[Archives] PL - prévention de la récidive et individualisation des peines

Publié le 04 juin 2014

Discours de Madame Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice

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20 minutes

Discussion générale du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l'individualisation des peines

Assemblée nationale, le mardi 3 juin 2014

 


Monsieur le président,

Monsieur le président de la commission des Lois,

Monsieur le rapporteur,

Mesdames et Messieurs les députés,

Le projet de loi que votre commission a déjà bien enrichi, est un texte de protection de la société ; car au cœur du contrat social se trouve ce devoir de protection que l’Etat doit au citoyen.

C’est ainsi que fut conçu le contrat social. Pour sortir de l’état de nature et assurer sa sécurité, l’homme entre dans l’état social en concluant un pacte avec les autres. Cesare Beccaria, l’auteur du traité des délits et des peines y forge sa doctrine des peines strictement nécessaires.

Cet Etat social est institué au service de l'intérêt général, le peuple est souverain, sa souveraineté est indivise. C'est désormais un principe constitutionnel et c'est l'inspiration de toute pénalité dans un Etat de droit. L'Etat, la puissance publique doit donc veiller à protéger chaque citoyen dans son intégrité physique, psychique et dans ses biens. L'Etat, la puissance publique, doit aussi garantir chacun contre toute forme d'arbitraire. Il renforce sa légitimité de ce que, outre la sécurité, il apporte à chacun : le droit à la sûreté en préservant les libertés publiques et les droits fondamentaux de l'ensemble des citoyens. C'est ainsi que l'entendaient les rédacteurs de la Déclaration  des droits de l'Homme et du citoyen, mais aussi le constituant de 1946, celui de 1958 qui y font référence, et le Conseil constitutionnel qui par une décision de 1971 l'a inclus dans le bloc de constitutionnalité.

Pour satisfaire l'attente légitime des Français, en tenant compte de la dimension douloureuse des situations pénales, ce gouvernement a choisi dès son arrivée aux responsabilités de faire la promotion de réponses pénale efficaces qui permettent de lutter de façon effective contre la récidive et éviter de nouvelles victimes.

Nous avons donc choisi de fonder nos politiques publiques sur la connaissance la plus exacte possible des réalités, et nous avons fait établir un bilan objectif des politiques et des mesures mises en œuvre par le passé. Ainsi en dehors de toutes idéologies sécuritaristes, ou nihilistes, nous savons choisi de retenir les réponses pénales qui donnent des résultats. Et nous l'avons fait dans un esprit de rigueur, en acceptant le débat contradictoire mais en nourrissant notre réflexion de l'observation et de l'analyse du réel.

Je vais rappeler quelques éléments de l'état des lieux, sur lequel nous reviendrons forcément durant la discussion. Une inflation législative connue de tous, mais surtout des injonctions contradictoires, incarcérer de plus en plus et en même temps, aménager de plus en plus. Une population carcérale qui a  augmenté de 35% en dix ans, sans correspondance ni avec le taux d'évolution démographique, ni avec l'évolution des taux de délinquance,  un taux de condamnation en récidive légale, qui est passé de 4,9% en 2001 à 12,1% en 2011, une pression exercée par la politique du chiffre sur la police et la gendarmerie, un taux de sorties sèches qui s'élève à 80% en moyenne, à 98% pour les courtes peines alors que nous savons que les sorties sèches sont le  terreau de la récidive. Et puis pas d'évaluation des politiques mises en œuvre. Nous y avons pallié en commandant une étude. Sur 500.000 condamnés sur une dizaine d'années et en mesurant le taux de récidive, 11% et le taux de réitération, 31%. Dans le même temps des victimes ont été instrumentalisé alors que les moyens mis à leur disposition n'ont cessé de décroître. Nous avons donc choisi de mettre en place une conférence de consensus, ce qui veut dire que nous acceptions le risque d'avoir à constater éventuellement un dissensus. Le comité d'organisation a été diversifié pluridisciplinaire, représentatif, composé d'universitaires français, étrangers, de magistrats, de personnels pénitentiaires, de représentants des forces de sécurité, commissaires divisionnaires, colonels de gendarmerie, de représentants d'associations d'insertion, d'aide aux victimes, d''élus de la majorité et de l'opposition. Les travaux ont duré près de six mois. Le comité a préparé les travaux du jury du consensus en élaborant un état des savoirs sur le plan national et international, en recensant les expériences françaises et étrangères,  en procédant à l'audition de 71 organisations syndicales et professionnelles, en recueillant et en publiant plus de 120 contributions écrites, et le jury du consensus a rassemblé 2.300 personnes, et a fait valoir qu'il fallait sortir des schémas de pensée réducteurs. Sur les 12 préconisations adoptées à l'unanimité par ce jury, nous avons nous-mêmes ouvert trois cycles de consultations. Et nous avons pu bénéficier du matériau de très grande qualité qui avait été sur des années élaboré, ou accumulé en France et à l'étranger.

L'Etat doit, je le disais, protection, aux citoyens d'une façon générale, aux victimes en particulier. Les phénomènes de déviance sont inhérents à toute organisation sociale. Il y a donc du cynisme à tromper les gens en leur laissant croire qu'on peut leur garantir une sécurité totale. Nous faisons et nous continuerons de faire tout ce qui est possible pour accompagner les victimes et pour éviter de nouvelles victimes d'où ce projet de loi. Mais nous n'allons pas faire croire qu'il puisse exister une société sans aucun acte de délinquance. C'est pour cela que nous œuvrons avec détermination, avec respect, mais sans tapage ni instrumentalisation à rétablir le lien social qui est brisé par l'acte de délinquance.

Et nous le faisons en montrant aux victimes la solidarité du corps social tout entier à travers l'action de l'Etat. Cela passe aussi par la connaissance de la victime dans le procès, alors qu'historiquement le système pénal français s'est construit sans la victime, et même contre la victime puisque la transgression de la loi était plus importante que l'agression de l'individu. Et aujourd'hui encore dans de nombreux pays anglo-saxons, la victime est exclue du procès pénal. En France, c'est à la faveur de quelques mesures substantielles que la victime a trouvé sa place dans le procès pénal. D'abord la loi BADINTER du 8 juillet 1983, relative à la protection des victimes d'infraction, et déjà en 1982, Robert BADINTER créait le premier bureau d'accueil et d'aide aux victimes au ministère, et il encourageait, il favorisait la constitution de réseau d'associations d'aides aux victimes. Puis le 15 juin 2000, c'est la loi GUIGOU qui modifie l'article préliminaire du code de procédure pénale de façon à ce que l'autorité judiciaire veille à l'information et à la garantie des droits des victimes tout le long du procès pénal.

Aujourd'hui il nous faut aller plus loin, et au-delà de la réparation pécuniaire. Il nous faut travailler à la restauration sociale et psychique de la victime, parce que, et notamment pour les victimes les plus vulnérables, cette souffrance infligée par un acte de délinquance peut être cataclysmique et au-delà des conséquences directes de l'acte infractionnel, cette souffrance peut altérer durablement la relation de ces victimes avec les autres. Nous nous en donnons les moyens budgétaires, institutionnels, opérationnels, et j'y reviendrai. Mais outre protéger les citoyens et les victimes, l'Etat a le devoir de veiller à la réinsertion durable des condamnés. C'est l'un des objets du projet pénal républicain. Et par la sanction la mieux adaptée, par l'exécution des peines, nous veillons à ce que la réinsertion du condamné soit durable, parce que la peine est prononcée pour une durée et qu'un terme arrive à cette peine. Et que nous ne pouvons pas faire croire comme si la peine était exclusivement éliminatoire ou expiatoire. Parmi les décisions pénales qui sont prononcées, 3% des décisions concernent des crimes. Les crimes ne sont absolument pas l'objet du projet de loi étudié ici. 5% des décisions sont des contraventions, elles ne sont pas concernées. Plus de 90% du reste des décisions, donc de l'ensemble des décisions, proviennent des tribunaux correctionnels. La moitié de ces décisions correctionnelles concernent des délits routiers. Certaines de ces infractions sont graves et les tribunaux prononcent et continueront à prononcer des sanctions lourdes. Mais pour ce qui concerne ce que l'on appelle la petite et  la moyenne délinquance - et c'est l'objet de ce texte de loi qui concerne les  délits - pour ce qui concerne la petite et la moyenne délinquance pour lesquelles  je met des guillemets, parce que si on peut les qualifier de petites et de moyennes au regard de la gradation des faits et des sanctions prévues par le code pénal, leurs conséquences peuvent être préjudiciables aux victimes, et même peuvent avoir des effets redoutables. Il n'empêche que dans ce texte de loi, en plus des réponses pénales déjà disponibles nous mettons à la disposition des magistrats une réponse pénale calibrée qui leur permet de décider éventuellement de prononcer une contrainte pénale.

Peut-être pouvons-nous regarder rapidement ce que nous enseigne en fait le droit sur l'histoire des peines, de leur évolution et de leur exécution. D'abord le code pénal de 1791, il supprime les supplices à l'exception de l'amputation du poing droit pour parricide qui ne sera supprimée qu'en 1832.

En 1832, est également supprimée la peine de fer pour les condamnés aux travaux forcés. Mais en 1832 aussi, les juridictions sont invitées par la loi à déroger aux peines minimales qui étaient alors dans le Code et qui sortiront du Code à l’occasion de l’adoption du nouveau Code pénal de 1994. Les juridictions sont invitées à déroger aux peines minimales sur la base de la personnalité de l’accusé et des circonstances de l’infraction. En 1848, c’est la suppression de la peine de mort pour «motif politique ». En 1885 est créée la libération conditionnelle. En 1891, le sursis simple. En 1958, le sursis avec mise à l’épreuve. Puis en 1981, c’est l’abolition de la peine de mort. En 1982, je l’ai dit, ouverture du premier bureau d’accueil et d’aide aux victimes, au ministère. En 1983 est créé le « TIG », le travail d’intérêt général. En 1991, survient une réforme importante de l’aide juridictionnelle pour la défense des plus démunis et en 2000, c’est la loi de renforcement de la présomption d’innocence et la loi de renforcement de la protection des victimes.

Ainsi se constitue l’ordre pénal républicain. Bien sûr, je n’ignore rien des parenthèses à cet ordre pénal républicain, et des périodes où a été interrompue cette cohérence. Pas plus la loi dite de Sécurité Liberté de février 1981, que la centaine de lois pénales et de procédure pénale adoptées de 2002 à 2012. Mais la meilleure preuve qu’au regard du temps lent du droit, que ces textes de loi ont été des parenthèses, la meilleure preuve, c’est la loi pénitentiaire adoptée par l’ancienne majorité sous l’ancien quinquennat en 2009. Et sans doute faut-il se rappeler quelques extraits de l’exposé des motifs de cette loi pénitentiaire, « la nécessité de limiter autant que possible l’incarcération d’une personne en lui substituant chaque fois qu’il est possible au regard de sa situation, des mesures de contrôle en milieu ouvert, s’applique à tous les détenus, qu’ils soient prévenus ou condamnés ».

Je poursuis toujours, loi pénitentiaire de 2009, « l’incarcération doit, dans tous les cas, constituer l’ultime recours. Et si elle ne peut être évitée, il convient de tout faire pour en limiter la durée en ayant recours dès que possible aux alternatives et aux aménagements de peine ». Nous pourrions faire un appel au courage  et peut-être utiliser pour cela les mots de Pierre MENDES-FRANCE, lorsqu’il évoquait les combats de Jean JAURES pour la justice. Il disait que l’optimisme de JAURES est celui du courage, du courage dont il a dit qu’« il consiste ne pas subir la loi du mensonge qui passe ».

Sur le contenu de ce texte de loi, 4 axes clairs pour redonner sens à la peine et mieux protéger les victimes. Deux articles constituent l’épine dorsale de ce texte de loi. L’article 1er  qui est nouveau dans le Code pénal et qui énonce les fonctions et les finalités de la peine : sanctionner l’auteur des faits, protéger la Société, la protéger eu égard à ce que DURKHEIM nommait « les états forts de la conscience collective » et réparer les préjudices infligés aux victimes. C’est l’acte qui est visé. Mais la sanction doit aussi favoriser l’amendement, l’insertion et la réinsertion durable du condamné. Et le principe d’individualisation ne nie pas la responsabilité de l’auteur des faits. Au contraire, et tel que l’a conceptualisé Raymond SALEILLES, c’est justement parce qu’il est responsable qu’il participe à l’efficacité de la peine, qu’il doit à la fois sanctionner l’infraction et préparer l’avenir ».

Le 2ème article qui sert d’épine dorsale à ce texte est l’article 11 qui énonce les principes qui doivent présider à l’exécution de la peine et qui rassemble des dispositions qui étaient éparses dans le Code de procédure pénale, et qui concerne les droits des victimes. Nous renforçons ces droits des victimes, notamment en leur assurant tranquillité et sûreté, y compris pendant la période d’exécution de la peine.

Ce texte de loi supprime les automatismes. Ces automatismes qui entravent le pouvoir d’appréciation des magistrats et qui d’ailleurs, lorsqu’ils ont été adoptés, ont été affichés comme un acte de défiance à l’égard du prétendu laxisme des magistrats. Nous redonnons aux magistrats la totalité de leur pouvoir d’appréciation et nous ajoutons à l’arsenal des réponses pénales, de nouvelles dispositions à leur service. Il faut noter que d’ailleurs, l’application de ces automatismes a surtout concerné les « petits délits », j’y mets encore des guillemets. 47% de vols et d’atteintes aux biens. Or des études ont montré rigoureusement en France, en Europe et au Canada que la récidive est plus forte à la sortie de prison qu’en cas d’aménagement de peine, ou à la sortie sèche de prison plutôt qu’en libération conditionnelle. Ensuite, je rappelle que le Code pénal prévoit – et cela depuis 1791 – le doublement des peines encourues en cas de récidive et ce principe est préservé.

Enfin nous introduisons une possibilité de césure du procès pénal qui permettra aux magistrats, s’ils le jugent nécessaire, de déclarer la culpabilité, de décider de l’indemnisation des victimes ou de la victime, et de renvoyer à une autre audience, à deux mois ou à quatre mois, la décision de sanction après analyse de la situation de l’accusé.

La contrainte pénale est également créée par ce projet de loi. L’opposition a passé tant de temps à émettre des contrevérités sur la contrainte pénale qu’il me paraît important, en deux phrases, de dire ce qu’elle n’est pas. La contrainte pénale ne supprime pas la prison. Elle ne supprime pas la prison y compris d’ailleurs pour les courtes peines, parce que si les magistrats l’estiment justifiée, ils pourront toujours prononcer des courtes peines. Simplement, nous leur instituons, là encore, le total pouvoir d’appréciation. La contrainte pénale ne fusionne pas toutes les peines en milieu ouvert, les alternatives, ni les aménagements. Il y aurait eu une logique à revoir l’architecture des peines avec, sur un triptyque, « amende, contrainte pénale et prison ». Mais cela aurait supposé un travail sur l’échelle des peines. Or nous ne touchons pas à l’échelle des peines dans ce texte de loi.

Qu’est-ce que la contrainte pénale ? La contrainte pénale est une peine autonome, une peine avec tous les attributs de la peine, avec sa dimension rétributive. C’est une sanction. Et les obligations et les interdictions feront l’objet de suivis et de contrôles. Elle est prononcée publiquement. Elle conserve sa nature afflictive et la stigmatisation sociale de l’acte commis. Elle est immédiatement exécutoire. Elle a une durée fixée de six mois à cinq ans, et cinq ans pour un suivi individuel, les magistrats eux-mêmes considèrent que c’est long. Elle est exécutée en milieu ouvert, parce que la réponse carcérale n’est pas la seule, et en témoignent tout simplement les alternatives de peine et les aménagements de peine qui existent déjà dans le Code de procédure pénale. Cependant, la contrainte pénale, elle, sera assortie d’un programme de responsabilisation individualisé, adapté, et qui sera ajusté pour accompagner les efforts de désistance, c’est-à-dire de sortir de la délinquance. Et il sera – c’est une disposition de la loi – obligatoirement évalué. Un tel suivi assure l’effectivité de la peine. Contrairement à ces courtes peines d’incarcération qui, conformément à la loi pénitentiaire de 2009, jusqu’à deux ans d’incarcération, font l’objet d’un temps d’examen pour un éventuel aménagement. Les juges d’application des peines prononcent 20 % d’aménagement de peine. Cette situation n’est satisfaisante pour personne, ni pour la société, ni pour le condamné, ni pour la victime, ni pour la Justice. Et il est machiavélique de faire croire aux gens, aux victimes, au voisinage qu’on les débarrasse d’un délinquant sans se soucier le moins du monde de ce qu’il advient lorsqu’il revient après avoir exécuté sa peine.

Le texte élargi les prérogatives des forces de sécurité, Police et Gendarmerie, en matière de retenue et de perquisition sous l’autorité du juge, de façon à assurer un réel contrôle du respect des obligations et des interdictions. Et s’il y a échec sur la contrainte pénale, l’emprisonnement demeure possible. La contrainte pénale étant plus contraignante que le sursis avec mise à l’épreuve, je vous proposerai, au nom du gouvernement, un amendement qui incitera à concentrer le sursis avec mise à l’épreuve dans les situations où il s’agit d’obligations objectives, simples à vérifier, telles que par exemple l’indemnisation d’une victime, telle que par exemple le paiement d’une pension alimentaire, des obligations qui sont très, très repérables, objectives, mesurables et qui sont régulières. Cela va ajouter à la visibilité sur ces deux mesures puisqu’il y a eu des interrogations en la matière.

La libération sous contrainte. Je le disais, les statistiques rigoureuses établies en France, en Europe et au Canada montrent qu’il ya deux fois plus de risques de récidive en cas de sortie sèche, qu’en cas de sortie en libération conditionnelle. Un certain nombre de pays européens en ont tiré enseignement pour décider d’une libération conditionnelle automatique. Le gouvernement a choisi de maintenir le principe d’individualisation, y compris sur l’exécution de la peine, et pour cette raison, nous n’avons pas retenu la libération conditionnelle automatique ; mais un examen obligatoire après l’exécution de deux tiers de la peine, et cet examen obligatoire vise à préparer la sortie qui, de toute façon, aura lieu – de toute façon, aura lieu – à préparer cette sortie de façon à ce qu’elle soit préparée justement, accompagnée et progressive. Et bien entendu, la commission d’application des peines pourra décider d’une libération sous contrainte, sous forme de placement extérieur, de semi-liberté, de bracelet électronique ou de libération conditionnelle, mais la commission pourra aussi décider du maintien en détention.

Concernant les victimes, je vous l’ai dit, nous avons réécrit l’article 707 du Code de procédure pénale pour consacrer, renforcer les droits des victimes, mais votre Commission a ajouté 2 dispositions concernant les victimes, 2 dispositions sur lesquelles nous avons longuement travaillé depuis le 1er semestre 2013, depuis que nous avons confié une mission à Nathalie NIESON. La première disposition concerne la possibilité pour un condamné, de faire des versements volontaires au Fonds de garantie des victimes, s’il n’y a pas de demande des victimes ; et la deuxième disposition concerne une contribution qui sera prélevée sur les amendes et les décisions pécuniaires prononcées par les juridictions. Evidemment pour que ces dispositions normatives soient efficaces, il faut un certain nombre de conditions. Et c’est pour ça que nous les avons pensées dans ce que nous appelons « un écosystème » au sens où nous avons travaillé également sur les politiques publiques, sur l’articulation de l’action de l’Etat, sur la coordination de l’action de l’Etat avec les initiatives des collectivités, sur l’accompagnement des associations et sur la création d’instruments nécessaires.

Les premiers moyens que nous donnons sont les moyens en faveur des victimes. Et là aussi, tant de procès indécents nous sont faits qu’il me paraît utile de rappeler un certain nombre de choses. D’abord que dans la seule année 2013, nous avons créé et consolidé 100 bureaux d’aides aux victimes. Sous l’ancien quinquennat, le précédent gouvernement avait mis trois années pour créer 50 bureaux d’aide aux victimes. Nous avons décidé d’ouvrir un bureau d’aide aux victimes dans chacun de nos 161 tribunaux de grande instance. Et les associations spécialisées ont reçu plus de 300.000 victimes. Nous avons augmenté le budget de l’aide aux victimes. Ce budget n’avait cessé de décroître sur les trois dernières années du précédent quinquennat. Il était passé de 11 millions à 10 millions en trois années de baisses successives. Dès notre première année budgétaire, nous l’avons augmenté de 25,8 %, le passant à 12,8 millions d’euros, puis l’année suivante pour 2014, une nouvelle augmentation de 7 % soit 13,7 millions d’euros. Nous avons rétabli les relations avec le Conseil national de l’aide aux victimes qui n’avait pas été réuni depuis 2010 et nous les réunissons deux fois chaque année et nous le consultons. Nous avons convoqué la 1ère Journée d’aide aux victimes à la Chancellerie, le 4 novembre dernier, et cette année encore en novembre, nous allons convoquer la 2ème Journée d’aide aux victimes. Nous généralisons sur l’ensemble du territoire, dès cette année, le « Téléphone de très grand danger » en faveur des femmes victimes de violences. Nous avons décidé d’expérimenter par anticipation des dispositions contenues dans une Directive victimes de l’Union européenne. Cette Directive victimes que nous avons jusqu’à fin 2015 pour transposer contient des dispositions en matière de droit, de protection et de soutien des victimes, et nous avons lancé dès janvier 2014 une expérimentation dans 8 tribunaux de grande instance pour un suivi individualisé des victimes. Enfin dans cette même Directive, il y a des dispositions concernant la justice rétroactive, mais j’y reviendrai.

Nous faisons un effort considérable sur les conseils d’insertion et de probation. Nous allons renforcer ce service de 1.000 emplois en trois ans, les 400 emplois de 2014 ayant déjà été créés. 1.000 emplois en trois ans, cela fait une augmentation de 25 %. Pour un corps de la Fonction publique, c’est absolument sans précédent. Mais nous ne travaillons pas que sur les effectifs. Nous travaillons également depuis octobre 2013 sur les profils de recrutement, sur les méthodes d’encadrement, sur la formation initiale et continue, sur les outils d’analyse et d’évaluation. Nous avons commencé à renforcer, depuis 2013, les effectifs de magistrats d’application des peines et d’exécution des peines, ainsi que les greffiers. Nous avons, depuis dix-huit mois, engagé une politique interministérielle qui nous permet d’articuler et de coordonner l’action de l’Etat, en matière de santé, de lutte contre l’illettrisme, de logement et d’emploi. Et nous coordonnons avec les collectivités, je le disais, sous forme de conventions ainsi que de programmes d’expérimentation.

Nous avons décidé d’avoir des statistiques précises et indiscutables. Nous nous sommes inspirés des travaux de la Mission Jean-Yves LE BOUILLONNEC et Didier QUENTIN, pour réformer l’ONDRP. Le ministère de l’Intérieur a créé, en janvier 2014 son service de Statistiques ministérielles. Celui du ministère de la Justice existe depuis 1973. L’ONDRP va désormais travailler sur des analyses transversales, sur la délinquance, les phénomènes de délinquance sur l’ensemble du territoire. Sur la base de l’article 7 de la Loi pénitentiaire de 2009, nous créons également un Observatoire de la récidive et de la désistance qui échappe à l’emprise du ministère et qui est chargé sur l’ensemble du territoire d’étudier les parcours de délinquance et d’identifier les facteurs de désistance, c’est-à-dire de sortir de la délinquance.

Nous voulons évaluer notre politique. Nous avons confiance dans ce que nous faisons. Donc nous prenons le risque de mesurer, d’évaluer. Nous vous proposons donc d’introduire dans la loi une obligation d’évaluation à deux ans d’application de ce texte de loi. Et j’ai installé en mars 2014, la mission COTTE, c’est-à-dire une Commission présidée par Bruno COTTE qui est ancien président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, actuellement président de chambre à la Cour pénale internationale et qui va, fin 2015, nous remettre des travaux – il est entouré de 12 personnalités de très haut niveau –sur l’application et l’exécution des peines.

Enfin, nous avons commencé la construction des 6.500 places de prison que nous avons décidé, pour le triennal. Ces 6.500 places de prison supplémentaires sont budgétisées et financées, contrairement aux 20.000 places de prison qui avaient été annoncées, mais dont pas un seul euro des 3,5 milliards d’euros nécessaires n’avait été budgétisé. Donc ce texte de loi ne supprime pas la prison. Par contre, il va contribuer à ce que le temps passé en prison soit un temps utile, et que ce temps passé en prison prépare à la sortie et réduise la récidive.

En conclusion, je vais juste vous dire que l’exigence de réinsertion structure les pénalités modernes et que cette exigence de réinsertion s’inscrit dans une tradition humaniste, républicaine, souvent mais pas exclusivement, laïque et chrétienne, à laquelle, en d’autres temps, la droite a su souscrire. Et les exemples sont multiples. Tout le long du XIXème siècle, dès le début et jusqu’à la fin du XIXème siècle, qu’il s’agisse de la Société des prisons, ou des écoles françaises pénitentiaires, sous la Restauration, puis sous la Monarchie de Juillet, dont la doctrine se trouve dans la circulaire du 3 Décembre 1832, qui permet le placement en apprentissage des jeunes détenus pour leur éviter les effets de l’emprisonnement. Charles LUCAS, qui est inspecteur général des prisons, catholique social, démarche les députés pour les convaincre de la nécessité d’étendre ces mesures aux adultes. Et il affirme que le but principal de la peine est la réforme du coupable. C’est pourtant la période de l’affaire retentissante Pierre RIVIERE. Nous pourrions citer également les enseignements du père Jean-Joseph LATASTE, aumônier des prisons dans les années 1860 ; aujourd’hui encore évidemment, les travaux du Père BELAT ou du Pasteur Brice DEYMIE.

Je pourrais citer également le sénateur René BERENGER, républicain, catholique, qui, avec le grand Victor SCHOELCHER, athée notoire – athée notoire ! – a animé la Commission d’enquête sénatoriale sur les conditions de détention.

Et le sénateur BERENGER  est à l’origine des deux grandes lois en faveur de la réinsertion du XIX ème siècle, la  loi de 1885 dont j’ai parlé sur la libération conditionnelle et la  loi de  1891 sur le sursis simple. Je pourrai citer aussi deux grands gardes des Sceaux de l’après guerre :   François DE MENTHON, résistant, gaulliste, président de l'ACJF,  l’Action catholique de la jeunesse française ; Pierre-Henri TEITGEN, résistant, résistant,  membre du MRP, du Mouvement républicain  populaire, comme l’Abbé Pierre. Ces deux grands gardes des Sceaux ont accepté d’inscrire leur action sous l’inspiration de la Défense sociale nouvelle dont la déclaration de principe proclamait que la peine de privation de liberté a pour but essentiel l’amendement et le reclassement social du condamné.

Quant à la gauche républicaine évidemment elle s’est toujours réclamée de cet héritage humaniste, d’abord avec le code pénal de  1791 qui est issu de la philosophie  des lumières, mais aussi de l’ambition  démocratique de  1789, où l’éducation et le travail amendent l’individu  et la justice est rendue au peuple.

Aussi de la gauche républicaine des années 1875  à 1885, qui a refusé les lois d’exclusion  contraire aux valeurs de la République.  Retenons la figure emblématique de Georges CLEMENCEAU qui incitait le gouvernement à engager une réforme pénale, qui s’est opposé aux lois de relégations dans les bagnes coloniaux, contre la relégation des multirécidivistes,  en disant que toute pénalité qui n’aboutit pas à l’amendement du coupable est une mesure insuffisante de préservation sociale.

Enfin, je vous parlais de la défense sociale  nouvelle, animée par de très belles figures comme Marc ANCEL, magistrat, président de  chambre à la Cour de Cassation ; Paul AMOR, résistant, magistrat, procureur, directeur de l’Administration pénitentiaire ; Jean  CHAZAL, qui était juge des enfants ; Pierre CANNAT, magistrat, contrôleur général des Services pénitentiaires. Et bien entendu c’est dans cette tradition humaniste  que ce sont inscrits les grands gardes des Sceaux : Robert BADINTER, Elisabeth GUIGOU,  Henri NALLET,  Michel VAUZELLE. Cela n’a pas empêché, lorsque c’était nécessaire  de décider de l’aggravation des peines  pour punir les délits  et pour punir les crimes.

Mais la dignité doit rester au cœur de la pénalité ; la dignité des personnels qui doivent pourvoir exercer leur mission de surveillance ou de suivi  dans des conditions correctes et efficaces ; la dignité de la victime à qui l’Etat doit  protection et une part de la réparation ; la dignité du condamné qui  doit pouvoir réintégrer  le corps social. Et cette dignité  là elle est inscrite dans une peine  tournée vers l’avenir, pour la victime, pour la société,  pour l’auteur. PLATON, lui-même,  disait déjà que celui qui punit judicieusement, punit en vue de l’avenir  de façon à ce que le coupable ne retombe pas dans l’injustice. 

Mesdames et messieurs  voilà, c’est ce qu’attendent les Français ; des solutions efficaces ; non pas le cynisme des manipulations et des accusations  démagogiques ; des solutions efficaces ;  non pas de la  diversion ; des solutions efficaces. Le rapporteur et le responsable du texte, les orateurs des groupes qui ont fait un travail considérable vous en diront davantage.

Je veux réserver mes tous derniers mots  à celles et ceux de tout milieu, judiciaires et pénitentiaires, universitaires, associatifs, politiques, parlementaires,  qui ont sur de nombreuses années  avec opiniâtreté, œuvré  pour enrichir la réflexion collective sur ces sujets majeurs, leurs travaux ont fourni le point d’appui du projet de loi que le gouvernement vous présente aujourd’hui. Et ces derniers mots en fait ne seront pas les miens,  ce seront ceux de Victor HUGO : « les opiniâtres sont les sublimes, qui n’est que brave n’a qu’un accès,  qui n’est que vaillant  n’a qu’un tempérament,  qui n’est que courageux n’a qu’une vertu. L’obstiné dans le vrai a la grandeur. Presque tout le secret des grands cœurs réside dans ce mot « la persévérance ». La persévérance est au courage ce que la roue est au levier, le renouvellement perpétuel du point d’appui ».