Ouverture du séminaire national des cadres pénitentiaires
Publié le 30 janvier 2017
Discours de Monsieur Jean-Jacques URVOAS, garde des sceaux, ministre de la justice
Les enjeux de sécurité pénitentiaire
Ecole militaire – Lundi 30 janvier 2017
Plus de 300 chefs d’établissements pénitentiaires, directeurs des services d’insertion et de probation, directeurs interrégionaux et directeurs des services de sécurité et de détention sont réunis à l’école militaire ce lundi 30 janvier. Alors qu’ils n’ont pas été réunis sous ce format depuis 2001, les réflexions de la journée, ouverte par le garde des Sceaux, portent sur la question de la sécurité pénitentiaire : son organisation, ses enjeux...
L’occasion d’aborder l’application du plan de sécurité pénitentiaire et action contre la radicalisation violente.
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Directeur de l’administration pénitentiaire,
Madame, Monsieur les sous-directeurs,
Madame, Monsieur les Directeurs interrégionaux,
Madame, Monsieur les Directeurs des services pénitentiaires d’insertion et de probation,
Madame, Monsieur les Directeurs des services pénitentiaires,
Madame, Monsieur,
Cela fait un moment que j’envisageais de vous réunir dans cette configuration.
J’en avais testé l’idée auprès de certains d’entre vous, au hasard de mes déplacements dans vos établissements.
Beaucoup – avec un sourire – m’avaient rappelé leur souvenir datant de 2001, à Tours, et de la brièveté de la réunion !
Cela ne m’a pas découragé, et je suis heureux de m’adresser aujourd’hui à vous, dans cette configuration, inusitée depuis 16 ans.
Cela fait un an que j’exerce mes responsabilités, un an que j’ai souhaité que mon premier déplacement comme garde des sceaux soit consacré à l’administration pénitentiaire.
J’avais ainsi découvert la maison d’arrêt de Villepinte.
Depuis le 4 février 2016 avec la maison de Villepinte, jusqu’à Nouméa le 16 décembre dernier, en passant par le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP) du Val-d’Oise, la Bretagne (bien sûr), Marseille, l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) (2 fois) ou Saint-Astier pour assister à l’entraînement des Equipes Régionales d’Intervention et de Sécurité (ERIS), j’ai visité 20 implantations pénitentiaires sur l’ensemble du territoire français.
A chaque fois, j’ai souhaité passer du temps dans les coursives, rencontrer les personnels, discuter avec leurs organisations syndicales.
Je l’ai fait en veillant à l’unité de l’administration pénitentiaire.
Ø C’est-à-dire en associant tous les personnels, car je ne fais aucune distinction entre les Directeurs des services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (DSPIP) et les Directeur des services pénitentiaires (DSP).
Vos deux corps servent le même projet, la même ambition, rencontrent des difficultés auxquelles j’ai cherché à apporter des réponses…
ØC’est aussi pour cela que j’ai souhaité réunir, autant que faire se pouvait, et le plus souvent possible, les représentants des deux comités techniques.
L’exemple le plus emblématique fut la rencontre organisée autour du Président de la République, le 26 juillet dernier.
Toutes les organisations syndicales ont pris part à la même réunion, malgré des réticences (parfois des deux côtés).
Ce fut aussi le cas pour les invitations adressées dans le cadre du séminaire métier des 26/27 juillet 2016.
Aussi, je regrette d’entendre parfois que d’aucuns se sentent négligés ou relégués à une place de second rang.
ÄJe le redis, je ne connais qu’une seule administration pénitentiaire, une seule et même mission.
Le recul d’une année est bien court pour dresser un bilan, et l’action à conduire interdit tout repos.
Mais je voudrais devant vous traiter plusieurs sujets d’importance.
Le premier est la place que vous occupez aujourd’hui dans le bon fonctionnement de notre démocratie.
Vous m’avez peut-être déjà entendu le dire, parce que l’administration pénitentiaire est une administration de la peine, c’est une institution qui prépare l’avenir.
C’est d’ailleurs pour cela que votre place au sein du ministère de la Justice est une absolue évidence, une question à la fois de bon sens et de bonne administration.
Le choix de ce rattachement date de 1911 et ne constituait pas une mesure technique.
Cela traduisait une conception nouvelle, dont la pertinence ne s’est pas démentie depuis lors : en exécutant les décisions de justice, l’administration pénitentiaire participe de la justice.
ÄCar c’est en son sein, et grâce aux femmes et aux hommes qui la servent, que le terme de réinsertion prend un sens.
Cette conception mérite d’être répétée, puisque je lis des esquisses de programmes qui suggèrent de revenir en arrière.
Et comme l’a dit le Premier ministre la semaine dernière, lors de l’installation de la Commission du Livre blanc, «rares sont les bonnes idées qui consistent à revenir plus d’un siècle en arrière en matière carcérale… »
Qu’est-ce qu’une institution chargée de l’administration de la peine ?
ØC’est une institution qui participe du contrat social.
Elle permet une action collective et coordonnée et repose sur un consensus social implicite.
Vous en êtes les acteurs, c’est un rôle essentiel, trop souvent oublié par l’actualité, par l’urgence ou le court-terme.
D’ailleurs, samedi, à Quimper, je suis passé à un Forum du droit organisé au sein de mon université.
Et j’ai été surpris de constater l’absence de l’administration pénitentiaire.
Il y avait bien des magistrats, des greffiers, des mandataires judiciaires, des commissaires-priseurs, des avocats.
Mais des pénitentiaires point !
Tout simplement parce que les organisateurs n’y avaient pas songé.
Nous avons donc encore du chemin à parcourir pour rendre plus visible nos concours, pour valoriser vos métiers…
J’espère d’ailleurs que les réformes statutaires (et dont je veux vous entretenir) qui viennent d’être conduites y participeront...
Parce que votre fonction est centrale, votre institution doit se renforcer, s’adapter, se transformer
Elle en a l’habitude, vous en avez la force.
Ce fut d’ailleurs l’une de mes très bonnes surprises de l’année : constater votre engagement, mesurer vos compétences, apprécier vos capacités d’innovation.
ÄEt ce, alors même que vous devez assumer simultanément les changements à conduire et la responsabilité de l’opérationnel, de l’immédiat, de l’action du quotidien.
Je mesure aussi que ce choix de vie ne laisse pas indemne, qu’il transforme profondément ceux qui exercent vos fonctions.
C’est la noblesse de votre métier.
Dans votre cas, prendre quotidiennement des décisions, c’est au fond choisir le meilleur point d’équilibre :
ØEntre la norme et le cas singulier à traiter : c’est-à-dire écrire des jurisprudences,
ØEntre le conformisme et l’innovation : c’est-à-dire oser recourir à une forme d’audace qui fera avancer l’institution.
J’ai appris à mesurer cette tension, alors que vous appartenez à une des administrations les plus observées, les plus contrôlées.
Nombreux sont en effet les lieux où votre action est mesurée, évaluée.
C’est le cas évidemment du dialogue social, particulièrement dense au sein de cette administration.
Mais aussi dans vos relations avec les personnes détenues écrouées ou suivies en milieu ouvert, ou avec leurs familles.
C’est encore l’objet des différentes inspections, du regard des organisations non-gouvernementales, de la Contrôleur générale des lieux de privation de liberté, de l’autorité judiciaire.
Sans parler bien entendu de l’opinion et de votre serviteur…
Et nous savons tous qu’en matière pénitentiaire en particulier, comme d’ailleurs en matière de justice pénale, il est facile de porter des jugements, d’aborder les problématiques avec une vision simplificatrice.
Décider, choisir, innover, cela exige du courage, de la persévérance, de la solidité, ainsi qu’un attachement profond aux valeurs républicaines et au sens du service public pénitentiaire.
Vous les avez. Vous les incarnez. Vous les défendez.
Cette mission, je le répète, vous la servez avec engouement et – pourquoi ne pas le dire ? - avec abnégation.
Aussi était-il légitime que vous soyez – enfin - reconnus à votre juste valeur.
ØC’est-à-dire comme des hauts fonctionnaires de ce ministère.
C’est pourquoi j’ai déterré (le mot ne me semble pas trop fort) la réforme des Directeurs des services pénitentiaire (DSP) qui a été publiée hier, dimanche, au Journal officiel.
C’est aussi pourquoi j’ai signé avec les organisations syndicales, le 22 juillet dernier, un relevé de conclusion qui concerne, entre autres, les Directeur des services pénitentiaires d'insertion et de probation (DSPIP).
A ce sujet, je sais l’inquiétude qui gagne vos rangs concernant la mise en œuvre de ces engagements.
Je vois monter le scepticisme.
Aussi je veux définitivement dissiper toutes les éventuelles ambiguïtés et faire fondre tous les doutes.
ÄJe compte bien appliquer l’entier relevé de conclusion du 22 juillet dernier.
Je vais le faire avec méthode, avec détermination, dans un dialogue soutenu (parfois peu amène) avec l’interministériel.
Il me reste peu mais suffisamment de temps !
Ce que nous avons obtenu le mérite.
à Puis-je rappeler la revalorisation de 40% de l’indemnité de fonction et d'objectifs (IFO) dès le 1er avril ?
Les arrêtés seront publiés au Journal officiel dès demain.
àSur le plan statutaire ensuite, la réforme se déroulera en deux étapes : l’une en relation avec le protocole Parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR), l’autre avec la réforme de la filière sociale.
èPour le PPCR, nous allons procéder à une revalorisation indiciaire importante, sur les deux grades, en bas comme en haut de grille.
Pour le pied de grille du 1er grade, nous avons obtenu 41 points supplémentaires.
Et pour le haut de grille il s’agira de 11 points accompagnés d’une réduction de la durée de carrière de six mois.
ðC’est un cas unique dans l’administration pénitentiaire, et rarissime dans la fonction publique.
Pour le deuxième grade, nous avons obtenu :
ðUne réduction moyenne d’un an de la durée du grade (là encore, cas unique),
ð60 points de plus en pied de grille,
ð47 points en haut de grille,
ðAinsi qu’un échelon spécial en hors échelle A.
Le statutaire rejoint donc et reconnait l’essence de vos missions.
èEt la réforme de la filière sociale nous permettra de mettre en œuvre les autres dispositions du relevé.
Ce sera notamment :
ðLa création d’un grade à accès fonctionnel,
ðEt la revalorisation du statut d’emploi qui permettra notamment un accès à la hors échelle B pour certains emplois à forte responsabilité.
Les textes seront prochainement présentés aux organisations syndicales.
Pourquoi là encore le cacher ? Mon but est de rendre irréversible ce que vous avez obtenu.
Dans le même temps, je viens de le dire, j’ai repris et mené à son terme la réforme des DSP.
Celle-ci se structure autour d’axes que vous connaissez :
èLe pied de grille indiciaire est revalorisé, ce qui renforcera l’attractivité du corps des DSP,
èUn 11ème échelon est créé avec un indice brut 985, soit au-delà de l’indice brut de 966 auquel culminent les administrateurs civils,
èLes conditions fonctionnelles pour accéder au grade de directeur hors classe sont supprimées
èAinsi que le contingentement de l’accès à l’indice brut terminal hors échelle A, ce qui permettra à l’ensemble des directeurs de voir leur carrière se dérouler jusqu’à cet indice,
è Enfin, au-delà de la révision du statut d’emploi de directeur fonctionnel, il est créé un 3ème grade de directeur de classe exceptionnelle.
Il culminera à un échelon exceptionnel, contingenté, à l’indice brut hors échelle B-bis.
Cela constitue un marqueur important de la catégorie A+ et permettra de donner accès aux emplois fonctionnels de l’encadrement supérieur de la fonction publique.
C’est pourquoi je pourrai enfin nommer des DSP en qualité de sous-directeurs à la direction de l’administration pénitentiaire (DAP).
Christophe DEBARBIEUX en est un parfait exemple.
Je veux qu’il soit suivi par d’autres.
Il était en effet aberrant que vous ne puissiez vous-même diriger votre administration !
A ce propos, j’ai découvert l’effet repoussoir que pouvait revêtir l’administration centrale pour certains d’entre vous.
Le nombre de postes vacants est là pour l’illustrer.
Ce qui me préoccupe beaucoup, car c’est extrêmement préjudiciable à l’efficacité de l’institution et me prive d’une expertise indispensable.
ÄC’est pourquoi j’ai souhaité que la réforme valorise le passage en centrale dans le déroulement de carrière.
J’entends souvent des critiques contre la « Centrale », productrice de contraintes et dévoreuse d’énergie.
Je veux donc vous dire combien il m’est quotidiennement précieux de pouvoir disposer d’interlocuteurs fiables, éclairés et disponibles.
Cette excellence a, par exemple, été incarnée Charles GIUSTI.
Monsieur le directeur, vous avez souhaité réintégrer votre administration d’origine.
Comme on dit dans le film « l’enquête corse » : « c’est votre droit ».
J’ai veillé à ce que vous soyez accueilli de la meilleure manière qui soit, car vous avez été un Directeur de l’administration pénitentiaire adjoint (DAPA) formidable.
Vous allez être très prochainement nommé directeur général adjoint des Outre-mer.
Vous le méritez amplement au regard du service rendu à la DAP, de votre engagement, de votre abnégation même.
Vous allez me manquez, mais je ne veux pas vous mettre plus mal-à-l’aise.
à D’autant que nous nous reverrons bientôt puisque je vais avoir le plaisir de vous remettre la légion d’honneur qui manquait à la reconnaissance de vos mérites.
Et pour votre remplacement, il va de soi qu’un bon connaisseur de la DAP sera privilégié.
Il est un autre fait qui me préoccupe, car il altère le bon fonctionnement de vos établissements :
ØJe veux parler des taux de vacances de postes.
Le gouvernement y a répondu par des créations massives de postes.
ØPrès de 5 400 élèves surveillants ont découvert l’ENAP.
ÄJe salue d’ailleurs sa directrice.
Le seul budget pour 2017 prévoit 1 255 créations d’emplois nouveaux, sans compter les renouvellements des départs en retraite.
Jamais l’ENAP n’a autant formé.
ØLes services pénitentiaires d’insertion et de probation auront quant à eux, depuis 2013, recruté 1 100 personnels,
Ä Soit une hausse de plus 25 % des effectifs.
D’une manière générale, depuis 2012, l’effort est soutenu en termes d’investissement et de fonctionnement.
Les crédits consacrés à l’AP ont ainsi cru de 23%.
C’est encore insuffisant mais nous avons accompli des pas de géant.
Il nous faut cependant en faire d’autres.
ØC’est la vocation du programme immobilier annoncé le 6 octobre dernier par Manuel VALLS, alors Premier ministre.
Dans le budget 2017, 1,158 milliards d’euros en autorisation d’engagement permettront d’amorcer la première phrase de construction de ces 33 nouveaux établissements pénitentiaires et 28 quartiers de préparation à la sortie.
ØC’est encore la mission du livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire installée à la Chancellerie, le 24 janvier dernier, par Bernard CAZENEUVE, Premier ministre.
Je me réjouis que Patrick MOUNAUD ait accepté d’assumer la responsabilité de rapporteur général.
Ses qualités personnelles et son parcours au sein de cette institution sont incontestables.
Et, une fois de plus, il me semblait naturel qu’un DSP occupe cette position éminente.
Evidemment au sein des collèges de la Commission, siègent aussi des DSPIP et d’autres DSP !
Je ne doute pas que la Commission saura relayer les différents travaux mis en place après le séminaire des métiers organisé les 26/27 juillet 2016.
Je pense notamment aux thèmes majeurs qui y furent abordés :
ÄCycles de travail,
ÄOrientation des détenus,
Ä Classification des établissements,
ÄFormation… pour n’en citer que quelques-uns.
J’en viens maintenant à un autre sujet qui nous réunit aujourd’hui : la sécurité pénitentiaire.
Dès mon arrivée, alors qu’un projet de loi antiterroriste était en discussion au Parlement, j’ai défendu une réforme de l’article 57 de la loi de 2009.
Ainsi que je l’ai dit aux parlementaires, il fallait intégrer le climat de la détention, sa violence.
4 070 agressions contre les personnels en 2015, près de 4 100 selon les dernières estimations pour l’année 2016.
71 000 découvertes d’objets et matériels prohibés pour l’année 2016.
Il était donc indispensable de revisiter la question des fouilles.
Cela a été fait.
Le 14 octobre dernier, vous avez reçu une note détaillée présentant les modifications introduites.
Pourtant, à chaque visite d’un établissement, cette question revient, comme si le cadre juridique n’avait pas changé.
Les statistiques qui m’ont été communiquées le montrent d’ailleurs puisque la nouvelle capacité législative est inégalement mobilisée.
Je ne comprends pas cette situation.
Il vous appartient de faire application de ces prérogatives qui sécurisent considérablement des pratiques professionnelles nécessaires dans le cadre d’une gestion de la détention très dure.
La sécurité pénitentiaire, c’est aussi l’objet du plan que j’ai présenté le 25 octobre dernier et qui traite de la lutte contre la radicalisation violente.
C’est dans ce cadre que je me suis prononcé par la création d’une 5ème sous-direction.
Les arrêtés d’organisation ont été publiés le 17 janvier dernier et la sous-direction sera officiellement créée le 1er février.
Sans remettre en cause les principes directeurs de la réforme conduite par Isabelle GORCE, elle permettra de coordonner :
ÄLa gestion des questions de sécurité pénitentiaire,
ÄDe doctrine disciplinaire,
ÄDe lutte contre la radicalisation violente,
ÄDe renseignement.
Elle aura notamment la charge de superviser l’action des équipes de sécurité pénitentiaire créées par la même occasion.
Ces dernières viennent de recevoir un statut légal et des prérogatives de contrôle dans le PJL en discussion à l’Assemblée nationale.
Elles contribueront à répondre aux problématiques de sécurité interne et périmétrique.
Elles devront aussi prendre en charge les extractions judiciaires au sujet desquelles je serai prochainement amené à réaliser des annonces pour en améliorer le fonctionnement.
èDans quelques minutes, le DAPA développera ces aspects absolument structurants.
J’en viens maintenant au renseignement pénitentiaire auquel sera consacrée cette journée.
C’est une avancée majeure à la fois :
ÄPour l’insertion de l’administration pénitentiaire au sein du dispositif national de sécurité,
Ä Pour la sécurité de nos établissements et personnels,
ÄPour une meilleure connaissance des enjeux qui travaillent parfois la détention et les personnes placées sous main de justice.
A lui seul, l’importance du sujet méritait notre réunion.
Le travail accompli en 6 mois est phénoménal et que tous ceux qui y ont pris une place en soient remerciés :
ØAu premier rang d’entre eux, je veux saluer Géraud DELORME, directeur des services pénitentiaires, ancien chef d’établissement, ancien membre de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), et sous-directeur adjoint.
ØEtCharlotte HEMMERDINGER, magistrat, qui connaissait la DAP pour y avoir travaillé et que nous avons arraché à Tracfin.
ØEnsemble, ils ont abattu une masse de travail dont vous allez pouvoir vous rendre compte au cours de la journée.
Le 7 septembre dans une lettre de mission qui leur été adressée, j’avais fixé 10 objectifs pour nous doter d’un véritable Bureau central du renseignement pénitentiaire (BCRP). (6 mois ici, contre le Service central du renseignement territorial qui avait eu 1 an pour se bâtir)
1er objectif : Construire l’architecture du futur service.
C’était évidemment une priorité, car un service de renseignement se caractérise avant tout par sa capacité à animer un réseau, à centraliser l’information, à l’analyser et la diffuser.
Le 1er février, le Bureau central du renseignement pénitentiaire verra le jour.
ØIl sera armé d’une quarantaine d’effectifs d’ici la fin de l’année contre 15 actuellement.
ØIl aura autorité, j’insiste sur ce point, sur l’ensemble du réseau existant qui sera notablement densifié.
Cela ne signifie en rien que vous serez privés de vos prérogatives actuelles.
Mais le BCRP coordonnera et animera l’ensemble du réseau du renseignement pénitentiaire.
Celui-ci sera d’ailleurs doté en nouveaux effectifs :
àLes cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire (CIRP) vont doubler leurs effectifs pour passer de 42 à 83 à la fin de l’année.
àCela viendra s’ajouter aux 15 emplois d’analystes-veilleurs, aux 20 d’investigateurs numériques aux 10 traducteurs.
àLes délégués locaux au renseignement pénitentiaire (DLRP) dont 44 sont à temps complet et 143 à temps partiel.
2ème objectif: rédiger une nouvelle doctrine du renseignement pénitentiaire.
Le seul document à vocation « doctrinal » date de décembre 2015.
Mais il ne correspond plus aux enjeux du moment marqués par la professionnalisation du renseignement pénitentiaire et l’évolution du cadre normatif.
Un nouveau document est donc en cours d’écriture par la mission de préfiguration, il sera prêt pour la fin du premier trimestre.
3ème objectif : rédiger les textes réglementaires.
Ce fut un travail aussi complexe que conséquent, beaucoup plus chronophage que je ne le pensais.
Les préfigurateurs, les services juridiques et techniques de la DAP ainsi que de la DACG ont été mis à contribution pour réaliser une publication de ces textes complexes en un temps record.
Les 5 textes nécessaires ont été publiés entre décembre et le 17 janvier.
Ø D’abord une modification du décret relatif au ressort territorial, à l'organisation et aux attributions des DI des services pénitentiaires a été publiée le 27 décembre dernier.
Ce fut l’occasion d’intégrer dans les missions des Directions interrégionales (DI) les nouvelles finalités assignées par la loi au service du renseignement pénitentiaire :
à Prévention du terrorisme,
àPrévention de la criminalité et de la délinquance organisée,
à Prévention des évasions, maintien du bon ordre et de la sécurité dans les établissements.
Enfin, ce même texte crée et définit le périmètre de compétence des cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire (CIRP).
Ø Nous avons également procédé à une modification du décret du 9 juillet 2008 relatif à l'organisation du ministère de la justice afin d’intégrer là encore ces nouvelles missions fixées par la loi.
ØUn nouveau décret a été pris en application de l’article L. 811-4 du CSI relatif à la désignation des services relevant du ministère de la justice, autorisés à recourir aux techniques mentionnées au titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure.
Dans les faits, ce décret intègre les Cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire (CIRP) et le bureau central du renseignement pénitentiaire au deuxième cercle des services de renseignement.
Il permet en outre de recourir aux techniques de renseignement nécessaires à la poursuite des finalités que je viens de rappeler.
Ø S’ajoutent deux arrêtés de réorganisation de la DAP.
àL’un créant la nouvelle sous-direction de la sécurité pénitentiaire,
àL’autre organisant les missions des bureaux de cette sous-direction, parmi lesquels le BCRP occupera une place pivotale.
Je signale également que le premier arrêté précise les personnes pouvant faire l’objet de la mise en œuvre d’une technique de renseignement : c’est-à-dire les seules personnes placées sous main de justice.
ÄEt non leur entourage, comme cela a pu être écrit ici ou là.
4nd objectif: protocoliser les relations avec les autres services de renseignement.
Les deux protocoles existant avec des services partenaires (Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT)) devront naturellement être revus.
Le travail déjà engagé dépend de l’antériorité des relations avec l’administration pénitentiaire et du partage des objectifs prévisibles.
ÄA ce titre, c’est évidemment avec la DGSI et le SCRT que les collaborations sont le plus rodées.
D’ailleurs, un officier de la DGSI a été mis à disposition du BCRP depuis le 3 janvier.
Il sera prochainement suivi par un officier du Service central du renseignement territorial (SCRT) puis de la gendarmerie.
Et sans attendre, la Direction du Renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) va prochainement accueillir un officier du renseignement pénitentiaire.
ÄMais des liens ont été bâtis avec tous les services qui peuvent être en lien avec la problématique pénitentiaire.
Qu’ils appartiennent au 1er ou au 2ème cercle.
Ainsi donc un protocole reliera le BCRP à la DGSE, à la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED), à la Sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) et à la DRPP.
5ème objectif : établir l’architecture des relations avec les autorités judiciaires.
Ce point découle par exemple de l’article 727-1 du CPP qui suppose une relation étroite avec les procureurs.
Mais il est aussi lié à la découverte des téléphones portables en détention, un fléau pour nos établissements.
D’ici la fin du premier trimestre, une circulaire sera soumise à ma signature afin d’établir des orientations de politique pénale.
Elle permettra de systématiser les poursuites judiciaires ou les sanctions disciplinaires à l’encontre des détenteurs ainsi que l’exploitation des données contenues dans ces téléphones.
6ème objectif: mener une politique active de recrutements de qualité et établir un plan de formation.
La formation du réseau du renseignement pénitentiaire est un prérequis indispensable pour atteindre, dès 2017, un niveau satisfaisant de performance.
Il faut tourner la page de l’empirisme et investir dans la spécialisation.
A cette fin :
ØUn plan de formation initiale et continue a été ainsi préparé en collaboration avec les autres services de renseignement.
Il vise à établir un socle commun de techniques et de connaissances pour tous les personnels.
Naturellement, l’ambition est à terme de l’enrichir et de l’exploiter de façon autonome par le service du renseignement pénitentiaire.
ØDes actions inaugurales de sensibilisation pour les cadres des CIRP et les DLRP vont être engagées dans les prochains jours.
Elles permettront de perfectionner les connaissances de ces fonctionnaires concernant le cadre juridique, les nouvelles prérogatives conférées… de diffuser la culture du renseignement en somme.
ØPar ailleurs, l’Académie du renseignement a accepté d’ouvrir ses portes à nos cadres, ce dont je me réjouis.
Au demeurant, la présence de nombreux chefs de services de renseignement dans notre journée témoigne déjà de leur intérêt pour notre travail mais aussi de notre crédibilité naissante.
Je constate aussi, pour participer au conseil de défense, tous les mercredis, autour du Président de la République, combien l’apport de notre regard sur les enjeux de la détention est apprécié.
7ème objectif: définir précisément les périmètres d’action du BCRP et ses modes de travail avec l’ensemble des personnels de la DAP.
Ce point est important car, quelle que soit l’importance accordée à la constitution du renseignement pénitentiaire, celui-ci ne saurait remettre en cause les pratiques pénitentiaires.
Elle n’a pas vocation à bouleverser les équilibres traditionnels ou participer d’une « sécuritarisation de la détention » ou des activités d’insertion et de probation.
Il est indispensable de le préciser car nombreux sont les observateurs qui confondent les nécessaires remises à niveau avec des bouleversements systémiques.
Le renseignement pénitentiaire faisait défaut à cette administration, nous comblons ce manque sans pour autant réorienter le travail de l’administration, dans la diversité de ses composantes.
En conséquence, dans le cadre de l’instauration de la sous-direction de la sécurité pénitentiaire, tout le travail doctrinal nécessaire sera réalisé afin de créer les conditions d’une coopération entre tous les acteurs concernés (DLRP, chefs d’établissements, personnels d’insertion et de probation, fonctionnaires interrégionaux et administration centrale) qui profitera aux missions de l’administration pénitentiaire dans son ensemble.
8ème objectif : définir les modalités de traitement des informations du renseignement pénitentiaire.
Les données collectées imposent des règles précises (conservation, accès, échange et traçabilité) souvent encadrées par la loi.
De plus, leur gestion nécessite le développement d’un système d’information performant et ambitieux.
Ainsi au titre de la Loi de finances 2017, 6 millions d’euros ont été budgétés pour accompagner la montée en puissance technologique et accompagner la politique de protection dans les services déconcentrés :
Ä4 millions sont destinés à l’acquisition d’équipement de renseignement et à la protection des infrastructures, dont les besoins sont désormais connus,
Ä2 millions seront consacrés au développement d’un système d’information propre.
Pour autant, dans l’intervalle, une solution transitoire est utilisée : le logiciel CAR («Collecter/Analyser/Renseigner »).
Par ailleurs, au niveau central, les personnels du BRP ont accès depuis juin 2016 au FSPRT (fichier de signalement des personnes en cours de radicalisation et de traitement), administré par l’UCLAT.
Mon ambition est que cet accès puisse également se réaliser au niveau des CIRP.
ÄLe DAP a écrit en ce sens au Directeur général de la Police nationale (DGPN).
9ème objectif : Etablir des règles de contrôle interne et d’évaluation de la structure et en garantir la mise en œuvre effective.
Le simple énoncé de cet objectif n’appelle pas de commentaires supplémentaires.
L’existence d’une mission de contrôle interne et la centralisation appliquée devra permettre de satisfaire à cette demande.
10ème objectif : définir les axes de développement et les priorités du renseignement pénitentiaire.
Ce point revêt pour moi une importance particulière.
Je souhaite en effet que le renseignement pénitentiaire réponde à des orientations.
Comme nos moyens sont restreints, en plein développement, nous devons donc faire des choix tout en nous ménageant la possibilité d’anticiper la menace.
Nous sommes aujourd’hui accaparés par le terrorisme et la radicalisation violente.
Mais, en dehors des islamistes, nos prisons continuent de vivre, parfois de convulser, nos services pénitentiaires d’insertion et de probation continuent d’accueillir un public pour lequel ils doivent mettre en œuvre une mission difficile.
Je ne veux pas céder à l’oubli de ce qui n’occupe pas la une de la presse et qui structure pourtant le milieu dont les personnels du ministère de la Justice assurent la gestion.
D’ici la fin du deuxième trimestre, j’aurai donc validé des orientations qu’il appartiendra à mon successeur d’apprécier.
Il ne faut pas, par exemple, délaisser le suivi des 470 personnes détenues liées à de grands réseaux de criminalité organisée.
Il est indispensable d’amplifier la lutte, au sein des établissements, contre les ramifications potentielles de leurs organisations.
ÄPour cela, nous devons connaître les réseaux, y compris hors de nos murs, et donc accroitre le travail partenarial en sens.
Vous le constatez, le travail accompli en 6 mois est absolument considérable.
J’en suis très heureux car je sais que nous posons des bases très solides et utiles pour l’AP.
Néanmoins, tout cela sera vain si nous ne nous approprions pas une culture du renseignement, de nouvelles dispositions d’esprit qui favoriseront de nouvelles pratiques.
Cette journée s’inscrit dans cette dynamique.
Elle souligne le défi professionnel et personnel qui se présente à vous.
Je veux par exemple évoquer la manière de penser le renseignement pénitentiaire dans son rapport à l’autorité, au « besoin d’en connaître » comme l’on dit.
Le but du renseignement pénitentiaire est de soutenir l’action et les missions de l’administration pénitentiaire, la protection des personnels, des établissements et services, celles aussi des personnes prises en charge.
ØMais un service de renseignement efficace permet de collecter des informations qui ne concernent pas l’univers pénitentiaire.
Et dans ces cas-là, les informations doivent être remontées avec le moins de filtres possibles vers les destinataires essentiels : nos partenaires.
C’est une question fondamentale.
Nous n’avons pas de légitimité à les conserver, elles n’ont pas vocation à être utilisées pas notre service,
ÄEt donc il n’est pas utile que vous en soyez destinataires.
D’autres institutions, d’autres professionnels se sont trouvés confrontés aux mêmes réflexions : le SCRT par exemple.
Je mesure combien cela nécessitera des adaptations.
Je pressens même que ces ajustements seront à la source de frictions, voire d’incompréhensions.
ØMais je sais aussi que vous aurez tous à cœur de construire les conditions de la pleine réussite de votre mission et de celle du renseignement pénitentiaire.
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Mesdames et messieurs, j’ai déjà été bien trop long et je vous remercie de votre patience.
Je vais maintenant laisser la parole à tous ceux qui, au quotidien, dans une responsabilité ou dans une autre, rendent concrètes les orientations que je viens d’esquisser.
Il me reste :
A vous remercier pour votre action,
A vous dire combien je compte chaque jour sur votre efficacité.
Etre garde des sceaux, c’est accepter de ne pas lier ses actions au rythme des échéances politiques.
Voilà pourquoi, dans les cent jours qui s’écouleront jusqu’à l’échéance présidentielle, je n’ai nulle intention de dételer ni nulle tentation de m’économiser.
Je ne vais donc pas choisir de privilégier tel ou tel sujet, ou prioriser telle ou telle thématique.
Au contraire, je vais, comme dans l’année écoulée, saisir chaque opportunité, exploiter toutes les occasions, utiliser toutes les possibilités pour renforcer l’administration pénitentiaire.
Je vais donc continuer à passer des commandes à la Direction de l’administration pénitentiaire au même rythme que depuis un an.
Je sais que vous faites un métier difficile, je connais vos conditions de travail.
Même s’il m’arrive encore de trouver que les coursives que je traverse sentent encore un peu trop la peinture ou que les cours que l’on me présente sont d’une propreté surprenante.
Que les chefs d’établissement de la Talaudière, de Papeete ou de Gradignan où je vais me rendre ne se croient donc pas obligés de lancer des travaux…
Je ne sous-estime aucun des problèmes auxquels vous êtes quotidiennement confrontés.
Je ne prétends donc pas vous apporter toutes les solutions.
Mais, comme vous, parce que j’ai la passion du service public, parce que je crois au rôle stratégique de l’administration pénitentiaire, je veux simplement vous dire qu’ensemble nous pouvons encore être, dans les trois mois qui viennent, utiles à notre nation.
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