, des infractions relatives aux formalités de constitution des sociétés. Pour celles-ci, on peut songer à privilégier un contrôle a priori ou un système de nullités de plein droit.

  • De même, il subsiste encore de nombreuses infractions d'omissions alors qu'un dispositif civil d'injonction de faire sous astreinte a été développé parallèlement. Il permet de remédier à l'omission plus efficacement.

Je pense notamment au fait de ne pas tenir l'assemblée générale d'une SA ou d'une SARL au moins une fois par an et dans les six mois suivant la clôture de l'exercice. Cette omission est actuellement punie de 6 mois d'emprisonnement et de 9 000 € d'amende.

  • Des entrepreneurs peuvent dans d'autres cas être inquiétés pour les mêmes faits, à la fois par l'autorité judiciaire et par une autorité administrative.

C'est le cas, par exemple, des pratiques anticoncurrentielles : elles sont efficacement sanctionnées par le Conseil de la Concurrence. Mais elles peuvent également faire l'objet de poursuites pénales.

  • A l'inadaptation du droit pénal s'ajoute parfois des distorsions de traitement inexplicables. On voit bien que le niveau de gravité du manquement est mal appréhendé.

C'est le cas de la majoration d'apports en nature. Que l'on soit en SA ou en SARL, elle est punie d'une même peine de cinq ans d'emprisonnement.

Pourtant, au sein d'une SA, on encourt une amende de 9 000 € tandis que l'amende encourue au sein d'une SARL s'élève à 375 000 €.

  • La cohérence passe aussi par l'adéquation de la sanction. En l'espèce, force est de constater que la sanction pénale est parfois d'une efficacité fort limitée.

Que penser par exemple de l'infraction de franchissement de seuil sans déclaration dans le cadre des prises de participation. Cette infraction est punie de 18 000 € d'amende. C'est un montant bien dérisoire au regard des sommes en jeu dans le cadre de ces opérations financières.

Or une sanction de privation temporaire du droit de vote de l'actionnaire en cause peut également être prononcée par le tribunal de commerce.

Cette conséquence est bien plus redoutable qu'une hypothétique sanction pénale.

La faiblesse du nombre des condamnations prononcées pour des infractions formelles parle d'elle-même. Elle montre leur manque de pertinence. La plupart des infractions d'omission ne donnent ainsi lieu qu'à deux ou trois condamnations par an.

Leur intervention tardive est inadaptée aux exigences de réaction rapide du monde des affaires.

Ce bref survol dans le seul domaine de la vie des sociétés suffit à saisir l'ampleur de la tâche qui vous attend.

 

Vos débats, j'en suis sûr, seront fructueux. Ils reflèteront votre diversité. Ils pourront s'appuyer sur des auditions, pour bénéficier des éclairages doctrinaux, de l'expérience, des réflexions de praticiens, de professionnels du droit, d'entrepreneurs ou de toutes personnalités qui vous paraîtront qualifiées.

Je vous adresse mes encouragements pour cette mission ambitieuse et exaltante.

Je vous remercie.