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Femmes, droit et justice

Publié le 13 mars 2019

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Ce 11 mars, la Grand' chambre de la Cour de cassation accueillait le colloque "Femmes, droit et justice", organisé par le ministère de la Justice, l'École nationale de la magistrature et la Cour de cassation dans la continuité de la Journée internationale des droits des femmes. Cet événement conduit par Isabelle Rome, Haute-fonctionnaire à l'égalité femmes-hommes, a permis de s'interroger sur la place des femmes, qu'elles soient dans le prétoire ou sur le banc des accusés.

Invisibles pionnières

Magistrates, bâtonnières, avocates : la gent féminine représente aujourd'hui 66% du corps de la magistrature1. Mais, comme le souligne Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation, ce pourcentage élevé est le résultat d'une "longue lutte initiée au barreau" par Olga Balachowsky-Petit et Jeanne Chauvin. Car si ces dernières prêtent serment aux premières heures du XXe siècle, c'est seulement le 11 avril 1946 que la loi permet aux femmes d'accéder à la magistrature. Pour autant, "le périmètre dévolu aux femmes demeure longtemps confiné aux registres de l'enfance délinquante ou du droit de la famille," précise Gwenola Joly-Coz, présidente du TGI de Pontoise. Ce n'est qu'à partir des années 70 et du combat de Gisèle Halimi que les représentations commencent à évoluer.

Aujourd'hui, même si certaines inégalités demeurent, les magistrates ne sont plus cantonnées au Siège et le pourcentage d'avocates inscrites au barreau de Paris est de 54%. Ces acquis sont l'œuvre de pionnières dont l'histoire n'a pourtant pas gardé trace. C'est pourquoi "il est important de contribuer aujourd'hui à rendre ces femmes visibles", ajoute Gwenola Joly-Coz. La plus grande salle du tribunal de Paris vient ainsi d'être baptisée du nom de Charlotte Béquignon-Lagarde, première femme à avoir intégré2 la magistrature, le 16 octobre 1946.

Genre et stéréotypes

Si le poids de la tradition a longtemps pesé dans le corps judiciaire, qu'en est-il du traitement des jeunes délinquantes ou des femmes criminelles ? Là aussi, les représentations sociales jouent. Aminata Niakate, avocate, reconnait qu'il est "plus facile de plaider pour une jeune fille", dont l'aspect fragile est souvent évident. Celle-ci va par exemple se voir proposer de rencontrer un médecin dans 60% des cas, alors que cette possibilité est présentée à un garçon seulement une fois sur 10. En conséquence, l'obligation de soins et les mesures éducatives sont en majorité destinées aux filles.

Catherine Ménabé, maître de conférences à l'université de Lorraine, évoque également un "traitement différentiel" concernant les 3,6% de femmes incarcérées. Ces dernières semblent bénéficier de représentations sociales fondées sur ces stéréotypes qui font de la femme un être bienveillant et doux. Aujourd'hui, celles qu'on appelle les "revenantes" (de Syrie) ont ainsi pu être perçues momentanément comme n'ayant pas de rôle actif et ont fait l'objet d'un simple contrôle judiciaire. Dans ce domaine, la tentative d'attentat par trois femmes radicalisées de la cathédrale Notre-Dame à Paris, en septembre 2016, a été une véritable prise de conscience. "Aucune infraction n'est exclusivement féminine ou masculine", ajoute Catherine Ménabé.

Un travail collectif mené par des élèves de l'École nationale de la magistrature (ENM) sous forme de micro-trottoir révèle par ailleurs que, selon la majorité des personnes interrogées, le genre du juge influe sur le sens de sa décision. A l'inverse, ces mêmes personnes estiment que le justifiable est traité indifféremment, qu'il soit homme ou femme.

Si les mentalités ont évolué, le poids des représentations sociales semble encore très prégnant dans la sphère judiciaire. On peut regretter avec Aurore Boyard, avocate, que 30% de femmes quittent le barreau dans les 10 premières années d'exercice à cause du "machisme ambiant qui règne dans l'avocature" ; ou avec François Saint-Pierre, avocat également, que "le milieu pénaliste des avocats soit presque exclusivement masculin". Néanmoins, "la façon de s'exprimer évolue dans les salles d'audience puisque la place des femmes augmente," se félicite celui-ci en lançant un appel à propositions : trouver l'équivalent féminin de "ténor du barreau".

1 - Source : Baromètre égalité femmes-hommes - Ministère de la Justice - Mars 2019

2 - L'École nationale de la magistrature ne voit le jour qu'en 1958 sous le nom de Centre national d'études judiciaires.