[Archives] Déplacement en Corse avec Manuel Valls

Publié le 15 novembre 2012

Discours de Madame Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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Mesdames et Messieurs, nous sommes là depuis la nuit dernière, le ministre de l’Intérieur et moi-même à la demande du Président de la République et du Premier ministre qui tenaient à ce que nous portions la parole de l’État pour dire d’abord nos sentiments de compassion vis-à-vis de la famille du Président Nacer. Pour dire que l’État respecte la Corse et ne la stigmatise pas, c’est bien l’expression première, la traduction première de notre présence. Et pour intensifier le travail que nous avons entrepris, de façon à apporter les réponses les mieux adaptées et les plus efficaces à la situation de la délinquance, de la criminalité des actes terroristes auxquels la Corse est confrontée.

Nous sommes là donc depuis la nuit dernière, Manuel Valls et moi, nous avons tenu une séance de travail dans la nuit avec tous les responsables, pour ma part, avec le Procureur général, M. Désert, les procureurs de Bastia et d’Ajaccio, avec tous les responsables de nos administrations qui ont à charge au quotidien de travailler à la réalité de l’état de droit et donc à toutes les mesures nécessaires pour que les lois et les règles soient respectées. Nous sommes là pour dire notre confiance, notre confiance aux Corses, aux Corses qui sont confrontés, les premiers, et au quotidien, et de façon imprévisible et prévisible, à ces assassinats inacceptables, à une criminalité organisée, à une délinquance récurrente, à des actes meurtriers. Nous sommes là pour leur dire notre confiance. Nous sommes là pour dire aussi notre confiance aux élus qui sont confrontés à cette situation et qui savent que l’État est là, que l’État ne capitule pas, que l’État ne recule pas, que l’État leur dit clairement qu’ils doivent s’adosser à cet État dans toutes ses dimensions : sa dimension gouvernementale, mais sa dimension institutionnelle puisque l’État est présent en Corse comme il est présent sur l’ensemble du territoire. Dire notre confiance aussi à nos administrations. Nous sommes absolument persuadés que dans la police, la gendarmerie, la douane, les services fiscaux, dans la magistrature – et cela concerne les magistrats du parquet, les magistrats du siège, les greffiers – que nous avons des responsables et des personnes de qualité. Que nous avons des chefs de service et des fonctionnaires de qualité. Et nous leur demandons justement de se mobiliser pour non seulement faire leur travail aussi bien qu’ils le font déjà, mais améliorer les méthodes de travail, s’interroger sur les relations internes dans chaque administration, sur les relations entre administrations.

Nous voulons apporter des réponses précises au titre de nos responsabilités respectives, Manuel Valls et moi-même, mais aussi des réponses globales, puisque le gouvernement a souhaité – le premier ministre, vous le savez, a mis en place un comité interministériel – et  souhaite traiter l’ensemble des problèmes posés à la Corse.

Nous apportons ces réponses précises, à la fois dans l’immédiat et à terme. Dans l’immédiat, nous mettons tout en œuvre de façon à ce que chaque crime, chaque crime soit élucidé, au niveau le plus pertinent. Avec la coopération la plus efficace entre les niveaux d’enquête, de renseignement, d’instruction, de jugement, de condamnation s’il y a lieu et de suivi de l’exécution des condamnations.

Nous voulons apporter les réponses immédiates parce qu’aucun crime n’est acceptable dans un état de droit, mais des réponses à terme aussi parce que, le Président de la République l’a dit hier : il faut travailler profondément sur les causes de cette criminalité organisée, sur les causes de cette délinquance, sur les causes de ces actes de terrorisme. Et cela veut dire que nous devons agir à plusieurs niveaux. Pour ce qui concerne la justice, nous devons agir sur la prévention. Nous savons la porosité qui existe entre les actes criminels et des activités économiques. Nous travaillons sur ces sujets depuis l’arrivée de ce gouvernement et plus intensément depuis la mise en place de ce comité interministériel. Manuel Valls avec ses administrations, moi-même avec les miennes, et au premier chef avec les chefs de cours et d’abord avec le procureur général. Nous devons prévenir en sachant que cette porosité est létale, et cela signifie que nous intensifions les moyens de détection d’activités économiques susceptibles de révéler des enrichissements sans cause. Des avoirs criminels, et nous mobilisons tous les moyens de droit – et nous en disposons – pour procéder à la saisie de ces avoirs criminels, et pour enclencher les enquêtes qui permettent de mettre… de trouver les nœuds qui lient plusieurs affaires entre elles. C’est pour cela que nous sommes très attentifs au travail effectué par le Gir, c’est pour cela qu’une cellule de détection a été mise en place au sein de l’état-major de sécurité, c’est pour cela que nos administrations sont appelées à coopérer et à échanger leurs informations. Prévenir en sachant que l’affairisme contribue à la criminalité organisée et que l’affairisme est parfois la porte d’entrée pour intervenir sur les réseaux qui contribuent, qui participent à la criminalité organisée. Le ministre de l’Intérieur a cité un certain nombre d’activités, de filières d’activité, dont nous savons, suite à des enquêtes, suite à des procédures, suite à des condamnations, nous savons qu’il y a des liens étroits entre la criminalité organisée et certains types d’activités. Nous intensifions donc le travail de détection et de prévention.

Ensuite, il faut mieux coordonner. Il faut mieux coordonner le travail de nos administrations, et il faut mieux coordonner le travail de nos administrations entre elles. Ce sont des dispositions qui ont déjà été prises et qui vont s’intensifier parce que nous travaillons déjà avec les responsables de nos administrations, qui ont procédé à l’évaluation du travail qu’elles effectuent, des méthodes qu’elles utilisent, des mécanismes qui régissent leurs activités et leurs responsabilités. Et nous veillons à améliorer ces mécanismes et ces méthodes de façon à les rendre plus performants.

Nous devons aussi améliorer le taux d’élucidation des affaires. Et pour améliorer le taux d’élucidation des affaires, il faut améliorer évidemment cette coordination entre nos services et nos administrations, mais il faut aussi mieux maîtriser la définition et la qualification des actes auxquels nous sommes confrontés de façon à les orienter vers le milieu le plus pertinent pour un travail le plus rapide possible et le plus efficace. Nous devons aussi bien sûr accélérer la réponse pénale. Nous prenons des dispositions de façon à ce que nos juridictions soient en capacité d’améliorer leur réponse, leur réactivité et le délai dans lequel elles traitent des procédures qui leur sont confiées.

Nous devons aussi protéger la réponse judiciaire. La criminalité organisée, la délinquance qui sévit en Corse, opèrent dans une réalité sociologique qui est celle d’une île avec un territoire géographique bordé, avec une proximité et des relations entre les personnes, entre les familles, entre les groupes, qui sont le fait d’un territoire avec une surface limitée et un effectif de population limité, nous sommes conscients de ces réalités et nous comprenons les difficultés qui font que nous avons que les juridictions ont du mal à obtenir des témoignages. Nous rappelons que le droit permet l’anonymat sur les témoignages, et nous prenons toutes dispositions afin de protéger la réponse judiciaire, c'est-à-dire de protéger toutes celles et tous ceux qui peuvent concourir à la manifestation de la vérité.

Au niveau de la justice, nous prenons donc deux grandes dispositions :

Ø La première consiste à améliorer les effectifs de nos parquets, à améliorer non seulement les effectifs en quantité, mais améliorer la capacité d’agir de nos magistrats du parquet et du siège, mais également de nos fonctionnaires par une redéfinition des profils nécessaires pour intervenir sur les types de délinquance et de criminalité auxquels ils sont confrontés ;

Ø La deuxième grande mesure consistera à diffuser une circulaire pénale territoriale qui sera diffusée dans moins d’une semaine d’ici à ce que nous revenions, le ministre de l’Intérieur et moi-même, et cette circulaire pénale territoriale donne des orientations précises pour rendre efficaces les cinq axes que je viens de présenter à savoir : la prévention, donc l’organisation de l’action de façon à mieux repérer les activités économiques susceptibles de donner lieu à des enquêtes, à des procédures et éventuellement à des condamnations ; procéder sans état d’âme aux saisies d’avoirs criminels y compris sans dépossession comme le permet la loi – c'est-à-dire y compris la saisie d’actifs - ; et faire en sorte que la porosité que nous connaissons entre les activités économiques et la criminalité se dissolve. La deuxième orientation sera une meilleure coordination au sein de l’institution judiciaire, mais entre l’institution judiciaire et les administrations de l’Intérieur. Vous savez que les liens sont déjà très proches, notamment sur la police judiciaire, pour le travail de la police judiciaire, donc une amélioration de cette coordination. Améliorer l’élucidation, accélérer la réponse pénale et protéger ceux qui concourent à la manifestation de la vérité de façon à ce que la justice soit rendue.

Je le disais, le gouvernement, le premier ministre a indiqué très clairement que la réponse devra être globale également, c'est-à-dire que d’autres ministères sont impliqués : au premier chef, le ministère de l’Économie et des Finances, parce que pour lutter contre l’affairisme, il faut disposer des informations et des moyens ainsi que des effectifs qui nous permettent d’avoir connaissance de ces actes d’affairisme, mais également l’Éducation nationale, parce qu’il y a lieu de contribuer à ce que la cohésion sociale en Corse, qui est mise à mal parce ces assassinats, par ces meurtres, par cette criminalité récurrente, par le sentiment que la situation est tellement complexe qu’il y a une telle densité historique dont la répétition de cette criminalité, que peut-être il n’y a pas de solution. Oui, il y en a, et la solution elle est là sur le territoire, elle est dans la république, elle est dans l’état de droit. Et c’est parce que les Corses auront de plus en plus le sentiment que l’État est présent, bien déterminé à agir, que les résultats que nous obtenons et que nous obtiendrons seront mis à la disposition, portés à la connaissance de la société corse et des élus corses, nous contribuerons à rétablir un climat de confiance.

Nous contribuerons à rappeler aux Corses que ce sont eux qui tiennent leur territoire, que ce n’est pas une minorité de meurtriers, d’assassins, d’affairistes, de mafieux – osons le mot – ce ne sont pas eux qui tiennent le territoire, c’est bien la grande majorité des Corses qui tiennent le territoire, qui le font vivre en y travaillant. Et que c’est à eux que doit revenir le dernier mot, comme le dernier mot doit revenir partout sur ce territoire à ceux qui y habitent, parce que nous sommes dans un état de droit et que la responsabilité de l’Etat, incarnée par le gouvernement, c’est de faire vivre au quotidien l’état de droit. C’est ce que nous sommes venus dire. Nous revenons dans une dizaine de jours. Le travail se poursuit, et dans une dizaine de jours nous vous indiquerons très précisément où nous en sommes des décisions que nous avons prises. Vous savez que pour l’affectation des magistrats, par exemple, je suis tenue à des procédures, avec des calendriers : nous avons décidé d’accélérer le calendrier. Et au lieu d’attendre la transparence des magistrats – la prochaine transparence qui doit survenir en janvier prochain – nous ferons une transparence intermédiaire, un appel à candidature a déjà été effectué, nous ferons une transparence intermédiaire de façon à pouvoir affecter le plus vite possible les postes de magistrats nécessaires au parquet et au siège. Cela concerne bien entendu aussi bien la juridiction de Bastia que celle d’Ajaccio, et la Cour d’appel et pour Bastia bien entendu, de pôles économiques et financiers. Je suppose que nous ouvrons la séquence de questions.