[Archives] Prévention et lutte contre les violences faites aux femmes

Publié le 20 mai 2009

Discours de Rachida Dati, Garde des Sceaux, ministre de la Justice

S’attaquer au phénomène des violences faites aux femmes c’est refuser l’inacceptable. Que ce soit au sein du foyer, au travail ou en société, la défense de l’intégrité des personnes est un devoir.

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Madame la Présidente,

Monsieur le Rapporteur,

Mesdames et Messieurs les Députés,

De même qu’on ne saurait tolérer dans notre pays des zones de non-droit dans les lieux publics, il n’est pas plus tolérable que des lieux, tels que le domicile familial, échappent à la loi et aux limites qu’elle pose.

Le droit à l’intimité de la vie privée s’arrête là où commence la violence.

Parce que les violences conjugales prennent place là où au contraire la famille doit trouver sécurité et protection, elles n’en sont que plus destructrices.

Parce que les victimes sont les plus vulnérables, ces violences n’en sont que plus inacceptables.

Ce refus de toute complaisance à l’égard des atteintes aux femmes, sous toutes leurs formes, s’est traduit par l’expression politique la plus noble qu’est la loi.  

Il aura fallu changer les mentalités pour y parvenir. Il aura fallu quelques combats pour l’obtenir.

Nous connaissons tous l’engagement, ces dernières décennies, des associations et des professionnels de santé ou du droit, en faveur des droits des femmes.

Le premier de ces droits c’est évidemment la protection de l’intégrité physique. Mais lorsque l’agresseur est celui avec lequel on vit, nous voyons bien que la problématique devient plus complexe.

Il a fallu briser la loi du silence pour pouvoir agir.

La dépendance matérielle, mais aussi psychologique, qui peut s'établir dans le couple est un frein indiscutable à la lutte contre ce phénomène. Et la présence d’enfants complique davantage encore la démarche de rupture et de plainte.

Depuis 2004 la spécificité de la situation des femmes victimes de violences conjugales a été reconnue.

Le dernier texte en date est d’ailleurs d’origine parlementaire.

Vous le savez bien, cher Guy, puisque vous avez, notamment, été le Rapporteur, pour cette Assemblée, de la loi du 4 janvier 2006 sur les violences au sein du couple.

Et je saisis cette occasion pour saluer en Guy Geoffroy l’ardent défenseur de la femme unanimement reconnu. La place que vous lui avez donnée dans votre mission en témoigne.

Ce texte de 2006, que vous avez porté, constitue une réelle avancée. Il intègre dans la loi une réalité bien connue : les femmes sont autant victimes de leurs conjoints et concubins que de leurs anciens conjoints ou concubins.

Des solutions propres ont donc été apportées par la loi.

Et une politique pénale déterminée a été mise en œuvre.

Bilan chiffré de la lutte déterminée menée contre ce phénomène.

Aujourd’hui nous pouvons affirmer que le travail d’information auprès des femmes victimes et d’accompagnement produit ses effets.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, sur les trois dernières années :

  • les services de police et de gendarmerie enregistrent une hausse des faits de violences conjugales de + 31 % ;
  • C’est plus de 58 000 affaires nouvelles qui ont été traitées par les parquets en 2007, soit 37 % de plus qu’en 2004.

C’est bien la lutte contre ces violences qui progresse et non le phénomène qui s’amplifie :

  • La part des violences conjugales dans l’ensemble des violences traitées est également en hausse : elle est passée de 6,3 % en 2004 à 8,3 % en 2007 ;
  • Les condamnations de ce chef ont augmenté de 19,5 % rien que sur l’année 2007 ;
  • 8 % de ces condamnations ont été prononcées contre un  prévenu en état de récidive. Il n’y avait que 3 % de condamnations en récidive en 2004. Et le taux de récidive pour les autres violences est de 5,5%. Ce qui démontre que ces faits sont davantage poursuivis ;
  • Naturellement le plus grand nombre de maris violents poursuivis en récidive se traduit aussi désormais dans le bilan d’application des peines planchers.

 Vous le savez, j’ai voulu avec la loi du 10 août 2007 une répression plus homogène de la récidive, compréhensible par tous et dissuasive.

Les auteurs de violences commises en récidive sont plus sévèrement réprimés que les autres récidivistes ; la loi limite davantage pour eux les possibilités de dérogation à la peine plancher encourue.  

L’application qui est faite du texte par les tribunaux répond à cet égard parfaitement à l’objectif poursuivi par la loi.

Dans 65 % des cas, les maris violents qui récidivent sont condamnés à une peine égale ou supérieure à la peine plancher encourue, c'est-à-dire une peine d’un ou deux ans d’emprisonnement suivant les blessures infligées à la victime.

30 % de ces peines sont un emprisonnement totalement ferme.

Politique pénale en matière de lutte contre les violences conjugales.

Je sais combien votre Assemblée est attentive à la mise en œuvre d’une politique pénale adaptée et harmonisée sur l’ensemble du territoire. Cette attente m’était déjà apparue très clairement lorsque votre Commission des Lois m’avait entendue, le 11 décembre 2007, sur le bilan de la loi du 4 avril 2006 relative aux violences au sein du couple.

J’ai donc veillé à ce que les parquets disposent d’orientations précises afin d’éviter des distorsions de traitement injustifiées dans ce contentieux.

J’ai ainsi demandé à mes services une réactualisation du guide d’action publique édité en 2004 sur les violences au sein du couple destiné à tous les professionnels. Ce nouveau  guide a été diffusé au mois de novembre 2008. Il sert de référence aux parquets pour le développement de bonnes pratiques.

Les directives données aux parquets en matière de violences conjugales sont claires et réaffirmées lors de chacun de mes déplacements sur ce thème et à chaque réunion des procureurs.

J'ai demandé aux parquets qu'une réponse pénale systématique et rapide soit apportée à chaque acte de violence.

C’est ainsi qu’en Ile de France le taux de réponse pénale en la matière s'élève à 84 % en 2008, alors qu'il était de 69 % cinq ans plus tôt.

Malgré l’augmentation du nombre d’affaires traitées, les parquets ont réussi à faire face et à accroître le nombre des poursuites.

A titre d’illustration, sur les sept juridictions franciliennes, le taux de poursuitesest désormais de 42,5 % en matière de violences conjugales. Il dépasse le taux de poursuite moyen, qui est de 39 % toutes infractions confondues.

Les délais entre les faits et le jugement sont très brefs. En cette matière ce sont les modes de poursuite rapides qui sont privilégiés : convocation par officier de police judiciaire ou par le procureur directement et comparution immédiate pour les faits les plus graves.

L’auteur des faits est amené à comparaître de cette manière dans un délai de 48 heures à deux mois au plus. Vous avez pu vous-mêmes le constater à Marseille et Evry, la convocation par le procureur est privilégiée ; elle permet un placement sous contrôle judiciaire, pendant ce délai de deux mois, avec des obligations notamment destinées à protéger la victime, à éloigner le partenaire violent ou à le contraindre à se soigner (alcoolisme ou suivi psychologique voire psychiatrique).

Enfin, s’agissant des jugements eux-mêmes, je vous indiquais précédemment que le taux d’application des peines planchers est très supérieur à la moyenne (de 15 %) et que les condamnations sont particulièrement fermes s’agissant des conjoints ou concubins violents qui récidivent.

La Justice sait donc être ferme lorsque cela est justifié, et tout particulièrement lorsqu’un prévenu déjà averti passe à nouveau à l’acte.

Toutefois, il demeure indispensable en amont de préserver la faculté de gradation dans la réponse pénale. Les mesures alternatives aux poursuites offrent pour cela un éventail de mesures étendu et varié.

Permettez-moi de m’y attarder un instant, parce que je sais tous les malentendus que certaines pratiques ont pu générer par le passé en ce domaine.

La réponse pénale ce n’est pas seulement des poursuites devant un tribunal correctionnel.

Je précise d’ailleurs que 90 % des condamnations sont prononcées pour des violences au sein du couple qui ont occasionné des blessures de faible ou moyenne gravité (justifiant une incapacité de travail de 8 jours au plus). Ceci démontre que ce ne sont pas seulement les violences les plus graves qui sont poursuivies, contrairement à ce que l’on entend parfois dire.

De nombreux critères sont pris en considération pour décider d’une alternative aux poursuites plutôt que d’une comparution devant un tribunal. Il existe autant de configurations différentes que de situations et de circonstances dans lesquelles les faits de violences sont commis.

Pour assurer une orientation satisfaisante des procédures, adaptée à chaque d’espèce tout en étant homogène d’une juridiction à l’autre, le guide de l’action publique donne désormais des instructions précises aux procureurs.

Il est important de rappeler la grande diversité et les possibilités étendues qu’offrent les mesures alternatives aux poursuites. Cela va :

  • - du simple rappel à la loi pour des premiers faits de très faible gravité (une gifle lors d’une dispute) ;
  • aux stages de prise en charge psychologique des auteurs ;
  • à l’orientation des maris violents vers des structures proposant des actions de sensibilisation ou des groupes de parole animés par des travailleurs sociaux, des psychologues ou des psychiatres ;
  • en passant par des cures de désintoxication ou de sevrage, quelles que soient les addictions qui contribuent au passage à l’acte (alcoolique ou toxicomanie) ;
  • et, enfin, la médiation pénale.

Toutes ces mesures sont généralement mises en œuvre par des associations spécialisées ou des délégués du procureur formés spécifiquement à ce type de contentieux.

L’attention de tous les intervenants a été appelée sur la nécessité de tenir compte, en matière de violences conjugales, de la relation particulière de l’auteur et de sa victime afin d’éviter que la domination qui s’exerce au sein du foyer ne se prolonge dans l’exécution de la mesure alternative aux poursuites.

Il est prescrit de recourir à ces mesures alternatives en tenant compte notamment :

  • de la nature et de l’importance des blessures infligées
  • des antécédents de l’auteur
  • de sa capacité réelle à progresser dans sa maîtrise de lui-même
  • de l'existence ou non d'une plainte
  • de la situation du couple et la volonté notamment de la victime de poursuivre la vie commune...

Evidemment toutes ces considérations ne sont pas de même niveau. L’absence de plainte et le refus de se séparer d’une victime ne seront en rien déterminants si les circonstances des faits sont graves, si les blessures sont importantes, si l’auteur a déjà été averti ou si son évolution et sa personnalité sont inquiétantes pour l’avenir.

S’agissant plus particulièrement de la médiation pénale, je voudrai préciser qu’en aucune façon son objectif n’est de réconcilier un couple dans lequel des violences ont été exercées.

Cette mesure n’a rien de commun avec la médiation familiale réalisée dans le domaine civil. En matière pénale, la médiation vise à assurer la réparation du préjudice subi par la victime et à obtenir un modus vivendi qui soit de nature à éviter à l’avenir une réitération des faits. Il est recommandé de rappeler aux victimes leur droit d’être assistées par un avocat lors de cette médiation. La victime est en effet, dans cette configuration, en situation de force pour obtenir un engagement de son conjoint qui assure sa sécurité.

La médiation pénale est une mesure qui ne doit pas être catégoriquement exclue en matière de violence conjugale.

Dans certaines situations elle est appropriée, notamment lorsque la victime envisage une rupture qui pourra être ainsi accompagnée et encadrée par avance ou lorsque les violences sont commises dans un contexte particulier, auquel il paraît possible de remédier par un accord formalisé et médiatisé au sein du couple.

Elle doit toutefois être une mesure résiduelle, voire exceptionnelle. C’est ce qu’indique expressément le guide de l’action publique, pour éviter certaines pratiques trop systématiques de recours à la médiation dans des hypothèses où elle avait déjà été tentée ou lorsqu’elle n’apparaissait d’emblée pas adaptée.

A chacun de mes déplacements, j’ai pu constater les efforts réels consacrés par les parquets et leurs partenaires pour apporter la réponse pénale la plus pertinente à chaque situation, et notamment pour veiller à la plus juste adéquation de la mesure alternative choisie et pour assurer son effectivité.

La prise en considération des préoccupations des victimes.

J’aimerai enfin conclure par ce qui constitue notre préoccupation majeure lorsqu’on parle des violences faites aux femmes ; la protection et l’aide que l’on apporte aux victimes.

Ces deux dernières années l’aide aux victimes a connu un développement inédit :

  •  Des textes ont facilité leurs démarches d’indemnisation. Je pense en particulier à la loi du 1er juillet 2008 créant de nouveaux droits pour les victimes dont votre Assemblée a eu l’initiative (service d’aide au recouvrement des indemnisations SARVI).
  • Par décret du 13 novembre 2007 je créais un juge délégué aux victimes dans chaque juridiction. Et, en décembre 2008, j’ai engagé la mise en place de bureaux des victimes à titre expérimental dans 13 tribunaux.

Tous ces dispositifs ont répondu aux attentes des victimes. Leur bilan le prouve déjà. Ils profitent bien évidemment aussi aux femmes victimes.

Plus spécifiquement, la Justice a désormais de nombreux partenariats avec le secteur médical ou des associations spécialisées dans les violences faites aux femmes. Ces partenariats permettent une prise en charge médico-sociale des auteurs et des victimes, voire un accompagnement juridique de ces dernières.

La Chancellerie participe également, pour plusieurs centaines de milliers d’euros chaque année, au financement de nombreuses actions conduites par les fédérations d’associations d’aide aux femmes victimes de violences

La grande avancée dans la protection des femmes victimes de violences conjugales, c’est bien évidemment l’éviction du domicile conjugal de l'auteur des violences.

Elle peut intervenir dans le champ pénal à tous les stades de la procédure : comme alternative aux poursuites, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, comme obligation d’un sursis avec mise à l’épreuve après condamnation ou d’une mesure d’aménagement de peine (libération conditionnelle).

Créé par la loi sur la récidive du 12 décembre 2005, l’éviction du conjoint en matière pénale a été très rapidement appliquée et ne cesse depuis de progresser :

  • prononcée dans 10 % des affaires en 2006,
  •  elle touchait 13 % des auteurs de violences conjugales en 2008
  • et concerne depuis le début de l’année 2009 plus de 18 % des        maris violents.

En matière civile, l’éviction du conjoint violent est possible en mesure avant divorce depuis la loi sur le divorce du 26 mai 2004. Lorsque cette mesure est demandée au juge, elle est accordée de plus en plus souvent. Désormais cette demande est satisfaite à 82 %.

Ces lois, vous le voyez, ont apporté des réponses spécifiques à un type particulier de violence. Je pense que c’est de cette manière que la loi répond le mieux à sa vocation protectrice. Et je souhaite poursuivre dans le même esprit ce renforcement.

Les projets législatifs pour renforcer la protection des femmes victimes.

Vous le savez, le ministère de la Justice travaille aujourd’hui sur un projet visant à renforcer la protection des femmes face à certaines violences.

Permettez-moi pour terminer mes propos d’évoquer les trois orientations principales de ce projet :

  • Je souhaite tout d’abord qu’au XXIème siècle on réaffirme que l’union entre un homme et une femme est un acte qui doit impérativement être librement consenti de part et d’autre.

Créer une infraction particulière n’aurait pas de sens et pourrait être contreproductive, elle pourrait dissuader une victime d’agir. La voie civile est préférable pour délier une union qui n’a pas été librement consentie.

En revanche, commettre des violences pour contraindre à un mariage forcé me paraît être indiscutablement une circonstance aggravante.

Le texte en préparation relève le niveau des sanctions encourues pour tous les meurtres, actes de torture et toutes les violences perpétrés pour contraindre quelqu’un à une union ou en représailles si cette personne refuse cette union.

  • Deuxième volet principal de ce texte, je propose que nous consacrions dans le code pénal la notion de violences psychologiques. Cette forme de violences morales est reconnue par la jurisprudence depuis plus d’un siècle, mais n’est toujours pas inscrite dans la loi pénale.

Pour prendre un exemple parlant, impressionner quelqu’un par des paroles intimidantes, voire en tenant une arme n’est pas nécessairement une menace qui tombe sous le coup de la loi pénale. Dans ce cas, des violences psychologiques pourront être retenues, avec une peine encourue modulée suivant les conséquences qui en résultent pour la victime (dépression, peur de sortir, hyperémotivité...).

  • Troisième et dernier volet de ce projet de loi, je souhaite que des peines plus lourdes soient prévues contre les violeurs et les auteurs d’agressions sexuelles qui utilisent des produits pour soumettre leurs victimes sans résistance, ce que l’on appelle la soumission chimique.

Et pour avoir une action préventive contre ce genre de faits, je propose également de créer une infraction spéciale pour sanctionner celui qui a administré un produit de ce type ou tenté de le faire. Ainsi, celui qui sera vu versant du GHB (dite « drogue du violeur ») dans un verre pourra être poursuivi sans attendre qu’il commence à passer à l’acte sur sa victime.

*

Mesdames et Messieurs les Députés,

A l’issue de cette intervention et au vu du bilan que je vous ai exposé, vous prendrez la mesure je le souhaite, des progrès accomplis par notre Justice dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

Vous pourrez constater la mobilisation sans faille des magistrats et de leurs partenaires en ce domaine.

Enfin vous me voyez convaincue que cette lutte est de toutes les époques et de tous les instants.

C’est pourquoi -sans avoir de calendrier législatif pour le projet que je vous ai présenté sommairement- je souhaite que les avancées législatives déjà accomplies puissent être poursuivis dès que possible.

Je vous remercie.