[Archives] Lutte contre la traite des êtres humains -

Publié le 17 novembre 2008

Discours de Madame Rachida Dati, Garde des Sceaux, ministre de la Justice - Lyon, le 15 novembre 2008

Monsieur le Premier Président,
Monsieur le Procureur général,
Monsieur le Bâtonnier,
Mesdames et Messieurs les Présidents d’association,
Mesdames et Messieurs,

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La traite des êtres humains est un drame, un fléau universel, un esclavage des temps modernes.

La traite des êtres humains, c'est la négation de la liberté, de la dignité et de l'intégrité.

Selon le Bureau international du travail, 2,4 millions de personnes sont victimes de cet asservissement. Les gains représentés par le travail de ces victimes s'élèvent à 27 milliards d'euros. Il s'agit d'un phénomène en augmentation à l'échelle mondiale. Il touche aussi bien les pays développés que les pays en voie de développement.

Derrière ces chiffres alarmants, il y a des femmes, des enfants et aussi des hommes que l'on transforme en esclaves et qui vivent dans des conditions sordides.

Bien souvent, ces personnes ont quitté leur pays parce qu'on leur a promis un travail, de l'argent, de la liberté, ou parfois de quoi manger. D'autres ont été vendues.
Leur vie est devenue un cauchemar. Leur détresse a été exploitée par des trafiquants sans scrupules qui se livrent à ce commerce très lucratif.

Ces victimes sont des hommes et des femmes obligés à passer leurs nuits et leurs jours dans des ateliers clandestins moyennant des salaires de misère.

Ce sont des jeunes femmes forcées de se prostituer soumises à l'humiliation et la violence de ceux qui les exploitent.

Ce sont des enfants contraints de mendier ou de voler, soumis à des conditions de vie très dures et privés à jamais de leur innocence.

Ces drames se passent dans nos villes, sous nos yeux. Nous ne pouvons pas les accepter. Nous devons réagir et prendre nos responsabilités.

Je suis venue aujourd'hui à Lyon pour lancer un appel à la mobilisation contre l'exploitation par le travail et l'asservissement sexuel. Je suis venue à Lyon pour lancer un véritable plan d'action pour protéger les victimes et sanctionner les auteurs. Il faut agir !

Ce combat est l'affaire de tous : de la justice, de la police. Mais aussi des services médicaux, sociaux, des associations et surtout de chaque citoyen. C'est notre responsabilité.

Parce que la traite des êtres humains est un drame humain, nous devons agir pour protéger les femmes, les hommes et les enfants qui en sont victimes.

Parce que la traite des êtres humains est une activité criminelle, nous devons interpeller et sanctionner ceux qui se livrent à ce trafic ignoble.

Parce que la traite des êtres humains est un sujet qui dépasse largement le cadre de nos frontières, nous devons unir nos efforts et nos moyens au plan international, européen, national et local.

Nous devons assurer un haut niveau de protection aux victimes de la traite des êtres humains.

Ces hommes, ces femmes et ces enfants soumis à tous les abus sont en situation de grande détresse et de précarité.

Ils sont isolés dans un pays inconnu où l'on parle une langue qu'ils ne connaissent pas. Ils n'ont pas de famille, pas d'amis et pas d'argent.
Cet isolement social constitue un mur d'enceinte invisible et infranchissable qui les place dans une dépendance encore plus grande envers ceux qui les exploitent.

Ces victimes ont peur. Peur de ceux qui les exploitent, car on sait que ces réseaux s'appuient sur la contrainte et la violence pour fonctionner.

Peur aussi de l'Etat, car souvent, ces victimes sont en situation irrégulière. Elles craignent d'être arrêtées, d'être ramenées dans leur pays d'origine.

Vous le devinez, il faut du courage pour fuir un réseau de prostitution, pour s'échapper d'un atelier clandestin ou quitter une maison où l'on est esclave domestique.

C'est pour cela que nous devons aider ces victimes à s'en sortir, à accéder à l'autonomie. C'est notre premier devoir.

Nous devons rompre l'ignorance et l'isolement.
Savoir que l'on a des droits, c'est retrouver un peu de sa dignité. Il est indispensable de développer l'accès au droit et à l'information juridique.

Ces dernières années, de nombreux dispositifs ont été mis en place : le numéro de téléphone « 08 victimes » a été créé à l'initiative du ministère de la justice.
Il permet aux victimes d'être écoutées dans le respect de l'anonymat, d'être informées de leurs droits et de bénéficier d'un soutien dans leur démarche.

Les associations ont mis en place des permanences juridiques, parfois avec l'aide d'avocats ou d'étudiants en droit. Certaines se tiennent dans des maisons de quartiers, dans des bus itinérants ou même dans des commissariats.

Il faut poursuivre nos efforts.

En 2009, le ministère de la justice consacrera 11 millions d'euros à la politique d'aide aux victimes. Les associations qui œuvrent contre la traite des êtres humains auront les moyens de poursuivre leurs actions.

Dans le cadre du plan « Espoir banlieues »10 points d'accès au droit seront créés en 2009 dans des quartiers difficiles où les personnes sont particulièrement isolées. C'est dans ces endroits que le besoin d'information juridique est le plus grand.

Nous devons également assurer une véritable prise en charge médico-sociale des victimes.

Il faut leur permettre de retrouver des conditions de vie décentes.

Cela passe par la fourniture d'un logement, de soins médicaux, d'un soutien psychologique, d'une aide à l'insertion pour trouver un travail, de cours pour apprendre notre langue. Les victimes doivent aussi bénéficier d'un accès à l'éducation pour leur enfant.

Un dispositif d'accueil sécurisant des victimes, financé par l'Etat a d'ores et déjà été mis en place. Il compte aujourd'hui près de 50 lieux d'hébergement répartis au sein de nombreuses associations.

Nous devons garantir un véritable statut juridique aux victimes de la traite des être humains.

- Nous devons d'abord rendre leur situation administrative plus sûre.

La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a prévu la possibilité de délivrer une autorisation provisoire de séjour pour les personnes qui sont victimes ou témoins dans une affaire de traite des êtres humains. La loi du 24 juillet 2006 a permis d'aller plus loin en autorisant la délivrance d'une carte de séjour temporaire.

En cas de condamnation définitive du mis en cause, une carte de résident peut être octroyée à la victime. Depuis septembre 2007, les victimes disposent d'un délai de réflexion de 30 jours pour faire des demandes de titre de séjour. Pendant ce délai, elles ne peuvent faire l'objet d'aucune mesure d'éloignement.

Ce dispositif est protecteur mais il est souvent ignoré des victimes. Nous devons nous employer à le faire mieux connaître. Je remercie les services préfectoraux, les services d'enquêtes et les associations d'aide aux victimes pour leur aide.

- Nous devons également assurer aux victimes une protection juridique tout au long de la procédure judiciaire.
Celles-ci ont souvent l'impression d'être oubliées par la justice. C'est encore plus vrai pour les personnes d'origine étrangère ou pour les mineurs.

Le Code de procédure pénale prévoit de nombreuses mesures pour garantir la sécurité des victimes et des témoins:
- pour éviter les représailles, les victimes peuvent se faire domicilier à la brigade de gendarmerie, au commissariat, au cabinet de leur avocat ;

- pour éviter de se retrouver face à leur proxénète ou à leur exploiteur, les confrontations peuvent se tenir à distance. C'est notamment pour cela que j'ai tenu à ce que les tribunaux disposent de matériel de visioconférence.

Les victimes ont également le droit d'êtres assistées d'un avocat. En France, l'aide juridictionnelle est ouverte aux étrangers en situation régulière, parce qu'ils ont aussi le droit d'être défendus. C'est une garantie fondamentale.

Enfin, les victimes de la traite des êtres humains doivent pouvoir être indemnisées dans les meilleurs délais et les meilleures conditions. La loi du 9 mars 2004, leur permet d'être intégralement dédommagées de leur préjudice par la commission des victimes d'infractions (CIVI).

Depuis janvier 2008 et la création, la prise en charge des victimes a été encore améliorée avec le juge délégué aux victimes. Ce magistrat est un référent pour les victimes. Il fait le lien entre les victimes, le parquet et le juge d'application des peines. Les victimes doivent savoir à qui s'adresser lorsque par exemple, elles font l'objet de menaces de la part de leur agresseur déjà condamné.

Vous le voyez, cette protection est indispensable.

Nous devons aussi punir avec fermeté ceux qui se livrent aux trafics des êtres humains.

La Justice est là pour protéger. Elle est aussi là pour sanctionner ceux qui ne respectent pas les lois et qui bafouent les droits de l'Homme.

En France, notre dispositif de répression est aujourd'hui très complet.

La loi sécurité intérieure du 18 mars 2003 a créé le délit spécifique de traite des êtres humains. C'est un délit puni de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende.

Ce délit devient un crime quand il est commis en bande organisée ou accompagné d'acte de torture et de barbarie. Dans ce dernier cas, c'est la réclusion criminelle à perpétuité qui est encourue.

La loi du 4 avril 2006 permet également de punir en France, les atteintes sexuelles sur mineurs, commises à l'étranger par des Français. On ne peut pas accepter que certaines personnes se livrent au tourisme sexuel.

La plupart des infractions relatives à la lutte contre la traite des êtres humains relèvent de la criminalité organisée.

Les procédures auxquelles elles donnent lieu sont le plus souvent traitées par des structures spécifiques : les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). Les enquêteurs et les magistrats disposent de moyens d'investigations plus larges : ils peuvent procéder à des perquisitions nocturnes, mettre en place des écoutes téléphoniques, recourir à des mesures de gardes à vue de 96 heures comme en matière de terrorisme...

Chaque année, ce sont plus de 1 000 condamnations qui sont prononcées par les tribunaux. La loi sur la récidive du 10 août 2007 permet de prononcer des peines minimales à l'encontre des trafiquants déjà condamnés. Nous devons en cette matière faire preuve de la plus grande fermeté.

La lutte contre la traite des êtres humains exige le démantèlement de réseaux. Pour y parvenir nous devons développer des partenariats et des actions communes.

Ce drame est aujourd'hui un fléau mondial, à caractère transnational. La criminalité organisée ne connaît pas les frontières.

Pour lutter efficacement contre ces réseaux internationaux, fortement structurés et très réactifs, Nous avons besoin de renforcer la coopération judiciaire et policière au niveau international, européen et national.

Ø La Convention des Nations-Unis contre la criminalité transfrontalière du 15 novembre 2000 constitue une base commune de travail. Elle oblige les Etats à réagir et à incriminer les faits d'esclavagisme moderne.

Ø L'Union européenne s'est également engagée.
Elle s'est dotée d'outils pour améliorer la coopération policière et judiciaire : le réseau judiciaire européen, Europol, Eurojust, le mandat d'arrêt européen.

Tous ces instruments peuvent être employés pour lutter contre la traite des êtres humains.

Durant la présidence française de l'Union européenne, nous avons amélioré ce dispositif :
- Les pouvoirs d'Eurojust ont été renforcés : les enquêtes et les poursuites judiciaires seront mieux coordonnées. L'information circulera mieux entre les Etats membres.
- Les casiers judiciaires européens seront interconnectés : les magistrats pourront mieux lutter contre la criminalité itinérante et les réseaux.
- Enfin, lors de la réunion Union européenne-Balkans qui s'est tenue à Zagreb le 7 novembre dernier, nous avons décidé de renforcer notre coopération judiciaire et policière.
Nous mettrons en place des formations communes avec nos partenaires : Albanie, Bosnie, Croatie, Macédoine, Monténégro, Serbie et Kosovo. Nous pourrons également constituer des équipes communes transfrontalières d'enquêtes. Nous gagnerons en efficacité.

Ø Le Conseil de l'Europe s'est largement engagé dans la lutte contre la traite des êtres humains, notamment avec la convention de Varsovie du 16 mai 2005. La France l'a ratifiée le 9 janvier 2008. Elle est entrée en vigueur le 1er février 2008.

Cette convention rappelle que la traite des êtres humains est une atteinte aux droits fondamentaux de la dignité et de l'intégrité humaine. Elle prévoit un renforcement des mesures de coopération entre les Etats et des mesures de protection des victimes.

Ø Au plan national, le ministère de la justice s'est investi dans la mise en œuvre de cette convention :

Dans le souci de mettre en place une véritable politique de lutte contre la traite des êtres humains, un groupe de travail, co-piloté par le ministère de la justice et le ministère de l'Intérieur sera lancé le 2 décembre prochain. Il travaillera au renforcement du dispositif de protection et de prise en charge des victimes. Il participera à l'élaboration d'un plan national de lutte contre la traite des êtres humains.

Le ministère de la Justice a en outre, présenté la candidature d'un magistrat français pour participer aux travaux du groupe de suivi de la convention de Varsovie, le GRETA.

En complément de ces actions internationales et nationales, il faut aussi agir sur le terrain.

Ø Tous les acteurs locaux doivent se mobiliser : les préfets, les élus locaux, les avocats, les magistrats, les services de police, les enseignants, les acteurs de la santé, les services de l'ANPE, les services sociaux, les délégués régionaux aux droits des femmes....

Je n'oublie pas non plus le travail extraordinaire des associations.

Je sais que c'est le cas à Lyon où une étude a été menée à titre expérimental pour mieux travailler ensemble. Quatre associations et le Barreau de Lyon ont participé à ce projet unique en France initié dans le cadre du programme communautaire Equal.

Avec le Premier Président et le Procureur Général de la cour d'appel de Lyon, Monsieur le Bâtonnier Chaîne représentant le Barreau de Lyon et les associations Agir ensemble pour les droits de l'Homme, l'Amicale du Nid, l'association de Villeurbanne informations femmes familles et la Croix-Rouge, nous allons ensemble signer une convention permettant de conduire une action commune au plan local Je veux vous remercier tous pour votre engagement

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Mesdames et Messieurs,

Face à un drame humain exceptionnel, face à des réseaux criminels exceptionnels, notre réponse doit elle aussi être exceptionnelle.

C'est en conjuguant nos efforts, à Lyon, en Europe et dans le monde que nous obtiendrons des résultats significatifs.

C'est ainsi que nous sauverons des vies et que nous ferons progresser l'humanité et la justice.

Je vous remercie.