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D'Aguesseau : un homme entre deux siècles
Publié le 30 novembre 2018
Ce mardi 27 novembre 2018, on commémorait le 350e anniversaire de la naissance du chancelier Henri-François D'Aguesseau (1668-1751) ; l'occasion d'une journée d'étude riche d'échanges à propos de celui qui fût le premier chancelier à occuper l'hôtel de Bourvallais.
Illustre et méconnu
Le chancelier est partout. Sa statue, comme celle de Sully, de Colbert et de Michel de l'Hospital, orne l'escalier du Palais Bourbon. "Nombreuses sont les rues ou les écoles qui portent son nom", rappelle Isabelle Brancourt, auteure d'une thèse sur d'Aguesseau.
Ce Limougeaud, dont toute la carrière se déroula à Paris, reste pourtant méconnu du grand public. Magistrat et juriste, il fut aussi homme de science, philosophe et moraliste. Avocat général à 23 ans, procureur général du roi au Parlement de Paris en 1700, il est élevé à la Chancellerie en 1717. Il devient ainsi le premier officier de la Couronne ce qui l'autorise, seul, "à ne pas porter le deuil du roi", comme le précise Clémence Pau, historienne de l'art. Autre élément qui en dit long sur le prestige du cancellariat, la charge est inamovible.
Henri-François D'Aguesseau compte pas moins de soixante années au service du roi, de Louis XIV d'abord, puis de Louis XV ; et malgré deux exils, entre 1728 et 1727, il accomplit une œuvre de modernisation de la justice et d'unification de la jurisprudence. Il est considéré comme le principal précurseur du Code civil.
Entre conservatisme et modernité
A la mort de D'Aguesseau, en 1751, ses œuvres ont été rassemblées et publiés en treize volumes in-quarto. Elles n'ont cessé d'être éditées et rééditées depuis. Pourtant, les écrits personnels du chancelier sont demeurés inachevés. Est-ce le signe du paradoxe qu'il porte en lui ? Cet inachèvement témoigne-t-il de ses contradictions, de ses tâtonnements ? Philippe Pichot, historien du droit, le souligne. "L'homme se situe au carrefour de la pensée classique et de la pensée moderne", entre la prudence conservatrice d'Aristote et la modernité de la pensée cartésienne.
"Lié au parlement sociologiquement, il l'est aussi au roi dont il défend les intérêts." ajoute Dominique Dalmas, inspectrice générale honoraire de l'Administration.
On trouve ainsi d'une part un D'Aguesseau toujours soucieux de préserver l'équilibre de l'ancienne constitution monarchique ; son sens de l'équité l'incline d'autre part à défendre le droit de remontrance qui, selon lui, confère aux lois fondamentales la stabilité dont elles ont besoin. Sans ce droit, il y aurait "un grand risque de voir la monarchie dégénérer en tyrannie", dit-il.
Une figure mythique
De D'Aguesseau, Voltaire dit qu'il est le "magistrat le plus savant que la France ait possédé" ; un esprit donc, mais aussi une image, qui va traverser la Révolution et l'Empire ; celle d'un chancelier jeune, souvent représenté avec son épouse, Anne-Françoise.
Dans quelle mesure l'iconographie a-t-elle contribué au mythe ? C'est la question posée par Pascal Texier, professeur d'histoire du droit. Entre 1694 et la fin du XIXe siècle, on trouve une soixantaine de représentations du magistrat, aussi bien dans le dessin, la peinture ou la gravure que dans la sculpture ou la mosaïque. "D'Aguesseau c'est un peu n'importe qui, nous dit encore Pascal Texier. On le reconnaît souvent grâce à sa femme dont le visage rond est plus identifiable."
Quel que soit le support, l'artiste vieillit le modèle à sa guise. En 1761, le graveur Jean Daullé (1761) le représente par exemple avec un menton plein ; tandis que le pastel de Joseph Vivien (1703) qui l'a inspiré montre un D'Aguesseau plus jeune dont le menton arbore une fossette.
Elément plus symbolique, le chancelier tend à être représenté, au fil du temps, sans le coffret des sceaux. C'est cette image de législateur que l'on retrouve par exemple dans la grande galerie du musée du Louvre consacrée aux illustres Français.