Vœux à la presse

Publié le 25 janvier 2017

Discours de Monsieur Jean-Jacques URVOAS, garde des sceaux, ministre de la justice

Chancellerie – Mercredi 25 janvier 2017

Discours Voeux à la presse.pdf PDF - 206,62 Ko

Temps de lecture :

11 minutes

Seul le prononcé fait foi

Ce rendez-vous de janvier est l’occasion de tenter de résumer l’action conduite et de proposer un regard sur l’année qui s’ouvre.

Je ne compte donc pas vous imposer une longue énumération de ce qui a été réalisé dans les multiples domaines qui relèvent du ministère,

Ni un recensement exhaustif de ce que je compte faire dans les 103 jours qui nous séparent de la fin de la législature.

Regards sur une année

Une conviction résume mon action : la Justice est un service public.

Cela ne veut pas simplement dire que chaque ordre de juridiction constitue une organisation publique, dotée de prérogatives de puissance publique, avec des bâtiments appartenant au domaine public, des comptes inscrits dans le budget de l’Etat.

C’est surtout rappeler que sa légitimité est de satisfaire, selon des règles fixées par la représentation nationale, les besoins collectifs du public.

Et cela, dans le cadre constitutionnellement garanti de son indépendance ; condition nécessaire, mais pas suffisante de sa légitimité.

Elle est une autorité, qui a des pouvoirs :

Ø Pour les parties concernées,

Ø Et au-delà, pour le respect de l’Etat de droit et de nos principes fondamentaux.

Mais sa finalité est le service efficace de l’usager.

Ä C’est pour cela que le combat pour les moyens est stratégique.

J’ai donc inlassablement cherché à saisir toutes les occasions de remettre cette mission de l’Etat à sa juste place.

Le bon fonctionnement de notre démocratie dépend du bon fonctionnement de la justice.

Ø Ce fut d’abord le choix de ne pas cacher la réalité, de reconnaître publiquement les maux qui accablent les juridictions. Quitte à employer, parfois, des termes forts, pas toujours bien compris.

Ø Ce furent ensuite les inaugurations de tribunaux avec François HOLLANDE, Manuel VALLS et Bernard CAZENEUVE.

Qui furent autant d’occasions pour que des engagements publics soient pris ou rappelés.

Ø Ce fut le lancement de plusieurs missions d’inspection pour diagnostiquer une adaptation de notre organisation.

Sur la mise en place du JLD statutaire, sur les extractions judiciaires, sur la rationalisation de nos dépenses, en toute transparence avec Bercy.

Cela répondait en sus aux attentes du Parlement.

Et je me réjouis que la commission des lois du Sénat se soit érigée en commission d’enquête sur les moyens de la Justice, car je pense que cette question mérite d’être élevée au-dessus des débats partisans.

Ø Ce fut surtout l’invitation à ouvrir les palais de Justice et les établissements pénitentiaires, afin d’accélérer une prise de conscience collective.

Les dernières journées du patrimoine furent d’ailleurs un véritable succès dont je me félicite.

Je ne peux que vous encourager à continuer à faire connaître ces lieux à nos concitoyens.

Le résultat est connu : le budget 2017 est le produit de la plus forte hausse budgétaire du quinquennat, il atteint près de 7 milliards d’euros !

Concrètement, les crédits destinés à l’immobilier sont en progression de 28 %.

Près de 400 opérations immobilières de rénovation de palais de Justice seront conduites.

Des ascenseurs installés, des chaudières remplacées, des plafonds restaurés, des escaliers reconstruits.

Ce n’est ni trivial, ni marginal, car c’est la vie quotidienne de milliers de professionnels et de millions de justiciables !

De même, grâce à ces nouveaux moyens, les juridictions pourront continuer à payer leurs dettes auprès de leurs partenaires et verront leur frais de fonctionnement augmenter.

Nous avons déjà agi utilement, par exemple, en matière de frais de justice :

Ä Les arriérés de paiement de la Cour d’appel de Rennes étaient de 5 millions d’euros début 2016, ils sont aujourd’hui de 800 000 euros (-84%).

Ä A la Cour de Colmar, ils étaient de 2,9 millions d’euros, ils sont désormais de 430 000 euros (-85% !).

Sur l’ensemble du territoire, le délai de paiement des frais de justice qui était de 4 mois il y a un an est passé désormais à 1 mois.

Les audiences solennelles le démontrent à l’envie.

Les chefs de cour et de juridictions reconnaissent sans peine l’amélioration de leur situation, mais ne masquent pas – et pourquoi le feraient-ils ? – que les besoins restent conséquents.

C’est pourquoi, je forme le vœu que le combat que j’ai mené pour le budget ne soit pas un chapitre, un épisode.

Ø Mais la première page d’un nouveau livre, d’une nouvelle étape pour le service public de la Justice.

Les budgets prochains ne devront pas seulement confirmer cette progression, ils devront la renforcer.

Ä Sur la législature qui s’ouvre, les juridictions ont besoin d’un milliard d’euros de crédits supplémentaires.

Mais sans attendre, comme l’an passé, j’ai convaincu le Premier ministre de « dégeler » la totalité des crédits de fonctionnement et d’investissement destinés aux tribunaux.

Ainsi, 40,5 millions sont immédiatement mis à la disposition des chefs de cour et de juridiction.

Comme l’an passé, c’est une mesure de bonne gestion qui va faciliter la vie des tribunaux !

Et cette bonne nouvelle arrive encore plus tôt que l’an dernier !

Mais la résolution de nos difficultés ne viendra pas seulement de moyens supplémentaires.

Cela fait des années que le budget de la mission Justice augmente : la CEPEJ (Commission Européenne pour l’efficacité de la Justice) le souligne dans son dernier rapport.

Mais ces efforts budgétaires sont vains si, parallèlement, les charges confiées s’alourdissent.

On ne peut pas améliorer le fonctionnement d’une organisation dans le sens de la satisfaction de l’usager, quand la demande croît sans cesse.

Et que rien n’indique que celle-ci pourrait ralentir.

Ce constat n’est pas neuf, et les armoires du ministère regorgent de rapports, dont se sont inspirés mes prédécesseurs, avec une intensité diverse.

Mais à partir du moment où l’on revient sans cesse sur le même sujet, on peut légitimement s’interroger sur l’efficacité des réformes menées.

Je sais qu’il faut composer avec le temps ; tout ne peut se faire en une année.

L’essentiel est alors de marquer la direction et de fixer les étapes, c’est pourquoi j’ai choisi fermement la voie de la déjudiciarisation.

Ø Pour simplifier le fonctionnement de la justice du quotidien,

Ø En fonction d’une certaine conception de l’office du juge,

Ø Pas uniquement pour des raisons de régulation budgétaire.

Les études d’impact des principales mesures de ce type, introduites dans la loi de modernisation de la justice du 21ème siècle, totalisent une économie de 220 emplois.

Ä Alors que nous en dénombrons 474 vacants chez les magistrats, et près de 800 manquants chez les fonctionnaires.

La justice du quotidien, c’est la justice civile.

Elle intéresse traditionnellement moins que la justice pénale.

Et pourtant, dans une vie :

Ø Un citoyen a peu de risque de croiser la justice pénale,

Ø Alors qu’il a toutes les raisons de faire appel à la justice civile.

Un problème de loyers, un souci avec un contrat, une difficulté de licenciement, une situation de surendettement, une volonté de divorce.

Oserais-je rappeler qu’annuellement les juridictions pénales rendent 1,2 millions de décisions, tandis que les juridictions civiles en prononcent plus de 2,6 millions ?

C’est pour cela qu’en 2016 :

Ø Nous avons réformé le divorce par consentement mutuel.

Ø Nous avons simplifié l’enregistrement du PACS, qui, à compter du 1er novembre 2017, se fera dorénavant en mairie et non plus au tribunal d’instance.

Ø Nous avons refondu le droit des contrats, qui était devenu une affaire de spécialistes.

C’est une révolution invisible.

Personne n’avait touché à son architecture depuis 1804.

Il est maintenant plus lisible, donc plus protecteur et évite parfois le recours au juge.

Par exemple un prestataire qui fournit une assistance informatique à une entreprise ne parvient pas à faire fonctionner correctement le réseau et intervient systématiquement avec une grande lenteur en cas de panne.

L’entreprise peut maintenant, si ces manquements graves au contrat persistent, y mettre fin sans avoir à passer devant le juge et faire appel à un nouveau prestataire.

Comme pour le budget, je suis convaincu que la voie ouverte va permettre au mouvement de s’amplifier.

Ø Déjà la réforme de la responsabilité civile est sur les rails.

Notre projet se veut ambitieux, puisqu’il consacre 200 ans de jurisprudence.

Et il propose des progrès nouveaux :

Ä La consécration de la fonction préventive de la responsabilité: des moyens juridiques permettront d’agir pour éviter que le dommage ne se produise

Ä Ou bien encore l’amende civile, qui permet de sanctionner efficacement celui qui commet une faute lourde, en faisant le calcul qu’elle lui rapportera davantage qu’elle ne lui coûterait en dommages et intérêts.

Je rendrai public notre projet le mois prochain.

Là aussi, j’entends laisser un outil utile à la disposition de mes successeurs.

Ø Par ailleurs, je ne conçois pas que la question des tutelles ne soit pas traitée.

La Cour des comptes nous y incite en soulignant plusieurs failles dans notre dispositif.

Je pense notamment au contrôle des comptes de tutelles qui sont remis chaque année en justice.

Ils relèvent des directeurs des services de greffe judiciaires, lesquels ne parviennent pas à exercer pleinement cette compétence, dont on se demande bien en quoi elle ne serait pas mieux exercée par d’autres.

C’est la raison pour laquelle je souscris à la préconisation formée par la Cour des comptes qui consiste à confier cette mission, lorsque la situation financière est complexe ou présente des risques, à des professionnels du chiffre.

En outre, et comme nous l’avons engagé en matière de divorce, c’est aussi répondre aux aspirations de notre société que de laisser ouverte aux familles la possibilité de s’entendre pour désigner la personne de confiance qui se chargera de veiller à la protection du patrimoine d’un majeur ne disposant plus de l’ensemble des facultés pour le faire seul, et ce sans contrôle systématique du juge.

C’est tout le sens de dispositifs entrés en vigueur cette année - comme l’habilitation familiale-, ou qui vont être renforcés comme les mandats de protection future, qui feront prochainement l’objet d’une inscription sur un registre destiné à en assurer une plus grande publicité.

Regrets sur l’année écoulée

Dans ce tableau, il y a un nuage : l’échec de la révision constitutionnelle sur le CSM.

Elle était encalminée il y a un an, alors même que le Sénat l’avait votée, le 4 juillet 2013, à 185 voix pour et 21 voix contre.

Je l’ai donc remise en chantier et l’Assemblée nationale l’a également adoptée le 26 avril 2016, à 292 voix pour et 196 voix contre.

La majorité des 3/5e était atteinte pour un Congrès.

Mais hélas, des élus, notamment sénatoriaux, qui avaient pourtant voté ces textes et publiquement défendu cette révision constitutionnelle, se sont néanmoins rétractés, quitte à se contredire.

Ce fut à la fois une surprise et une déception.

Ø Une surprise, car je pensais que plus personne ne cherchait à contester l’indépendance de l’autorité judiciaire ou à caporaliser le parquet.

Et pourtant, à l’occasion de ce débat, sont réapparues des déclarations nostalgiques d’une Justice aux ordres, respectueuse du pouvoir en place et de ceux qui en sont des titulaires.

Cela rappelle ceux que l’on appelait avant la Révolution Française « les gens du Roi », qui étaient le bras armé de l’exécutif.

C’est donc avec inquiétude que j’ai lu que François FILLON insistait sur l’exigence du maintien d’un lien organique entre les parquets et le pouvoir exécutif.

Ø Une déception, car ma démarche était celle d’un compromis, soucieux de préserver l’institution des excès du débat électoral.

A l’évidence, ce souci d’apaisement n’était pas partagé.

Je le regrette donc, car l’adoption de ce texte aurait réglé de surcroît une question statutaire qui pèse, depuis trop longtemps, sur les magistrats du ministère public.

Elle aurait fait taire ce « murmure insupportable » que dénonçait le procureur général, Jean Claude MARIN, dans son discours prononcé à l’occasion de la rentrée solennelle de la Cour de Cassation le 9 janvier 2012.

Et maintenant que vais-je faire ?

Au Parlement, il nous reste un mois pour mettre un point final à la PPL prescription pénale, à laquelle je tiens particulièrement.

Le PJL sécurité publique, adopté hier au Sénat, devra lui aussi être terminé, avant la fin de la législature.

Deux articles me concernent particulièrement :

Ø Les équipes de sécurité pénitentiaire,

Ø La possibilité de double prise en charge des mineurs.

L’Etat réinvesti un champ (l’assistance éducative) qu’il avait délaissé depuis 2007 où la PJJ avait été limitée au pénal.

Par ailleurs, je rendrai un rapport de politique pénale, comme le prévoit, pour chaque année, l’article 30 du code de procédure pénale depuis la loi du 25 juillet 2013.

L’essentiel de mon action sera donc règlementaire désormais.

C’est ainsi que seront pris les décrets d’application concernant :

Ä Le changement de sexe à l’état civil,

Ä L’action de groupe,

Ä Le surendettement,

Ä Le transfert des PACS et la modernisation de notre état civil,

Ä La possibilité de célébrer un mariage dans un autre bâtiment de la commune,

Ä L’extension du délai de déclaration des naissances,

Ä La réforme des procédures d’appel, d’avis devant la Cour de cassation et de réexamen en matière civile après condamnation par la CEDH.

De même, concernant les professions règlementées :

Ä Pour la création des 147 offices d’huissiers de justice et des 37 offices de commissaires-priseurs judiciaires, les arrêtés établissant les cartes des zones d’installation seront pris d’ici la fin de ce mois.

Les candidatures seront ouvertes juste après, de façon à pouvoir également effectuer les nominations dans l’année.

Ä Pour les notaires, 1002 offices vont être créés,

J’entends mener à bien le processus de nomination, malgré tous les écueils qui se dressent sur le chemin.

Concernant l’Administration Pénitentiaire :

Ä Hier, avec Bernard CAZENEUVE, j’ai installé la commission du Livre blanc présidée par Jean-René LECERF.

Ses travaux me seront remis le 31 mars.

Cet exercice doit permettre d’établir un diagnostic lucide, étayé et partagé, tout en apportant les fondements d’une loi de programmation interministérielle.

Ä Le 30 janvier : je réunirai tous les chefs d’établissement et directeurs des SPIP, à l’occasion d’un séminaire sur le renseignement pénitentiaire.

Une telle initiative n’avait pas été prise depuis 16 ans.

Ä Début février je prendrai les mesures d’ajustement nécessaires de notre dispositif d’extractions judiciaires.

21 % d’entre elles (13 479) n’ont pas pu être réalisées en 2016 avec des situations géographiques différentes : 5 % en Midi-Pyrénées, 41 % en Bretagne.

Nous avons travaillé avec le ministre de l’Intérieur sur la base du rapport d’inspection remis en octobre 2016.

Ä Le 1er février, mise en place de la nouvelle sous-direction de la sécurité et du bureau central du renseignement pénitentiaire

Ä Puis toujours, en février, viendront les choix d’implantation des nouveaux établissements pénitentiaires.

Ä Enfin, l’inauguration du projet RIVE (Recherche-Intervention contre la Violence Extrémiste) destiné à prendre en charge les personnes placées sous-main de justice en milieu ouvert.

Dernier domaine : l’open data de la jurisprudence.

Les décrets seront adoptés d’ici fin mars, afin que la jurisprudence puisse être mise à la disposition de tous.

Bien sûr, compte-tenu de la masse de décisions (plus de 2 millions par an), cela ne se fera pas en un jour :

Ä De 12 à 24 mois pour la mise à disposition des décisions civiles des cours d’appel,

Ä De 24 à 36 mois pour la mise à disposition des décisions pénales des cours d’appel

Ä Mise en œuvre progressive sur une période de 3 à 8 ans pour la mise à dispositions des décisions de première instance.

Cette mise à disposition se fera dans le respect de la vie privée des personnes, et avec le souci de la protection des juges et des auxiliaires de justice.

C’est un changement profond qui s’annonce.

Voilà, Mesdames et Messieurs, ce qui a été fait et ce que je compte poursuivre.

Agir place Vendôme, c’est accepter de ne pas inscrire toute son action dans le rythme des cycles politiques.

C’est accepter le temps long pour que la Justice soit un service public toujours plus accessible aux Français.

Cela reste ma ligne de conduite pour le trimestre qui vient.

Contact presse – Cabinet du garde des sceaux

01 44 77 63 15 / secretariat-presse.cab@justice.gouv.fr

Lire le discours