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L'équilibre des peines : de la prison à la probation

Publié le 17 mai 2019

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Un peu plus d'un mois après la promulgation de la Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, l'INHESJ proposait de s'interroger, ce lundi 13 mai, sur l'équilibre des peines. Evolutions des modalités de la peine d'emprisonnement, leviers juridiques et institutionnels pour un juste recours aux différentes peines, exécution des peines en milieu ouvert : ces sujets, parfois polémiques, ont fait l'objet des trois tables rondes de la journée.

En préambule, Nicole Belloubet, ministre de la justice, a rappelé le triple défi auquel est aujourd'hui confronté le système pénal : surpopulation carcérale, lutte contre la récidive et sens de la peine.

"La prison que nous voulons bâtir doit prévenir la récidive, pas en semer les germes", a-t-elle précisé, évoquant la nouvelle échelle des peines inscrite dans la loi du 23 mars 2019 qui prévoit des parcours de peine différenciées et adaptées. La garde des Sceaux a, par ailleurs, souligné l'importance des Services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et celle des Structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) où 2000 places seront créées d'ici 2022. "Nous devons maintenir le lien des détenus avec la société […], fluidifier le passage du dedans vers le dehors" a-t-elle ajouté, insistant sur la nécessité de développer le placement extérieur et les TIG. Nicole Belloubet a également évoqué le projet de prisons expérimentales centrées sur la réinsertion par le travail.

Evolutions ou révolution ?

En termes d'exécution des peines, la volonté d'élaborer des stratégies individualisées représente un chantier récent. Pour mémoire, le corps des conseillers pénitentiaires d'insertion. et de probation (CPIP) n'existe que depuis 1995 et le SPIP, depuis 1999. "Longtemps, regrette Xavier Ronsin, premier président de la cour d'appel de Rennes, l'administration pénitentiaire a été plus obnubilée par la gestion des flux que par la prise en charge du détenu selon ses spécificités."

Mais mener à bien une approche à la fois humaniste et sécuritaire ne peut se faire sans un nombre suffisant de personnels pluridisciplinaires et de "bonnes pratiques" permettant par exemple de prévenir les violences entre détenus ou de favoriser des conditions correctes de détention. Dans ce domaine, Xavier Ronsin juge particulièrement utiles les préconisations du Conseil de l'Europe.

Laurent Ridel, directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris, constate pour sa part que "la prison, comme toute institution sociale, évolue. […] Ni bonne, ni mauvaise, elle est ce que la société en fait."

Depuis les années 2000, la prévention de la récidive, considérée comme un enjeu majeur, participe selon Laurent Ridel d'une image "plus dynamique de l'enfermement". Néanmoins, construire un parcours de réinsertion, c'est aussi évaluer le parcours et la personnalité du détenu (y compris sa dangerosité) ; un domaine dans lequel la France accuse un certain retard par rapport au Québec, à la Suisse ou à l'Espagne.

La surpopulation carcérale reste par ailleurs le "fléau" qui continue de ronger la politique pénale. Le taux d'occupation général en maison d'arrêt peut en effet atteindre 139%. Lutter contre ce "cancer" doit donc être, selon Adeline Hazan, contrôleur général des lieux de privation de liberté, "une véritable politique publique engagée par de nombreux ministères."

Quels leviers ?

Dans ce contexte, comment l'exécution de la peine peut-elle gagner en efficacité ? Pour Claude d'Harcourt, préfet des Pays de la Loire et ancien directeur de l'administration pénitentiaire, la question n'est pas juridique mais institutionnelle. Un juste recours à l'emprisonnement ne peut ainsi avoir lieu sans un service public efficace. Pour exemple, il évoque les mesures intéressantes de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 (création de la contrainte pénale) qui se sont révélées inopérantes parce que le service public a échoué à les mettre en œuvre.

Isabelle Gorce, présidente du tribunal de grande instance de Marseille, ancienne directrice de l'administration pénitentiaire, regrette, elle, que dans les cas où le temps du jugement est très court, il ne soit pas possible de disposer d'éléments de personnalité vérifiés. A cet effet, une doctrine en matière d'accompagnement des détenus mais aussi l'intégration dans la loi de la notion de parcours de peine pourraient être particulièrement utiles aux professionnels. "Ce n'est pas dans les mesures spectaculaires que se niche le vrai changement ; c'est dans les pratiques professionnelles", insiste-t-elle.

Le milieu ouvert : pari ou gage d'avenir ?

L'exécution des peines en milieu ouvert concerne aujourd'hui 170 000 personnes ; un nombre éloquent qui dépasse largement celui des détenus en milieu fermé (71 000 au 1er mars 2019). Mais que dit ce nombre ? Le milieu ouvert serait-il plus efficace que le milieu fermé en matière de prévention de la récidive ? Aujourd'hui, nous sommes déjà loin des années 2000 où, comme le rappelle Nicole Maestracci, magistrate, membre du Conseil constitutionnel, "la peine en milieu ouvert consistait à voir le CPIP une fois toutes les 6 semaines. "

Trouver un logement, régulariser une situation administrative mais aussi contribuer à faire évoluer des comportements sans juger la personne, l'action du CPIP est à présent un pivot du processus de réinsertion. "Notre façon d'intervenir dépend de la façon dont on interprète la délinquance, indique Yann Maurin, formateur et associé de recherche à l'École nationale d'administration pénitentiaire. Il faut développer des apprentissages pro-sociaux par opposition à des comportements pro-criminels." Un programme d'alternatives à la violence, développé au haras national de Villeneuve-sur-Lot, vise ainsi à répondre à des situations du quotidien où des passages à l'acte peuvent avoir lieu.

Pour Laurent Theoleyre, directeur fonctionnel des services pénitentiaires d'insertion et de probation du Rhône, c'est aussi l'ancrage dans le quotidien qui fait tout l'intérêt du milieu ouvert. Ce n'est pas la fréquence qui importe mais un suivi différencié selon les cas : "On voit certains une fois par an et d'autres plusieurs fois par semaine."

Prévenir la récidive ne passerait donc pas par des peines plus répressives mais avant tout par une "évaluation valide de la situation de la personne", comme le souligne Massil Benbouriche, maître de conférences à l'université de Lille. Dans ce domaine, le modèle "Risques - Besoins - Réceptivité" (RBR), élaboré au Canada dans les années 1990 semble particulièrement efficace. Il tient compte de la théorie de la personnalité en général et des processus cognitifs de l'apprentissage social du comportement criminel.

"Les peines en milieu ouvert sont plus efficaces parce qu'on travaille sur des problèmes réels, ajoute Massil Benbouriche. Elles sont aussi moins coûteuses que les peines en milieu fermé, donc plus efficaces en termes de politiques publiques."

Voir aussi le discours de Nicole Belloubet

Verbatim

"L'exercice de juger est une tâche infiniment délicate parce qu'elle entre dans les familles, dans les destins. Son autorité ne peut jamais s'exercer sans humanité." Nicole Belloubet, ministre de la justice.

"La peine équilibrée, c'est celle qui est acceptée parce qu'elle est comprise." Nicole Belloubet, ministre de la justice.

"Les conditions de détention des détenus, ce sont les conditions de travail des personnels." Laurent Ridel, directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris.

"On a souffert d'un débat sur la question de l'encellulement individuel. Les anglo-saxons disent que ce qui est important, c'est ce qui se passe en dehors de la cellule." Laurent Ridel, directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris.

"Mon vœu, c'est de sortir du prisme purement français, de copier certaines pratiques européennes." Xavier Ronsin, premier président de la cour d'appel de Rennes.

"Quand vous investissez sur la taille des cellules, vous n'investissez pas sur les espaces de vie en commun." Claude d'Harcourt, préfet des Pays de la Loire, ancien directeur de l'administration pénitentiaire.

"La prison reste la peine de référence alors qu'elle ne doit être, selon la loi, qu'un dernier recours." Adeline Hazan, contrôleur général des lieux de privation de liberté.

"La France a été condamnée plus de 30 fois par la Cour européenne des droits de l'Homme pour les conditions indignes qu'elle pratique." Adeline Hazan, contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Art. 130-1 du code pénal

"Afin d'assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions :

1/ de sanctionner l'auteur de l'infraction ;

2/ de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion."