[Archives] A l'Ecole Nationale de la Magistrature

Publié le 03 août 2012

Discours de Madame Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice

Temps de lecture :

9 minutes

Extrait du discours

 

Monsieur le Premier président de la Cour de Cassation, monsieur le Procureur général de la Cour de Cassation, madame le Premier président, monsieur le Préfet, mesdames et messieurs, mesdames et messieurs vous tous honorables.

Je dois dire que je suis particulièrement ravie d’être parmi vous depuis ce matin ; j’ai effectivement entendu et vu de belles choses ; sans doute monsieur le directeur que je mesurerais la passion et l’enthousiasme, mais je mesure également le sérieux avec lequel vous travaillez ; dans les trois salles où je me suis rendue, j’ai bien vu avec quel sérieux les auditeurs participent à cette formation et comment les enseignants eux-mêmes y mettent à la fois du cœur et de la rigueur, donc je retiendrais tout çela des heures passées avec vous.

Je voudrais partager avec vous quelques réflexions et ma solide conviction que vous allez accomplir avec la plus grande efficacité mais surtout la plus belle détermination la mission qui vous sera confiée en tant que magistrat dans notre démocratie. Vous êtes en formation pour trente et un mois avec seulement huit mois passés dans l’établissement lui-même, le reste du temps dans divers stages.

 Vous êtes en formation, avec évidemment une première question : celle de savoir si on peut apprendre à être juge ou procureur. Autrement dit, si on peut apprendre l’incertitude, le doute, la contradiction, le mystère, le mensonge même, puisque vous y serez confrontés. Est-ce que vous allez apprendre à parler « juge », à penser « juge », à vous croire juge, est-ce que l’école elle-même est un lieu de transmission des savoirs, d’entraînement à la pratique ou est-ce que c’est un lieu où vous apprendrez à vous installer dans un état, à vous préparer à exercer un métier, à bâtir une carrière, peut être à appartenir à un sérail, à construire un esprit particulier, une mentalité, est-ce que c’est un lieu où vous allez apprendre à vous ancrer dans une promotion, je dois dire que celle-là est particulièrement belle.

C’est donc avec toutes ces interrogations que je suis venue vers vous, auprès de vous, pour passer ces heures à vos côtés, vous entendre, vous voir, vous voir réagir et travailler. Je dois peut être vous dire aussi que mon intérêt pour cet établissement, mais surtout pour cette formation, est vraiment extrêmement élevé. Je sais qu’il y a quelques temps que les promotions n’ont pas vu de ministre. Ma présence ici  indique très clairement que cette « non-relation » ne sera plus de mise. Je regarderai avec une attention particulière comment évolue ce « creuset » qui assure le relai entre les générations.

L’institution judiciaire participe à la paix publique en créant des conditions de « vivre ensemble ». Et à ce titre elle participe donc à la sécurité. Cette sécurité résulte aussi bien de la sanction pénale que de la mesure éducative pénale selon leurs modalités d’exécution. La Justice est unique, nous le savons. Simplement, elle n’est pas seule et en particulier dans la conjoncture actuelle. Vous savez que le Président de la République a décidé de faire de la Justice une priorité majeure. Malheureusement les conditions financières sont telles que ce privilège de priorité majeure ne nous assure pas tous les moyens nécessaires pour conduire dans les meilleures conditions matérielles et financières la formation dans cet établissement. Ce qu’il y a de miraculeux dans cet établissement et dans quelques autres endroits dans ce pays, c’est que même lorsque les conditions financières ne sont pas celles que l’on souhaiterait pour conduire au mieux une formation de vos encadrants, Présidence du Conseil d’administration, Conseil d’administration, Direction, coordonnateurs, enseignants, vos encadrants optimisent et font en sorte que cette formation soit quand même assurée dans les meilleures conditions. Je leur dit très clairement ma gratitude en sachant qu’il ne revient pas à l’Etat de prendre acte du fait que les efforts supplémentaires accomplis par les personnels permettent de passer un cap difficile, il n’y a pas lieu de pérenniser cette situation où on demande des efforts plus grands encore parce que nous sommes dans un moment où nous ne pouvons pas assurer le budget à la hauteur qu’il le mériterait.

Je suis donc venue jusqu’à vous pour rencontrer l’avenir, parce que vous êtes la France de demain et que calcul fait, je me dis qu’en  2042 et peut être 2052 vous, pour la plupart, serez en fonction, vous assurerez de hautes responsabilités et cette formation que vous recevez à l’Ecole nationale de la magistrature contribue à vous préparer, à assumer ces hautes responsabilités en sachant que très vite vous deviendrez vous-même formateur puisque très rapidement après votre formation, après votre stage juridictionnel, vous accueillerez vous-même des stagiaires, donc vous passerez aussi le flambeau du savoir, de la compétence et de la réflexion sur ces très beaux métiers.

Je suis évidemment aussi à la rencontre ce matin de l’exigence. Vous avez choisi d’épouser cette très belle fonction à un moment où l’estime qui est due à cette profession ne va plus de soi. Où il vous est demandé constamment de fournir des preuves de la valeur du travail que vous fournissez, de la qualité de votre engagement et des résultats que vous obtenez dans l’exercice de vos missions. Vous avez donc, vous savez ce que cela veut dire, la charge de la preuve. Mais vous avez en vous, souvent en l’ignorant, une immensité de capacités et de ressources, et pour ma part je suis tout à fait confiante sur les aptitudes que vous avez à faire en sorte de démontrer, en administrant vraiment la charge de la preuve, que nous avons devant nous une très belle promotion de magistrats et que dans ce pays au nom du peuple français, la Justice sera de mieux en mieux rendue.

Je sais aussi ce qui vous incombe. C’est une grande nécessité. C’est qu’à travers vous, on lise la Justice. Je vous dis simplement - et c’est peut être un message douloureux de la part d’une personne bien plus vieille que vous mais surtout qui vous regarde vous avec votre jeunesse, votre fraîcheur, - de ne pas chercher à vous faire aimer en pratiquant la Justice. Pour le reste, vous y avez largement droit. Ne cherchez pas à vous faire aimer, mais veillez à œuvrer de façon à ce qu’à travers vous, la justice soit respectée. On parle volontiers de respect. Que peut contenir le respect pour des magistrats ? D’abord pour vous, pour moi aussi, le respect de la Constitution. Le respect des conditions dans lesquelles la loi doit être appliquée. Le métier que vous allez épouser est un des rares métiers inscrit dans la Constitution. Vous êtes les premiers gardiens de la Constitution et des Conventions internationales. C’est une responsabilité majeure et la réforme de 2008 qui introduit la question prioritaire de constitutionnalité a augmenté l’importance de ce rôle. Vous avez aussi, vous aurez aussi à respecter la personne, toute personne quelque soit son implication dans le procès, quelque soit son âge, son apparence, quelque soit sa situation sociale, ses conditions, il faudra respecter la personne, de même que vous allez respecter la belle mission que vous aurez à accomplir. Et ce respect vous accompagnera au quotidien, il transpirera tant que vous recevrez vous, en échange, en retour, du respect.

La question majeure après celle de savoir si on peut apprendre à être juge ou procureur et si l’école peut l’enseigner et jusqu’où, en sachant bien entendu la part qui vous revient à vous, est de savoir ce qu’attend de vous la société. Bien juger bien entendu. Ne pas juger trop vite, ne pas juger trop lentement non plus. Juger avec en permanence des interrogations. Se demander comment échapper à l’évidence. Observer, utiliser les expertises, les contrôles les plus méticuleux, de façon à rendre la justice « la conscience légère » quelle que soit la lourdeur des décisions que vous aurez à prendre. Vous interroger sur vos interlocuteurs, sur ceux qui, auprès de vous, en face de vous, participent aussi à l’œuvre de la Justice. Le Greffier, l’Avocat, le journaliste judiciaire aussi, l’expert judiciaire, tous ceux qui à un moment interviennent dans le procès, sont là pour contribuer à l’œuvre de Justice, pendant que vous vous consacrez à l’acte de juger. Il y a à s’armer de patience, de courage, pour faire en sorte d’échapper à la pression de l’évidence et rendre la Justice avec efficacité.

L’Ecole nationale de la magistrature est une école brillante et a une belle tradition. C’est surtout une école républicaine, qui satisfait aux idéaux républicains. Les conditions dans lesquels les recrutements sont effectués obéissent à cette exigence républicaine. Il faut se souvenir des conditions dans lesquelles on accédait à la magistrature. L’Ecole de la magistrature permet d’échapper aux conditions de naissance, aux conditions sociales, qui faisaient que, en conséquence, des mécanismes d’entre soi, de reproduction sociale fermée sur elle-même, se développaient dans la société. L’Ecole nationale de la magistrature qui est une école républicaine diversifie les modes de recrutement de façon à diversifier les publics, de façon à diversifier ceux qui occuperont ce métier de rendre la Justice. Et c’est un engagement de la République extrêmement élevé, ce n’est pas juste une méthode de recrutement. C’est la décision d’obtenir une Justice d’agent public.

Pour la plupart vous avez passé votre concours il y a un an je crois, c’est un des concours les plus difficiles. C’est un concours difficile parce que l’exigence de la République est élevée sur la qualité de ses corps de magistrats. Il vous faudra apprendre à être juge, mais pas être juge n’importe quand, à être juge dans ce XXIème siècle bouleversé, changeant, inquiétant, c’est dans ce contexte que vous allez apprendre, que vous apprenez déjà à être juge.

Etre juge, c’est savoir que le citoyen attend de vous l’impartialité. Qu’il vous fait confiance parce qu’il sait que dans une démocratie, entre le faible et le fort, c’est la Justice qui va protéger. Mais l’impartialité bien entendu suppose l’indépendance. L’indépendance est une ambition majeure pour la Justice dans une démocratie. Cette indépendance nous la voulons garantie. Nous la voulons garantie pour les justiciables parce qu’il faut qu’en toute impartialité vous puissiez juger, que vous puissiez décider. Il faut pouvoir échapper aux pressions extérieures. En clair l’indépendance n’est pas faite pour les juges, elle est faite pour le justiciable. Elle est faite pour que vous soyez en mesure d’assurer aux plus faibles, aux plus vulnérables la protection de la société, la protection de la démocratie. L’indépendance ne signifie pas, évidemment, l’égoïsme, le repli sur soi. L’indépendance ne fait pas échapper à l’égalité de la justice sur l’ensemble du territoire et par conséquent à l’inquiétude sur une qualité homogène de la Justice sur l’ensemble du territoire.  

Cette indépendance de la Justice, j’y travaille avec détermination. J’ai déjà pris un certain nombre de décisions. Vous savez que j’ai pris déjà publiquement l’engagement de ne recourir à aucune instruction individuelle. Je respecte et je respecterai l’indépendance de la Justice. J’ai décidé de rendre transparentes -parce que l’indépendance de la Justice c’est la transparence, c’est la capacité pour chacun de savoir ce qui se passe et dans quelles conditions- j’ai décidé de rendre transparentes les nominations des Procureurs généraux, des Avocats généraux, des Inspecteurs généraux. C’est une décision que j’ai prise à la suite d’une séance de travail avec la Cour de Cassation éminemment représentée ici par Monsieur Vincent Lamanda, le Premier président de la Cour de Cassation et monsieur Jean-Claude Marin, le Procureur général de la Cour de Cassation. J’ai donc décidé de rendre transparentes les nominations de Procureurs généraux, d’Avocats généraux, d’Inspecteurs généraux. C’est un acte qui va au-delà des prescriptions de la loi. Mais c’est un acte qui va vers plus de transparence dans la magistrature, des relations plus normales, plus claires entre l’exécutif et la Magistrature. C’est un choix de clarté, c’est un choix de responsabilité, de confiance.

Votre statut encadre votre profession. Il vous est enseigné que le Magistrat doit être digne et loyal. C’est l’éthique et la déontologie qui doivent guider votre carrière. Cela passe évidemment par la loyauté. La loyauté à la loi, à vos obligations déontologiques. Elle s’adresse aux Magistrats du Siège et du Parquet de façon différenciée et ne se confond pas avec une loyauté administrative.

(…)