[Archives] Tribunaux de commerce

Publié le 29 novembre 2013

Discours de Madame Christiane Taubira, Garde des sceaux, ministre de la Justice

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21 minutes

Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice – Merci Monsieur le Président de la Conférence des juges consulaires. J’étais en train de vous dire que l’assistance vous rendait tout ce que vous lui aviez donné.

Mesdames et Messieurs, Monsieur le Représentant du procureur, alors d’abord vous, Monsieur le Président qui nous accordez l’hospitalité, Monsieur le Représentant du procureur général de la Cour de cassation, Monsieur le Président de la Chambre commerciale, financière et économique près la Cour de cassation, Monsieur le Président du tribunal de commerce de Paris, Monsieur le Conseiller Justice de Monsieur le Président de la République, Madame la Conseillère Justice de Monsieur le Premier Ministre, chère Line, Madame la Maire adjointe de Paris, Monsieur le Directeur de l’École nationale de la magistrature, Monsieur le Président du Conseil national des tribunaux de commerce, Monsieur le Président de l’Union européenne des magistrats consulaires, Mesdames et Messieurs les Avocats, cher maître représentant le président du Conseil national des barreaux et Madame la Bâtonnière de Paris, Messieurs les Représentants des professions, Monsieur le Président du Conseil national des administrateurs et des mandataires judiciaires, Monsieur le Président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, Monsieur le Président national de la Chambre des huissiers de justice, Monsieur le Président de la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires, Madame la Représentante du Président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, Monsieur le Représentant du Président du Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables, et j’ai entendu Monsieur le Président de l’Association des juges consulaires européens est avec nous. J’ai compris que nous avions également parmi nous des représentants de compagnies d’experts, des universitaires.

Mesdames et Messieurs, chacune, chacun d’entre vous en vos grades et qualités, je dois dire que j’éprouve un immense plaisir d’être avec vous aujourd'hui. Comme vous l’avez rappelé, Monsieur le Président, l’an dernier je n’ai pas eu ce bonheur puisque je me trouvais dans l’hémisphère sud. Je me trouvais en effet à Quito, capitale de l’Équateur, à la rencontre de l’Organisation des États américains, circonstance dans laquelle j’ai signé une convention permettant à la France de participer au portail des échanges juridiques et judiciaires avec les 35 pays de l’Organisation des États américains, ce qui constitue pour nous… Nous sommes le premier pays européen à l’avoir fait. Les États-Unis et le Canada nous avaient précédés. Ce qui constitue pour nous une facilité, notamment dans la lutte conjointe, commune contre les trafics, contre la criminalité organisée, contre la traite des personnes, contre tous ces réseaux qui s’organisent pour traverser les frontières.

Cette circonstance m’a donc privée d’être parmi vous l’an dernier et j’ai tenu à ce que mon directeur de cabinet d’alors, Christian Vigouroux, dont vous avez rapporté les propos avec précision, vous dise ma parole et ma confiance. Cette confiance était bien placée. Je l’ai vécu très, très directement et je veux vous en remercier tout particulièrement, Monsieur le Président, de la qualité des relations que nous avons pu entretenir, et cette qualité de relation est incontestablement un des éléments essentiels qui nous a permis sur des sujets qui parfois étaient délicats, qui ont nécessité parfois plusieurs échanges, mais nous avons avancé pour améliorer encore l’efficacité de la justice commerciale.

Cette efficacité est indispensable et c’est vous qui l’assurez au quotidien. Elle est indispensable et en même temps elle ne peut que s’améliorer lorsque nous sommes confrontés, lorsque la société est confrontée aux difficultés économiques que nous connaissons et qui ne sont pas juste une fenêtre, qui ne sont pas juste une conjoncture, mais qui constituent des bouleversements structurels. Et l’intelligence que je perçois dans cette profession m’a conduite à penser dans un premier temps, même si en tant que législateur je sais quelles ont été les relations parfois difficiles entre la profession et certaines institutions, et en particulier avec le pouvoir législatif. Mais cette intelligence m’a conduite à penser qu’il y aurait de réelles facilités à anticiper, à faire en sorte que si des modifications sont nécessaires – et certaines le sont, certaines en étaient même pressantes – qu’il y avait cette aptitude à se projeter et à ne pas se retrouver dans l’obligation de modifier sous la pression de l’urgence. Mais je savais que certains sujets étaient épineux, délicats. J’ai voulu comprendre, en fait, pourquoi ils étaient à ce point non seulement épineux, délicats, mais on peut le dire : éruptifs pour certains.

Et je me suis donc plongée dans l’histoire même de la justice commerciale. Et cette histoire révèle, en effet, les raisons pour lesquelles longtemps cette justice a voulu se tenir à l’écart de l’histoire judiciaire puisqu’en fait la justice commerciale est née dans un contexte institutionnel féodal avec une activité agricole dominante. Et c’est le développement des échanges, le développement des marchés qui a conduit au développement des activités, donc à la nécessité de règles. Et comme pour toutes les sortes de droit, les règles s’appuient en général sur les usages puisque nous savons bien que tous les droits sont coutumiers, y compris le droit international est de base coutumière. Donc c’est bien sur les usages que se sont appuyées les règles pour être élaborées, notamment l’Édit royal de 1663.

Mais on comprend bien comment s’est constituée l’identité de la justice commerciale, pourquoi elle a souhaité longtemps se tenir à l’écart de la justice judiciaire. Mais comment aussi elle a été capable de voir l’évolution : l’évolution du droit bancaire, l’évolution des échanges mêmes, donc du droit du commerce, l’évolution de l’attente aussi des entrepreneurs qui sont vos justiciables prioritaires, et aussi les exigences qui sont posées par le procès équitable de sorte qu’on voit bien comment évolue la justice commerciale à travers le temps. Par ailleurs, vous avez été confrontés aux faillites frauduleuses et vous avez choisi d’y répondre de la façon la plus efficace. Et cette adaptation que vous avez montrée à travers le temps a commencé d’ailleurs dans les grandes villes, dans les grandes juridictions : Paris, bien entendu, mais également Lyon, Lille, Marseille. Et vous avez effectivement montré cette capacité d’adaptation jusqu’à – jusqu’à – accepter en effet l’arrivée des magistrats, des magistrats professionnels. Des magistrats professionnels, évidemment je parle du parquet parce que je ne suis pas venue vous contrarier ce matin. Donc je parle du parquet.

Ce parquet, ce ministère public, qui d’ailleurs était demandé depuis les cahiers de doléances de 1789. Vous le savez parfaitement, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs. Requis dans le cahier de doléances la création d’un ministère public pour la justice commerciale et même, ce qui a beaucoup énervé vos homologues de l’époque, la proposition que le tribunal de commerce soit présidé par un magistrat professionnel. Nous n’en sommes pas là. Vous avez noté que je n’ai pas dit que nous n’en sommes pas encore là. Nous n’en sommes pas là. Et je peux même vous faire une élégance, une référence même et vous dire que nous n’y serons pas.

[Applaudissements]

Mais je le disais, vous avez été confrontés notamment aux faillites frauduleuses et vous avez souhaité, en tout cas vous avez été en mesure de reconnaître que le ministère public est bien le garant de l’ordre public économique et social, et vous ne manquez aucune occasion, Monsieur le Président, vous n’avez manqué aucune occasion de me dire que vous aviez d’excellentes relations avec les magistrats du ministère public qui constituent, qui représentent un appui juridique et technique indispensable, et que nous sommes tous sensibles au développement de la qualité de ces relations.

Vous avez donc… Cette juridiction commerciale a évolué. Elle a évolué parce qu’elle a bien saisi à quel point sa réactivité, son efficacité, son attention, sa connaissance évidemment des milieux était essentielle de façon à apporter les meilleures réponses à toutes les situations qui sont objectivement des situations de détresse lorsque des entreprises petites, moyennes ou grandes se retrouvent devant les juridictions commerciales. Et nous constatons depuis ce qu’on appelle la crise, cette crise qui semble interminable, nous voyons bien que de plus en plus, y compris des entreprises intermédiaires, sont de plus en plus nombreuses à requérir aux services de la juridiction commerciale où à se retrouver devant la juridiction commerciale.

Je me réjouis donc de cette opportunité que vous m’offrez en m’invitant à m’exprimer lors de votre conférence, devant votre conférence, de vous informer de ce qu’a préparé le gouvernement. Vous avez d’ailleurs, Monsieur le Président, énoncé toute une série de dispositions extrêmement importantes, donc je ne vais pas m’appesantir. D’autant que je ne doute pas que vous faites circuler l’information et que je sais quelle est la mobilisation de l’ensemble des juges consulaires, d’abord évidemment sur l’activité qu’ils conduisent, mais sur les modifications qui sont prévues pour l’exercice de cette activité.

J’ai donc le plaisir de vous énoncer quelques dispositions techniques, juridiques qui sont contenues à la fois dans le projet de loi et dans le projet de loi d’habilitation, ainsi que dans le projet d’ordonnance. Simplement bien entendu toutes ces dispositions techniques ne prennent leur consistance qu’à partir du moment où le cadre conceptuel lui-même est clair et où les objectifs sont clairement énoncés puisque ces dispositions sont censées servir ces objectifs.

Pour ce qui concerne le projet de loi que vous avez évoqué tout à l'heure, Monsieur le Président. Ce projet de loi sur lequel nous travaillons encore. Donc vous pouvez baisser la garde. Il n’y aura pas de gros mots ce matin prononcés devant vous. Vous vous êtes permis de le prononcer, ce que j’éviterai absolument de faire. Ce projet de loi est donc encore en écriture. Il sera soumis à la concertation, vous le savez, très bientôt. Il concerne essentiellement d’ailleurs des dispositions statutaires que vous avez évoquées, des dispositions relatives à la déontologie. Et vous avez bien fait de parler de l’éthique d’abord et d’indiquer que la déontologie, c’est l’ensemble de ces règles qui servent l’éthique. Ce projet de loi, donc, contient des dispositions relatives à la déontologie, relatives à la formation obligatoire. Et nous avons avancé très vite sur la question de la formation. Et je salue également le travail qui est effectué par l’École nationale de la magistrature qui s’est mobilisée très, très fortement pour modifier à la fois les modules, le contenu et pour tenir compte des demandes que vous formuliez vous-mêmes sur les besoins en matière de formation.

Donc ce projet de loi est important. Mais nous savons que ce qui est vraiment important, c’est l’efficacité de nos juridictions commerciales. Même si bien entendu la qualité de nos juges consulaires est le principal atout et le principal facteur d’efficacité de nos juridictions commerciales. Et nous voyons bien à quel point les profils se sont diversifiés. Ce qui est important, c’est de considérer que la justice commerciale devient dans la situation économique et sociale actuelle un réel enjeu de compétitivité parce que les décisions que prennent les juges consulaires, les décisions que prennent nos juridictions commerciales sont des décisions qui contribuent à revitaliser le tissu économique, qui peuvent éventuellement contribuer à la fragiliser. Il nous faut donc à la fois du discernement et un volontarisme profond : celui qui anime déjà en permanence votre profession.

C’est pour ça que comme vous l’avez indiqué, Monsieur le Président, dans le projet de loi d’habilitation, à prendre diverses dispositions de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises que nous avons présenté au Parlement et qui est actuellement en navette puisqu’il sera devant le Sénat le 9 décembre et qu’il reviendra à l’Assemblée nationale le 20 décembre. Il devrait donc être adopté d’ici à la fin de l’année. Les étapes suivantes seront la présentation du projet d’ordonnance au Conseil d’État, puis la présentation devant le Conseil des ministres du texte qui sera sorti du Conseil d’État, et donc une concertation dans la foulée au Parlement. Donc nous devrions pouvoir aller assez vite. Mais vous l’avez indiqué, nous avons pris toutes les dispositions qui pouvaient être prises avec diligence. Nous avons choisi, à la demande expresse du Président de la République, avec une vigilance constante de la part du Premier ministre, nous avons choisi de ne réserver au projet de loi que les mesures qui doivent faire l’objet d’un examen dans les procédures classiques, selon les modalités classiques devant le Parlement. Mais tout ce que nous avons pu faire plus vite, nous avons voulu le faire plus vite. C’est pour cela que nous avons introduit des dispositions dans ce projet de loi d’habilitation et que nous travaillons déjà sur le projet d’ordonnance.

Évidemment tout ce travail est très fortement inspiré par les groupes de travail que j’ai eu le plaisir d’installer en mars 2013 à la Chancellerie, groupes de travail auxquels j’ai associés bien entendu le ministère du Redressement productif ainsi que le ministère de l’Économie sociale et solidaire. Je vous remercie. Vous avez joué un rôle capital dans l’animation de ces groupes de travail et vous avez eu raison de rappeler que les participants divers, pas seulement les deux ministères que j’ai évoqués, que les participants divers à ces groupes de travail ont salué la connaissance que les juges consulaires ont du monde économique. Nous nous sommes donc très fortement inspirés des recommandations de ces groupes de travail. Nous nous sommes inspirés aussi, bien entendu, du rapport de la mission parlementaire que vous avez évoqué. La mission qui a été conduite par Madame la Députée Cécile Untermaier et Monsieur le Député Bono, et cette mission contient des préconisations que vous avez saluées tout en signalant, parce que vous avez toujours eu le sens de la nuance, Monsieur le Président, tout en signalant que certaines d’entre elles vous ont hérissé. Je n’ai guère de difficulté à identifier les quelques préconisations qui ont eu cet effet, pas désastreux mais agaçant parce que j’apprécie tellement à la fois la qualité de nos relations et votre personnalité que ce qui vous contrarie m’agace. Mais ce sont des sujets sur lesquels nous devons trouver le courage et la sérénité pour les aborder.

Nous nous sommes donc inspirés de tous ces travaux parce que nous avons voulu aboutir à des mesures législatives, normatives de qualité. Et donc dans ce projet de loi d’habilitation il y a, vous l’avez dit Monsieur le Président, un certain nombre de dispositions et nous avons fait une large et belle part à la question de la prévention parce que nous sommes soucieux que le plus en amont possible, les meilleures dispositions soient prises de façon à conserver toutes les chances aux entreprises qui se retrouvent à un moment fragilisées, en difficulté. Ne pas attendre que ces difficultés se creusent. Nous avons donc pris ces dispositions concernant la prévention tout en reconnaissant que les instruments qui existent là ont fait la preuve de leur efficacité, notamment le mandat ad hoc et la conciliation ont fait la preuve de leur efficacité. Mais pas comme ça. Pas comme in abstracto, ni comme Deus ex machina. Si ces outils ont fait la preuve de leur efficacité, c’est que vous avez su les construire et que surtout vous avez su que l’essentiel, c’était d’élaborer une relation de confiance, que cette relation de confiance reposait sur la confidentialité et qu’il était important de faire en sorte que le chef d’entreprise, qui dans un moment de difficulté peut avoir tendance à s’isoler, peut avoir tendance à s’enfermer sur lui-même, il fallait qu’il soit en relation de confiance de façon à s’en remettre à la justice commerciale. Vous avez su établir cette relation de confiance sur la base de la confidentialité.

Mais le deuxième élément majeur qui a permis à ces instruments de se stabiliser, de se consolider, c’est évidemment la compétence. La compétence générale que vous avez par la connaissance de l’univers économique. Mais la compétence aussi que vous développez en connaissance de l’entreprise concernée, mais aussi en maîtrise du droit et des procédures, en connaissance aussi des techniques de financement, dont certaines présentent quand même un caractère sophistiqué assez avancé. Je pense notamment à l’intervention des sociétés de gestion. Je pense aux actions structurées. Je pense aux LBO. Nous sommes confrontés à un certain nombre de dispositifs très, très sophistiqués et vous savez maîtriser tout ça, de sorte que ces instruments de prévention ont pu s’installer dans le paysage mental des entrepreneurs et des investisseurs.

Ces procédures de prévention ont une souplesse. Nous avons imaginé à un moment d’introduire le parquet dans ces procédures, et puis à l’examen des choses et sous l’éclairage que vous nous avez apporté, il est apparu qu’il valait mieux essayer de conserver la souplesse de ces procédures. Donc nous avons renoncé à l’intervention du parquet. Mais par contre nous considérons qu’il faut préserver les entreprises de certains abus qui peuvent surgir et donc placer un certain nombre de dispositions sous le contrôle du juge. Et c’est pour cela que nous avons prévu, justement pour préserver l’avenir de ces unités économiques, un certain nombre de mesures incitatives telles que la désignation d’un mandataire pour l’exécution qui va assurer le suivi, ce qui peut être réellement une garantie de succès pour le plan qui serait mis en place.

Nous avons, vous l’avez dit Monsieur le Président, pris d’assaut un certain nombre de mesures contractuelles. Je pense notamment à la déchéance automatique du terme dans les contrats de prêt. Nous avons pris d’assaut ces mesures de façon à ce qu’elles ne soient plus opposables. Nous allons également travailler ensemble sur la question des rémunérations parce que nous reconnaissons tous des abus dans certaines rémunérations. Et nous allons donc interdire les rémunérations indexées sur les renoncements de créances, de même que nous allons empêcher que l’entreprise prenne totalement en charge l’ensemble des frais de conseil. Nous allons veiller à observer l’évolution de ces frais de conseil. Donc c’est sous le contrôle du parquet ou éventuellement du juge que cette évolution des rémunérations pourra se faire.

Ensuite nous sommes soucieux de faire en sorte que ce qu’on appelle l’argent frais, que vous appelez plutôt, je crois, le « new money », mais je pense que vous devez l’appeler l’argent frais aussi, que cet argent frais qui vient justement pour aider l’entreprise, qui contribue à l’investissement, ne soit pas pénalisé, notamment s’il y a un risque de redressement. Donc là aussi nous avons pris un certain nombre de dispositions.

Donc nous allons veiller à consolider l’ensemble du dispositif de prévention parce qu’il nous paraît absolument essentiel.

Concernant la sauvegarde, là aussi la sauvegarde relève du traitement préventif. Et nous avons estimé, de concert, qu’il y avait probablement une mauvaise interprétation de l’intention du législateur sur la sauvegarde et notamment donc sur ce qu’il appelait « la sauvegarde accélérée ». La sauvegarde accélérée doit veiller le plus en amont possible, le plus tôt possible, à préserver l’entreprise et à la sauvegarder. Donc nous avons remplacé – il y a une assonance d’ailleurs entre les termes – nous avons remplacé « accélérée » par « anticipée » et donc vont coexister une sauvegarde anticipée financière qui affecte essentiellement les créances financières avec une sauvegarde anticipée non financière qui concerne également les autres créanciers, notamment les fournisseurs, mais à l’exclusion des salariés parce que notre souci, bien entendu permanent, c’est de considérer l’entreprise comme une entité, mais une entité qui est à la fois économique, qui est sociale et qui est humaine. Et nous avons, et je sais que vous aussi, nous avons constamment le souci de l’emploi, le souci de la préservation de la situation des salariés.

Concernant la sauvegarde, nous allons veiller, dans le respect des dispositions constitutionnelles qui garantissent le droit de propriété, à préserver néanmoins le capital des entreprises et à faire en sorte que dans les situations où il faut que pour la sauvegarde, le capital soit totalement disponible, que celles et ceux des actionnaires qui ne sont pas en mesure de libérer la part de capital qui reste due puissent laisser place à d’autres. Nous allons le faire évidemment strictement dans le respect du droit et dans le respect des normes constitutionnelles. Mais nous allons faire en sorte que, y compris si nécessaire, les règles de quorum, les règles de majorité concernant la modification de capital soient modifiées de façon à ne pas entraver la sauvegarde de l’entreprise du fait d’un besoin en capital et du blocage éventuel, y compris involontaire, de certains associés.

La question du redressement, bien entendu, aussi a été abordée. Elle a été abordée pour renforcer les droits des créanciers. Elle a été abordée pour faire en sorte que là encore les associés ne puissent pas gêner les mesures de redressement, ce qui permettrait éventuellement aux créanciers, au comité de créanciers de présenter un plan concurrent par rapport au débiteur. Il reviendra évidemment au tribunal de choisir et de voir quelle serait la meilleure solution pour le redressement de l’entreprise.

Concernant les liquidations, nous avons essentiellement le souci des liquidations pour insuffisance d’actifs. C’est le cas de 98% des liquidations prononcées. Le délai est long, nous en convenons tous : 21 mois. Il nous faut arriver à le réduire. Par ailleurs, vous l’avez dit Monsieur le Président, nous avons envisagé une nouvelle procédure d’enquête qui permettra, en évitant la liquidation, de prendre des dispositions dans un délai de 4 mois. De même que lorsqu’il y a insuffisance d’actifs, que la juridiction puisse se prononcer dans des délais beaucoup plus courts, tout en veillant évidemment à préserver l’intérêt à la fois des salariés, toujours très, très important, mais également le créancier qui ne serait pas déclaré.

Toute une série d’autres dispositions sont prévues, qui sont demandées depuis longtemps, mais il nous fallait trouver la bonne voie, la bonne mesure. Je pense que le ministre du Redressement productif s’exprimera devant vous, il me semble. Donc il vous en fera très probablement l’économie. Il y avait le souci de savoir comment la puissance publique peut intervenir sans confondre – et ça c’est la responsabilité de la Chancellerie d’y veiller – sans confondre le rôle du ministère public qui représente les intérêts de la société et la parole de l’État qui pourrait venir se préoccuper de la préservation de l’emploi, de la défense des intérêts de l’entreprise du point de vue social ainsi que du point de vue économique. C’est ainsi que nous ouvrons les possibilités d’audition et ces auditions vont concerner… c’est-à-dire que la juridiction pourra auditionner qui elle veut. Mais ces nouvelles possibilités d’audition vont concerner notamment les commissaires au Redressement productif parce qu’ils font un travail considérable sur le terrain. Je crois que les préfectures en conviennent. Je crois que les juridictions aussi en conviennent. Ces commissaires au Redressement productif pourront communiquer par l’intermédiaire du parquet, donc du ministère public, toute pièce qu’ils jugent utile à destination du tribunal ou des parties.

Il sera possible également, et ça, nous en avons beaucoup, beaucoup discuté, Monsieur le Président. Il sera possible également que soit demandée la délocalisation de la procédure. Le critère de l’efficacité économique pourra être considéré, notamment pour les entreprises qui par exemple disposent de plusieurs établissements ou lorsque le sujet lui-même est complexe. On sait à quel point il est important de connaître le territoire, de connaître la filière parce que ce sont des éléments qui permettent d’apprécier la pertinence et la faisabilité d’un plan de redressement.

Donc toutes ces dispositions sont prises. Elles ont été travaillées. Elles peuvent l’être encore. Je ne doute pas que vous allez assurer une vigilance sans faille de façon à ce que nous parvenions effectivement à écrire ensemble parce que c’est le souci de ce gouvernement de ne pas faire contre les professions, mais de faire avec les professions, parvenir à écrire ensemble la meilleure réforme possible, celle qui améliore, celle qui ajoute de l’efficacité. Il y aura le débat parlementaire. Je vous sais suffisamment dynamique, actif et vigilant pour savoir que vous prendrez toute votre part lors du débat parlementaire, que vous prendrez cette part en approchant les députés et les sénateurs, et bien entendu vous savez que vous pouvez prendre cette part en venant à la Chancellerie parce que vous nous avez fait l’amitié de le dire : ma porte, celle de mon bureau vous est constamment ouverte, Monsieur le Président. Et bien entendu le cabinet est totalement à votre disposition, l’administration également. Donc nous sommes à votre écoute pour toutes les observations que vous voulez exprimer à nouveau, qu’il s’agisse du projet d’habilitation qui est vers la fin de son parcours, qu’il s’agisse du projet d’ordonnance et des dispositions que nous avons prévu d’y inclure.

Une fois que tout cela aura été adopté… Nous sommes dans un État démocratique, c’est le Parlement qui exerce en dernière instance le pouvoir législatif. Une fois que tout cela aura été adopté, parce que ces textes auront été écrits à plusieurs mains : celles du gouvernement, celles du Parlement, mais bien entendu dès le début les vôtres ; je ne doute pas que vous veillerez au quotidien à l’effectivité de l’application des dispositions que nous aurons arrêtées ensemble et qui visent à renforcer nos juridictions commerciales.

Je veux conclure mon propos en prenant le temps, Monsieur le Président, de dire avec quel plaisir j’ai travaillé avec vous. Dès le premier entretien que nous avons eu dans mon bureau, j’ai découvert le président d’une profession qui par sa stature elle-même, par son envergure, par la qualité de son propos, par la finesse et la précision de ses analyses, par la rigueur de ses arguments, donnait une image absolument extraordinairement sérieuse et belle d’une profession que j’ai appris à connaître d’abord à travers vous. Je veux vous en rendre hommage. Vous avez été toujours d’une très, très grande disponibilité d’esprit, respectueux dans votre écoute, toujours très ferme dans vos positions, extrêmement clair. Mais vous avez de cette façon permis que nous établissions une relation de confiance, de respect mutuel et finalement d’efficacité dans notre travail.

J’avais prévu dans un premier temps que nous irions plus vite sur la réforme de la justice commerciale. Nous avions un calendrier qui avait été demandé d’ailleurs par le Premier ministre qui avait le souci de, le plus rapidement possible, d’introduire toutes les mesures qui seraient nécessaires, mais qui bien entendu place en priorité la nécessité du dialogue, de la concertation. Nous avions prévu donc dans un premier temps que le texte de loi serait prêt au mois d’avril 2013, il pourrait être soumis au Parlement. Finalement, c’est au mois de mars 2013 que j’ai installé les groupes de travail parce que le travail, les échanges que nous avons eus et développés avant ce mois de mars 2013 m’ont convaincue qu’il fallait prendre le temps de poser les choses, de les examiner méticuleusement, d’entendre toutes les paroles et de croiser les appréciations, les analyses et les divergences. Il m’est revenu aussi d’expliquer au ministère du Redressement productif qu’il nous fallait prendre ce temps-là. Non pas que le ministère du Redressement productif ne soit pas convaincu, comme moi-même, mais comme nous en ont donné consigne le Premier ministre et expressément le Président de la République, non pas qu’ils n’en soient pas convaincus, mais tout simplement parce qu’ils sont davantage sous la pression compte tenu de la fréquence des plans sociaux, de leur importance, de ce que ces plans sociaux produisent comme désarroi, comme désespoir. La pression est plus forte sur le ministère du Redressement productif. Mais il nous a fallu admettre qu’il fallait prendre le temps de faire les choses pour bien les faire. Nous sommes pratiquement maintenant vers la dernière étape. Il peut rester encore quelques malentendus. Je n’en suis pas sûre.

Mais en tout cas jusqu’à la fin de cette année, avant que vous ne remettiez votre mandat, Monsieur le Président, la Chancellerie vous demeure ouverte. Vous êtes un partenaire de très, très grande qualité. Je suis sûre que cette culture du dialogue que vous avez, cette culture du dialogue dont cette profession est imprégnée et que vous avez consolidée durant ces deux mandats, fera que nous aurons aussi d’excellentes relations avec votre successeur. Mais je goûterai jusqu’au dernier moment le plaisir des échanges que nous aurons avec vous. Donc la Chancellerie vous demeure ouverte. Je dois dire que dans des circonstances un peu délicates j’ai eu encore plus à … Eh bien oui ! C’est un aveu public. En général, ils sont moins dangereux lorsqu’ils sont faits devant témoins !

[Applaudissements]

Il y a eu des situations de malentendus. Vous avez su avec une diplomatie consommée dénouer ces malentendus. J’ai moi-même été surprise par la réaction de la profession lorsque dans le cadre du projet de loi de finances 2014 a été annoncée la création de ces postes de magistrat. La profession a cru qu’il s’agissait de postes de magistrat du siège qui allaient remplacer des présidents de tribunaux de commerce, si j’ai bien compris. Vous avez su non seulement apaiser la profession, mais faire la pédagogie nécessaire pour montrer quand même la bonne foi de ce gouvernement et sa capacité, son souci de tenir sa parole et de ne rien faire sans que vous en soyez prévenus. Vous l’avez fait avec une extraordinaire exigence parce que j’ai eu les éléments sur l’inquiétude et les tensions qui montaient. Vous avez su faire retomber ces tensions en disant de quoi il s’agissait exactement. Et c’est parce que vous étiez constamment en contact avec nous, c’est parce que vous étiez au fait de la moindre virgule de nos choix et de nos décisions, que vous saviez distinguer ce qui était inscrit dans ce projet de loi de finances de ce qui pouvait être craint par les membres de la profession.

Vous apparaissez comme ça d’une très grande tempérance, mais lorsqu’on passe quelques minutes avec vous, très vite on se rend compte que vous êtes habité par une véritable passion. C’est la passion de cette justice commerciale. C’est la passion des enjeux économiques. C’est la passion de la justice, c’est-à-dire de la capacité de ces femmes, de ces hommes dont on ne dit pas assez souvent qu’ils sont bénévoles, dont on ne dit pas assez souvent que vous mettez à la disposition de la Justice, donc du Droit, une connaissance que vous avez accumulée, que vous avez acquise en ayant, en développant des activités économiques, que vous choisissez de vous mettre au service des secteurs économiques, au service des femmes et des hommes donc qui agissent dans les secteurs économiques, c’est-à-dire bien entendu les opérateurs économiques, mais les salariés parce qu’ils sont constamment notre précaution, notre préoccupation à tous ; dont on ne dit pas assez, effectivement, que vous prenez sur votre temps pour vous donner ainsi aux autres, et parce que vous prenez sur votre temps pour donner ainsi aux autres, nous avons ensemble le souci, nous partageons cette ambition commune de faire en sorte que ce bénévolat, ce don de soi, ces engagements, cette disponibilité ne soient pas troublés, ne soient pas ternis par des pratiques abusives que certains ont et auxquelles nous devons mettre un terme.

Merci donc à vous, Monsieur le Président, pour ces dix-huit mois. C’est pour moi les dix-huit mois. Vous, ça a été plus long. Mais pour ces dix-huit mois de travail de très, très grande qualité. Je conserverai le souvenir de ces séances d’échanges, de ces une ou deux fois où vous êtes entré dans mon bureau légèrement plus raide que la fois précédente, donc je sentais qu’il y avait quelque chose à lever. Mais vous n’élevez pas le ton. C’est pour ça que je dis que vous avez une apparente tempérance. Mais votre passion transparaît très vite et finalement vous semblez ainsi placide et impavide, mais vous êtes quand même un fleuve torrentiel. Merci pour votre attention.

[Applaudissements]