Dialogue franco-chinois en matière de droit et de justice

Publié le 14 mai 2019

Discours de Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice

2019.05.14 - Discours 29 avril Chine revu NB 2.pdf PDF - 278,43 Ko

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Monsieur le Ministre de la justice de la République populaire de Chine, cher collègue,

Monsieur l’Ambassadeur,

Monsieur le président du Conseil supérieur du notariat,

Madame la présidente du Conseil national des barreaux,

Madame le bâtonnier de l’ordre des avocats,

Monsieur le procureur général,

Mesdames et Messieurs,


C’est un honneur, Monsieur le ministre, de vous accueillir, à mon tour, en France, au siège historique du ministère de la justice. Votre présence aujourd’hui à Paris est un symbole précieux, en cette année de commémoration du 55ème anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre nos deux pays. L’inscription dans le temps de l’amitié de nos peuples et le développement de notre partenariat stratégique, initié en 2001, connaissent aujourd’hui, grâce au droit et à la justice, une nouvelle étape. Un élan prometteur a été insufflé par la rencontre de nos chefs d’Etat, en Chine, en janvier 2018, qui ont souhaité instaurer un dialogue destiné à « renforcer les échanges et la coopération dans les domaines juridiques et judiciaire sur la base du principe d’égalité ». Ces rencontres désormais annuelles, marquées par la venue du Président Xi Jinping en France le mois dernier, manifestent avec force la volonté de poursuivre un dialogue franc et fécond, fait d’exigence et d’équilibre.

Nos pays sont porteurs d’une longue tradition juridique.

- La vôtre date de plusieurs millénaires. La nôtre, sans doute plus récente, encore que le droit romain ait clairement imprimé sa marque, n’en est pas moins constitutive de la construction de notre Etat. J’ai d’ailleurs appris que la France, « Fa » en chinois, signifie « le pays du droit ».

- Nos traditions juridiques sont, autre similitude, le fruit de deux empires. Votre premier code pénal date ainsi de la dynastie Tang, au VIIème siècle de notre ère tandis que le nôtre a été écrit en 1810, sous l’Empire napoléonien.

- Ces éléments ne sont pas un hasard : le droit est un moyen de réunir les peuples, de les faire vivre ensemble sur un vaste territoire.

C’est donc tout naturellement que nos deux pays ont tissé des liens étroits en matière juridique. Logiquement, nous avons tous deux souhaité approfondir davantage encore notre coopération. En juin dernier, lorsque vous m’aviez reçue à Pékin, nous avions conclu un accord relatif à notre coopération technique. Nous nous apprêtons à en signer aujourd’hui une déclinaison plus concrète sous la forme d’un plan quadriennal de coopération juridique

Les sujets sur lesquels nous avons décidé d’approfondir notre coopération sont vastes et reflètent des défis que nos deux pays ont décidé d’affronter ensemble : le droit de l’environnement, la protection des consommateurs, la lutte contre la criminalité organisée… Nos échanges porteront aussi sur les droits fondamentaux, le rôle de l’avocat, l’accès au droit et à la justice. Ils associent d’ailleurs l’ensemble des professions du droit ainsi que les partenaires qui font vivre la coopération juridique entre nos deux pays. Leur présence aujourd’hui témoigne de l’intérêt qu’ils portent à cette relation.

En ouvrant ensemble le dialogue franco-chinois en matière de droit et de justice, nous rendons hommage au travail déjà accompli et fixons un cap pour le chemin qui reste à parcourir. Dans la tradition grecque, dont la Chine présente un reflet si emblématique, le mot « dialogue » se réfère à la parole, au discours (logos) tenu entre (dia) différentes personnes. Le dialogue, c’est une pensée en mouvement, une parole fondée sur la relation, qui exige, par là-même, une réciprocité. Et c’est bien une relation ponctuée de rendez-vous réguliers, porteuse d’incidences concrètes, que nous entamons en initiant aujourd’hui même des ateliers techniques entre experts de chacun de nos ministères.

Nos perspectives sont ambitieuses. Il s’agit, pendant le séjour de votre de délégation, d’une part de poursuivre ensemble le dialogue sur des questions juridiques essentielles, telles que l’accès au droit, qui doivent retenir toute notre attention (I), et d’autre part de progresser dans le domaine délicat de l’entraide, dans le respect des accords conclus et des droits fondamentaux (II).


I Un dialogue droit et justice de haut niveau

Sur le premier point de nos échanges, je dois souligner qu’au cours des vingt dernières années, la coopération juridique franco-chinoise s’est développée grâce à l’engagement de nombreux acteurs. Je tiens ici à saluer les initiatives menées par l’Ecole nationale de la magistrature, les professions du droit, auxquelles on doit notamment la création d’un centre sino-français de formation et d’échanges notariaux et juridiques de Shanghai ainsi que celle des universitaires français au travers de nombreux colloques et rencontres thématiques.

Depuis 2005, un magistrat de liaison, en poste au sein de notre ambassade à Pékin, traduit la présence pérenne du ministère français de la justice en Chine. L’ambassade de France, en lien avec la Fondation pour le droit continental, a ainsi pu organiser des Rencontres franco-chinoises du droit et de la justice, ayant pour ambition de fédérer les différents acteurs français de la coopération et d’améliorer leur visibilité. La 5e édition de ces rencontres se déroulera à Pékin et Shanghai du 18 au 24 mai prochains, autour de la codification civile, du droit de la famille, de la protection des personnes vulnérables mais aussi des chambres commerciales internationales et de l’intelligence artificielle.

Nous avons également décidé, Monsieur le ministre, de nous revoir au moins tous les deux ans, pour dresser un bilan périodique de ce dialogue et le faire évoluer en fonction de nos priorités. Ces échanges seront complétés par des réunions annuelles entre nos services, pour évoquer certains aspects plus opérationnels de notre coopération judiciaire.

Parmi nos thèmes prioritaires de travail, je souhaiterais en relever deux particulièrement :

- dans la continuité des accords de Paris, je voudrais bien sûr citer celui de l’environnement. Nos civilisations sont menacées par ce qu’elles ont elles-mêmes créé et la sanction de la démesure se traduit toujours par l’éparpillement et la destruction. Sur ces sujets, notre destin est commun parce que notre planète est une et fragile. Cette fragilité nous impose un devoir de protection et de sauvegarde dans lequel le droit et les normes internationales ont un rôle considérable à jouer.

- Nous souhaitons aussi coopérer plus étroitement dans le domaine de l’accès au droit et à la justice. Les nouveaux outils numériques favorisent des changements profonds. J’ai pu constater lors de ma visite en Chine combien les réformes que vous aviez entreprises en ce domaine étaient avancées. J’ai moi-même lancé un plan de transformation numérique de grande ampleur dont la loi de réforme pour la justice, qui vient d’être adoptée, permettra la mise en œuvre. Ces nouveaux outils nous donnent certes l’opportunité de rendre la justice plus accessible, mais nous devons veiller à préserver l’accueil physique du justiciable, à lutter contre la fracture numérique et à assurer des normes élevées de protection de la vie privée et des données personnelles.

II L’amélioration de l’entraide judiciaire dans le respect des conventions et des droits fondamentaux

Le deuxième aspect de nos échanges est tout aussi ambitieux. Il porte sur l’amélioration de notre coopération judiciaire et matière civile et pénale, sujet d’autant plus sensible qu’il concerne directement nos citoyens et soulève des enjeux décisifs en matière de libertés fondamentales.

Nos deux pays sont liés dans ces domaines par des traités et des accords conclus au plus haut niveau entre chefs d’Etat et de gouvernement. Nous sommes aussi parties à des conventions internationales, qui, dans l’ordre juridique français, ont une valeur supérieure à celle des lois. Il nous revient de les appliquer pleinement, car elles nous engagent.

Il nous faut aussi, et surtout, rechercher dans l’application concrète des textes que nous avons signés (l’accord d’entraide judiciaire en matière civile et commerciale signé en 1987, l’accord d’entraide judiciaire en matière pénale signé en 2005, le traité d’extradition signé en 2007), l’équilibre et la réciprocité indispensables aux relations de confiance que nous bâtissons. Ces caractéristiques, nées d’un dialogue respectueux, nous devons les garantir à nos concitoyens et nos entreprises, directement concernés par les contentieux, civils ou pénaux, aux conséquences individuelles souvent extrêmement lourdes.

La garantie des droits fondamentaux doit demeurer le fil conducteur de nos échanges sur les questions juridiques et judiciaires. La France et plus largement l’Union européenne assurent en effet pleinement la protection des droits et libertés individuelles, et nos deux chefs d’Etat ont rappelé, dans la déclaration qu’ils ont signée le 26 mars 2019, leur attachement à la promotion et la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, conformément aux buts et principes des Nations-Unies.

Cette vision de la justice, je souhaite que nous puissions la partager et en faire l’horizon de notre dialogue. Je crois aux ressources de l’intelligence, aux détours de l’humilité et à la conscience d’un destin partagé pour y parvenir.

Que, sous ces auspices, vive notre dialogue !

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