[Archives] Projet de loi de la lutte contre la corruption

Publié le 06 juin 2016

Discours de Jean-Jacques URVOAS, garde des Sceaux, ministre de la Justice

Discussion générale sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

Assemblée nationale – Lundi 6 juin 2016

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Seul le prononcé fait foi

 

 

À la tribune de la Chambre, le 8 février 1893, Jean Jaurès dénonça la corruption, à l'occasion du scandale de Panama.

 « Ce n’est pas là un étroit procès instruit contre quelques hommes entre les murs étroits d’un prétoire », déclarait-il.

 « C’est le procès de l’ordre social finissant qui est commencé et nous sommes ici pour y substituer un ordre social plus juste ».

La probité n’est pas seulement une valeur : sa présence ou son absence, le degré avec lequel elle se manifeste, constituent des indicateurs.

La confiance, au sein d’une société, est un marqueur de civilisation.

C’est la raison pour laquelle la Justice joue un rôle si important dans les sujets qui nous réunissent aujourd’hui.

J’ai présenté la semaine dernière une circulaire, dans laquelle j’ai précisé aux procureurs généraux les principales orientations que j’entends donner à la politique pénale.

Pour moi, l’objectif de cette circulaire est la confiance publique.

Et donc la confiance publique dans la justice.

C’est cela, la République que nous voulons exemplaire, et  que nous construisons pierre après pierre.

C’est une volonté constante de notre majorité.

Et c’est aussi un combat qui devrait tous nous réunir, qui devrait transcender nos différences et nos clivages.

Car, qui pourrait dire, qui pourrait affirmer : « je suis pour la corruption » ?

Même sans la pratiquer lui-même, qui pourrait en accepter le principe ?

Le philosophe Alain, écrivait dans Propos d’un Normand : « La corruption, on s’en fait le complice par le consentement d’esprit ».

C’est justement cela que nous refusons.

Dans la circulaire, j’ai insisté sur la fermeté avec laquelle il convient de traiter la délinquance économique et financière complexe.

La corruption constitue une forme de délinquance occulte, qui se situe à l’opposé de l’objectif de transparence que nous poursuivons.

Cette délinquance mine la confiance de nos concitoyens envers les institutions.

Le préjudice qu’elle provoque, quant aux capacités d’action budgétaire de l’Etat porte gravement atteinte au pacte républicain.

Elle menace le principe d’une concurrence juste et équitable, et donc la compétitivité de notre économie.

Voilà pourquoi la Justice joue un rôle si essentiel, dans ce combat.

Depuis 2013, nous avons beaucoup avancé sur ces sujets, en particulier, en créant un parquet national financier.

Ce parquet, - les magistrats qui le composent -, se caractérise par un fort degré de spécialisation et un très haut niveau de technicité et de compétence.

Son instauration a significativement modifié le paysage institutionnel de la lutte contre la grande délinquance économique et financière.

Et c’est toute l’action de l’institution judiciaire qui s’en est trouvée renforcée.

Cela s’inscrit dans nos engagements internationaux ; cela s’inscrit dans la volonté de la France d’assumer sa place sur la scène internationale.

Les progrès qui ont déjà été accomplis, avec la loi de 2013, ont été salués, notamment par l’OCDE.

Il faut désormais aller plus loin et prolonger ce qui a été fait.

Le dispositif doit être consolidé pour que nous obtenions des résultats et que nous répondions concrètement aux ambitions qui ont conduit à cet ensemble de réformes.

Ce projet de loi renforcera les outils juridiques à la disposition de la justice en général et du parquet national financier en particulier, dans le domaine de la corruption internationale.

Il faut que la France puisse être en mesure de traiter elle-même les affaires de corruption qui concernent ses intérêts.

Le chapitre 3 du Titre I comporte un ensemble de mesures pour lutter contre la corruption et différents manquements à la probité, par exemple :

Nous vous proposons de créer une obligation de prévention contre les risques de corruption pesant sur certaines sociétés.

En cas de manquement à cette obligation, il est prévu que le service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption puisse sanctionner les dirigeants de ces sociétés ou celles-ci en leur qualité de personne morale (avertissement, injonction, sanction pécuniaire).

Nous vous proposons de mettre en place une peine dite de mise en conformité, qui pourra être prononcée par le juge pénal à l’encontre d’une entreprise condamnée du chef de corruption ou de trafic d’influence.

Cela permettra de s’assurer que l’entreprise adapte bien ses procédures internes de prévention et de détection des faits de corruption et de trafic d’influence.

Parallèlement, nous vous proposons d’étendre la peine complémentaire de publicité des condamnations à toutes les infractions dites d’atteinte à la probité (article 432-17 du code pénal).

Nous vous proposons d’étendre l’infraction de trafic d’influence à l’hypothèse où les faits impliqueraient un agent public étranger.

Nous vous proposons, enfin, de lever les entraves au plein déploiement de la compétence des autorités de poursuite françaises, en matière de corruption et de trafic d’influence, lorsque ces faits ont été commis à l’étranger.

Mesdames et Messieurs les députés, ce n’est pas un sujet hexagonal.

La corruption est un phénomène mondial !

Pour mieux en comprendre les manifestations, pour mieux en combattre les conséquences, pour la première fois, la France accueillera dans quelques jours des rencontres internationales des autorités anti-corruption, sous le haut patronage du Président de la République et du président de la Banque mondiale.

Nous souhaitons que notre pays soit en première ligne dans ce combat !

Le dramaturge Lessing écrivait que « la probité et la justice font la sûreté de la société ».

Ces mots datent du XVIIIe siècle, mais ils sont d’une étonnante modernité.

Cette réforme contre la corruption honorera la France ; elle prolongera ses engagements, elle créera toutes les conditions de possibilité de ce qui fait société : c’est-à-dire la confiance !

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