Audition commission d'enquête terrorisme
Publié le 18 janvier 2017
Discours de Jean-jacques URVOAS, garde des sceaux, ministre de la justice
Audition par la mission d’information de suivi des conclusions
de la commission d'enquête sur la lutte contre le terrorisme
Assemblée nationale – Mercredi 18 janvier 2017
Seul le prononcé fait foi
Lors de mon audition du 1er juin dernier, j’avais dressé un premier bilan de l’action du ministère de la Justice en matière de lutte contre le terrorisme.
Cela m’avait conduit à évoquer les actions initiées en matière de lutte contre le terrorisme.
Ä Notamment dans son volet pénitentiaire :
à Evolution de l’article relatif aux fouilles,
à Adoption d’une base législative pour le renseignement pénitentiaire,
à Adaptation de la coordination des actions du ministère,
à Adaptation des dispositifs existants…
Mais, je n’avais évidemment pas pu illustrer concrètement ces évolutions.
C’est chose faite depuis l’adoption d’un plan qui a été présenté le 25 octobre.
Ä Il est structuré en 8 décisions qui se déclinent en 58 mesures.
Ä Il a pour ambition d’aborder le sujet de la radicalisation violente dans sa globalité.
Il traite de la gestion des établissements en passant par la détection des cas problématiques.
Il modifie la prise en charge des personnes détenues et engage de nouvelles actions de réinsertion et de suivi.
Ce plan m’a aussi permis de dresser un bilan des unités dédiées.
Ä Et d’annoncer un nouveau dispositif permettant de mieux prendre en charge le profil des personnes détenues radicalisées grâce à des dispositifs d’évaluation renforcés.
En effet, leur diversité induit une gradation et une diversification de la prise en charge.
Cela nous a conduits à imaginer les Quartiers d’Evaluation de la Radicalisation mais aussi des Quartier pour Détenus violents, à 190 places d’isolement, et à adapter 27 établissements pour accueillir les profils les moins dangereux, les plus susceptibles d’évolution.
En parallèle, j’ai décidé de la création des Equipes de sécurité pénitentiaire (ESP).
Elles seront utiles pour la coordination des extractions et sont destinés à répondre aux problématiques de sécurité interne et périmétrique.
A ce titre, le projet de loi que la commission des Lois du Sénat examine ce jour présente une disposition permettant de doter ces ESP de pouvoirs de contrôle.
Cela témoigne de ma détermination à conduire ce changement utile pour l’administration pénitentiaire, donc pour les personnels et les personnes détenues et, in fine, pour notre pays.
J’ai également procédé à la structuration du renseignement pénitentiaire.
Mon constat devant la commission d’enquête était assez direct : tout était à faire.
Ä Heureusement, je disposais de la base légale votée par le Parlement.
Cela m’a permis d’avancer vite.
A ce titre, je signale que le travail réglementaire accompli a révélé que nous devions apporter plus de précisions dans les processus prévus par la loi.
à C’est pourquoi ai-je vais déposer un amendement au Sénat.
Ma première décision a été de désigner un préfigurateur chargé de procéder à la création d’un véritable service de renseignement.
Ce fut fait en septembre.
Mon choix s’est porté sur un directeur des services pénitentiaires.
Nous lui avons adjoint les compétences d’une magistrate, qui connaissait la DAP pour y avoir travaillé et qui œuvrait à Tracfin.
Je veux dire combien je considère que le travail accompli en un si court laps de temps est absolument remarquable.
C’est ce travail que je vous propose de présenter en m’appuyant sur les 10 orientations de la lettre de mission que je leur avais adressée.
1ère attente : établir l’architecture du futur service de renseignement pénitentiaire.
C’était évidemment la priorité car un service de renseignement se caractérise avant tout par sa capacité à animer un réseau, à centraliser l’information, à l’analyser et la diffuser.
La commande concernait donc l’échelon central à qui incombe une mission :
Ø De centralisation, analyse et diffusion du renseignement,
Ø Ainsi que d’animation du réseau et d’interface avec les services partenaires.
Cette unité centrale est construite et le 1er février, le Bureau Central du Renseignement Pénitentiaire (BCRP) verra le jour.
Ø Il sera armé d’une quarantaine d’effectifs d’ici la fin de l’année contre 15 actuellement.
Ø Il aura autorité sur l’ensemble du réseau existant qui sera notablement densifié.
à Les cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire (CIRP) vont doubler leurs effectifs pour passer de 42 à 83 à la fin de l’année.
Cela viendra se rajouter aux 15 emplois d’analystes-veilleurs, aux 20 d’investigateurs numériques, aux 10 traducteurs.
à Les délégués locaux au renseignement pénitentiaire (DLRP) dont 44 sont à temps complet et 143 à temps partiel.
2ème obligation : rédiger une nouvelle doctrine du renseignement pénitentiaire.
Le seul document à vocation « doctrinal » date de décembre 2015.
C’était le premier exercice de cet ordre depuis la création du bureau du renseignement en 2003.
Ø Mais il ne correspond plus aux enjeux du moment marqués par la professionnalisation du renseignement pénitentiaire et l’évolution du cadre normatif.
Un nouveau document est donc en cours de réécriture par la mission de préfiguration, en partenariat avec les services déconcentrés.
Ø Il s’inspire des doctrines des services dont les organisations territoriales sont comparables, comme la sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO) et le service central du renseignement territorial (SCRT).
Ø Il est nourrit des échanges intervenus en novembre et en décembre avec les instances de contrôle (CNCTR/CNIL/Conseil d’Etat), ou avec les autorités partenaires (Direction des affaires criminelles et des grâces, Groupement interministériel de contrôle).
Il sera prêt pour la fin du premier trimestre.
3ème orientation : rédiger les textes réglementaires.
Ce fut un travail aussi complexe que conséquent.
A lui seul, il aurait pu mobiliser la totalité des ressources du BRP…
Les services juridiques et techniques de la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) ainsi que de la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) ont été mis à contribution pour réaliser une publication de ces textes complexes en un temps record.
Quatre des cinq textes ont été publiés hier (il faut y lire une forme d’hommage à votre intérêt).
Ø D’abord une modification du décret relatif au ressort territorial, à l'organisation et aux attributions des Directions interrégionales des services pénitentiaires publiée le 27 décembre dernier.
Nous y avons ajouté les 3 nouvelles finalités assignées par la loi au service du renseignement pénitentiaire :
à Prévention du terrorisme,
à Prévention de la criminalité et de la délinquance organisée,
à Prévention des évasions, maintien du bon ordre et de la sécurité dans les établissements.
Il donne par ailleurs une existence administrative et définit le périmètre de compétence des cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire (CIRP) qui n’avait pas de périmètre définit.
Ø Une modification du décret du 9 juillet 2008 relatif à l'organisation du ministère de la justice afin d’intégrer là encore ces nouvelles missions fixées par la loi.
Ø Un nouveau décret pris en application de l’article L. 811-4 du Code de la sécurité intérieure (CSI) relatif à la désignation des services relevant du ministère de la justice, autorisés à recourir aux techniques mentionnées au titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure.
Dans les faits, ce décret intègre les CIRP et le BCRP dans la communauté des services de renseignement ( au 2nd cercle).
Il permet en outre de recourir aux techniques de renseignement nécessaires à la poursuite des finalités que je viens de rappeler.
Ø Deux arrêtés de réorganisation de la DAP.
à L’un créant la nouvelle sous-direction de la sécurité pénitentiaire,
à L’autre organisant les missions des bureaux de cette sous-direction, parmi lesquels le BCRP occupera une place pivotale.
Je signale également que le premier arrêté précise que seules les seules personnes placées sous-main de justice peuvent faire l’objet de la mise en œuvre d’une technique de renseignement.
Ä Au seule personne et non leur entourage, comme cela a pu être écrit ici ou là.
4nd nécessité : protocoliser les relations avec les autres services de renseignement.
Un personnel spécialement dédié à cette fonction est en cours de recrutement au BCRP.
Il sera rattaché directement au chef de bureau.
L’ambition est la signature avec les services partenaire à partir du deuxième trimestre 2017.
A ce jour, deux protocoles existent avec des services partenaires : DGSI (2012) et UCLAT (2015).
Ils devront naturellement être revus totalement.
Le travail déjà engagé dépend de l’antériorité des relations avec l’administration pénitentiaire et du partage des objectifs prévisibles.
Ä A ce titre c’est évidemment avec la DGSI et le SCRT que les collaborations sont le plus rodées.
D’ailleurs, un officier de la DGSI a été mis à disposition du BCRP depuis le 3 janvier.
Il sera prochainement suivi par un officier du SCRT.
Ä Mais des liens ont été bâtis avec tous les services qui peuvent être en lien avec la problématique pénitentiaire.
Qu’ils appartiennent au 1er ou au 2nd cercle du renseignement.
Ainsi donc un protocole reliera le BCRP à la DGSE, à la SDAO et à la direction du Renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP).
Sans attendre, la DRPP va prochainement accueillir un officier du renseignement pénitentiaire.
Et la gendarmerie doit aussi détacher un officier de la SDAO pour le BCRP.
Cette rapidité dans l’échange des personnels découle d’un courrier du 24 septembre 2016, où le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a spontanément proposé l’appui de son ministère dans tous les domaines.
Et ce avant même l’aboutissement de protocoles bilatéraux entre services.
Inutile d’insister plus longuement sur le fait que cette démarche spontanée nous est extrêmement précieuse.
5ème orientation : établir l’architecture des relations avec les autorités judiciaires.
Ce point découle par exemple de l’article 727-1 du CPP qui suppose une relation étroite avec les procureurs.
Mais il est aussi lié à la découverte des téléphones portables en détention, un fléau pour nos établissements.
Sa concrétisation sera la diffusion d’ici la fin du premier trimestre d’une circulaire sous ma signature afin d’établir des orientations de politique pénale.
Elle permettra de systématiser les poursuites judiciaires ou les sanctions disciplinaires à l’encontre des détenteurs ainsi que l’exploitation des données contenues dans ces téléphones.
6ème commande : mener une politique active de recrutements de qualité et établir un plan de formation.
La formation du réseau du renseignement pénitentiaire est un prérequis indispensable pour atteindre, dès 2017, un niveau satisfaisant de performance.
Il faut tourner la page de l’empirisme et investir dans la spécialisation.
A cette fin :
Ø Un plan de formation initiale et continue a été ainsi préparé en collaboration avec les autres services de renseignement.
Il vise à établir un socle commun de techniques et de connaissances pour tous les personnels.
Naturellement, l’ambition est à terme de l’enrichir et de l’exploiter de façon autonome par le service du renseignement pénitentiaire.
Ø Des actions inaugurales de sensibilisation pour les cadres des CIRP et les DLRP vont être engagées dans les prochains jours.
Elles permettront de perfectionner les connaissances de ces fonctionnaires concernant le cadre juridique, les nouvelles prérogatives conférées… de diffuser la culture du renseignement en somme.
Ø Par ailleurs, l’Académie du renseignement a accepté d’ouvrir ses portes à nos cadres, ce dont je me réjouis.
Ø Enfin, le 30 janvier prochain, je réunirai l’ensemble des directeurs interrégionaux, des directeurs des services pénitentiaires et des directeurs des services pénitentiaires d’insertion et de probation à l’occasion d’un séminaire national consacré au renseignement pénitentiaire.
Ce sera la première fois depuis 16 ans que tous ces responsables de la DAP sont rassemblés.
Les membres de la commission d’enquête qui souhaiteraient y assister sont naturellement les bienvenus.
7ème exigence : définir précisément les périmètres d’action du BCRP et ses modes de travail avec l’ensemble des personnels de la DAP.
Ce point est important car, quelle que soit l’importance accordée à la constitution du renseignement pénitentiaire, celui-ci ne saurait remettre en cause les pratiques pénitentiaires.
Il n’a pas vocation à bouleverser les équilibres traditionnels ou participer d’une sécurisation de la détention ou des activités d’insertion et de probation.
Il est indispensable de le préciser car nombreux sont les observateurs qui confondent les nécessaires remises à niveau avec des bouleversements systémiques.
Le renseignement pénitentiaire faisait défaut à cette administration, nous comblons ce manque sans pour autant réorienter le travail de l’administration, dans la diversité de ses composantes.
En conséquence, dans le cadre de l’instauration de la sous-direction de la sécurité pénitentiaire, tout le travail doctrinal nécessaire sera réalisé afin de créer les conditions d’une coopération entre tous les acteurs concernés (DLRP, chefs d’établissements, personnels d’insertion et de probation, fonctionnaires interrégionaux et administration centrale) qui profite aux missions de l’administration pénitentiaire dans son ensemble.
8ème orientation : définir les modalités de traitement des informations du renseignement pénitentiaire.
Les données collectées imposent des règles précises (conservation, accès, échange et traçabilité) souvent encadrées par la loi.
De plus, leur gestion nécessite le développement d’un système d’information performant et ambitieux.
Ainsi au titre de la LFI 2017, 6 millions d’euros ont été budgétés pour accompagner la montée en puissance technologique et accompagner la politique de protection dans les services déconcentrés :
Ä 4 millions sont destinés à l’acquisition d’équipement de renseignement et à la protection des infrastructures, dont les besoins sont désormais connus ;
Ä 2 millions seront consacrés au développement d’un système d’information propre.
Afin de le choisir, une étude a débuté en septembre et je viens d’en recevoir les conclusions.
Je vais désormais pouvoir prendre des arbitrages pour engager les dépenses nécessaires.
Pour autant, une solution transitoire est utilisée : nous utilisons un logiciel baptisé CAR («Collecter/Analyser/Renseigner »).
Il est encadré par un décret en conseil d’Etat du 10 novembre 2015 et constitué d’une base de données sécurisée permettant de nombreux croisements.
Par ailleurs, au niveau central, les personnels du BRP ont accès depuis juin 2016 au FSPRT (fichier de signalement des personnes en cours de radicalisation et de traitement), administré par l’UCLAT.
Mon ambition est que cet accès puisse également se réaliser au niveau des CIRP.
Le DAP a écrit en ce sens au DGPN.
9ème point : établir des règles de contrôle interne et d’évaluation de la structure et en garantir la mise en œuvre effective.
Sur ce point, la réforme de l’inspection générale des services judiciaires, des instances de contrôle interne et la centralisation appliquée devront permettre de satisfaire à cette demande.
Nous devons encore progresser dans la définition des processus qui découleront de la mise en œuvre des textes réglementaires que je vais bientôt évoquer.
10ème orientation : définir les axes de développement et les priorités du renseignement pénitentiaire.
Ce point revêt pour moi une importance particulière.
Je souhaite en effet que le renseignement pénitentiaire réponde à des orientations.
Il ne s’agit pas de rédiger un catalogue du renseignement, prévoyant une recherche tous azimuts.
Comme nos moyens sont restreints, en plein développement, nous devons donc faire des choix tout en nous ménageant la possibilité d’anticiper la menace.
Nous sommes aujourd’hui accaparés par le terrorisme et la radicalisation violente.
Mais, en dehors des islamistes, nos prisons continuent de vivre, parfois de convulser, nos services pénitentiaires d’insertion et de probation continuent d’accueillir un public pour lequel ils doivent mettre en œuvre une mission difficile.
Je ne veux pas céder à l’oubli de ce qui n’occupe pas la une de la presse et qui structure pourtant le milieu dont les personnels du ministère de la Justice assurent la gestion.
D’ici la fin du deuxième trimestre, j’aurai donc validé des orientations qu’il appartiendra à mon successeur d’apprécier.
Je veux par exemple ne pas délaisser le suivi des 470 personnes détenues liées à de grands réseaux de criminalité organisée et amplifier la lutte, au sein des établissements, contre les ramifications potentielles de ces organisations.
Pour cela, nous devons connaître les réseaux, y compris hors de nos murs, et donc accroitre le travail partenarial en sens.
Contact presse – Cabinet du garde des sceaux
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