[Archives] Amélioration des procédures d'insolvabilité

Publié le 19 avril 2011

Discours de M. Michel Mercier, Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés

Seul le prononcé fait foi

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Monsieur le président de la Conférence générale des juges consulaires,

Mesdames et Messieurs les magistrats,

Mesdames et Messieurs les professeurs,

Mesdames et Messieurs les avocats,

Mesdames et Messieurs les mandataires et administrateurs judiciaires,

Mesdames et Messieurs,

La crise économique et financière que nous venons de traverser a mis en lumière les limites d’un système confronté aux défis de l’internationalisation et aux risques de défaillances en chaîne. Des interrogations sont nées sur la capacité de régulation des différents droits nationaux, et même du droit communautaire, pour faire face aux risques de marchés désorganisés, de responsabilités diluées ou de contrôles à l’efficacité limitée.

Ce contexte économique justifiait assurément que nous accélérions nos réflexions afin de rechercher les meilleures solutions possibles pour traiter les difficultés des entreprises. Et je tiens à vous féliciter d’avoir pris l’initiative de ce colloque qui a permis à d’éminents spécialistes et aux professionnels des procédures d’insolvabilité d’apporter leur éclairage et leurs réflexions pour y parvenir.

Les interventions, riches et diversifiées, ont démontré que le droit de l’insolvabilité, marqué par l'intervention du juge et les exigences de l'ordre public, est aussi un droit souple et vivant, apte à répondre aux besoins croissants de régulation et de sécurité juridique.

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En réponse à la crise, de nombreux pays ont fait évoluer leur droit de l’insolvabilité. Vous avez évoqué ici le droit des États-Unis, le droit anglais et le droit allemand. D’autres pays pourraient être cités, comme la Grèce, qui a réformé son droit en 2007,  l'Italie qui a fait de même en 2004 et 2008, ou encore l'Autriche en 2010. D'autres encore envisagent de le faire. Et déjà vos travaux ouvrent de nouvelles pistes, tandis que se profile une révision du règlement communautaire du 29 mai 2000 sur les procédures d’insolvabilité.

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Le droit français de l’insolvabilité a, lui aussi, connu ces dernières années une accélération considérable du rythme de ses réformes.

La loi du 26 juillet 2005, modifiée en 2008 et par deux fois en 2010, a rénové l’ensemble de notre droit des entreprises en difficulté, vingt ans après la loi du 25 janvier 1985.

Cette loi, enrichie par une pratique inventive, a doté le droit français de l’insolvabilité d’instruments efficaces, qui permettent de gérer les difficultés de l’entreprise selon le moment de leur apparition, leur nature et leur gravité ou encore selon la taille de l’entreprise.

Ainsi, la loi renforce les chances effectives de sauvetage en favorisant l’anticipation et la négociation avec les créanciers.

o       L’anticipationgrâce à la procédure de sauvegarde qui est l’un des dispositifs les plus emblématiques de notre droit de l’insolvabilité : procédure à l’initiative exclusive du chef d’entreprise en amont de la cessation des paiements, elle a fait toute la preuve de son utilité.

o       La négociation grâce au mandat ad hoc ou à la conciliation, dont l’efficacité est également largement reconnue.

Par ailleurs, pour assurer la poursuite de l’activité dans le cadre des procédures collectives, les bénéfices pratiques du dialogue entre le débiteur et les partenaires de l’entreprise sont indéniables ; il apparaît en effet que les plans sont d’autant mieux acceptés et compris qu’ils ont été négociés et non pas imposé par le juge.

La très récente réforme de la sauvegarde financière accélérée vient encore renforcer l’importance de cette négociation dans l’élaboration du plan. Cette procédure innovante s e distingue de la sauvegarde en ce qu’elle est précédée d’une conciliation obligatoire, qu’elle n’a d’effet que sur les créanciers financiers et qu’elle donne lieu à un plan de sauvegarde dans un délai maximal de deux mois. Son objectif est donc d’imposer rapidement une restructuration financière pré-négociée et ayant recueilli un large soutien des créanciers concernés, tout en préservant l’activité opérationnelle du débiteur en difficulté. Je me félicite d’ailleurs que dans une loi de simplification du droit qui vient d’être adoptée, le Parlement en ait étendu le bénéfice aux sociétés qui portent effectivement la dette financière au sein des groupes et non plus seulement aux holdings.

Plus globalement, les comités de créanciers institués par la loi de 2005 constituent à mes yeux un outil efficace de dialogue et de négociation. J’ai donc demandé au directeur des affaires civiles et du Sceau de présider un groupe de travail sur le sujet afin de déterminer d’ici l’automne les améliorations pouvant être apportées à leur fonctionnement.

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Le dialogue qui se noue lors des procédures d’insolvabilité contribue à préserver la confiance des partenaires de l’entreprise dès lors qu’elles sont conduites avec célérité et dans le respect des intérêts en cause – nombreux et divergents (ceux de l’entreprise, des actionnaires, des dirigeants, des salariés, des créanciers ou d’autres partenaires de l’entreprise).

L’équilibre entre ces intérêts est d’autant plus délicat qu’il doit être trouvé dans un contexte économique et financier fluctuant et internationalisé. Nous devons plus que jamais nous intéresser aux droits étrangers et réfléchir à l'efficacité du traitement des difficultés, au-delà du cadre national, notamment pour répondre aux difficultés des groupes de sociétés transfrontaliers et internationaux. C’est tout l’intérêt de votre colloque qui offre un regard comparé non seulement sur le droit mais aussi sur les pratiques.

Je tiens à ce que le ministère de la justice et des libertés joue pleinement son rôle dans les réflexions à conduire dans ce domaine, et notamment à l’occasion de la révision du règlement communautaire sur les procédures d’insolvabilité qui s'annonce à brève échéance.

Nous devons, en effet, tirer les leçons de l'application de ce texte, qui visait à faciliter la coopération judiciaire pour développer le marché intérieur et non à favoriser les pratiques de « forum shopping » ou de « law shopping », qui peuvent être à l'origine d'abus ou se révéler contraires aux intérêts des partenaires de l'entreprise.

Assurer à la fois la préservation de la sécurité juridique et de la sécurité des affaires, et la prééminence de l'intérêt général, est une œuvre difficile et toujours fragile. Elle l'est encore plus lorsque l'espace à appréhender n'est pas le seul espace national.

Nous savons l’importance d’un droit prévisible et clair, pour renforcer la confiance des acteurs économiques et financiers et celle de nos partenaires. Je suis persuadé que le droit français des procédures collectives peut apporter des réponses et des outils performants, car il a déjà prouvé son haut degré de sécurité pour l’ensemble des acteurs concernés.

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La crise économique a été un révélateur, soudain et brutal il est vrai, des limites du système économique et financier, et de la perfectibilité de notre droit. Par l’échange de nos expériences, par une meilleure connaissance des systèmes juridiques de nos pays respectifs, je suis convaincu que nous pourrons disposer pour l’avenir d’un droit de l’insolvabilité plus efficace, qui favorise la sécurité juridique de l’entreprise et de tous ses partenaires.

Je vous remercie.