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L'affaire des poisons
Publié le 20 juillet 2012 - Mis à jour le 16 juillet 2024
Dans la série « les grands procès de l’histoire », retrouvez l'affaire des poisons.
Le contexte
« Il semble qu’il y ait dans certains temps des modes de crimes comme d’habits. Du temps de la Voisin et de la Brinvilliers, ce n’était qu’empoisonneurs », écrit Saint-Simon dans ses “Mémoires”. En ce XVIIe siècle finissant, Paris ne bruisse plus que de morts suspectes de parlementaires, voire de princesses ou de secrétaires d’État, dans lesquelles il est question de “poudres de succession”, “philtres d’amour” et autres élixirs inconnus. L’affaire des poisons, histoire hors norme, verra plus de 400 accusés, dont de hauts personnages de la cour de Louis XIV, portés devant une chambre spécialement créée par le Roi, sur fond de querelles politiques entre ministres.
Les prémices de l'affaire
Le 31 juillet 1672, Jean-Baptiste Godin de Saint-Croix est retrouvé mort à son domicile. Il s’agit d’une mort naturelle mais diverses fioles et une cassette sont retrouvées lors de l’inventaire après décès. Cette cassette contient neuf lettres de sa maîtresse, la marquise de Brinvilliers, au contenu plus que sulfureux : elle y affirme avoir empoisonné son père, Dreux d’Aubray, lieutenant civil du Châtelet de Paris, en 1666 ainsi que ses deux frères, respectivement lieutenant civil du Châtelet et conseiller au Parlement de Paris, en 1670.
La cassette renferme également une reconnaissance de dette de Godin de Sainte-Croix envers Louis Reich de Pennautier, receveur général du clergé, autrement dit grand argentier de l’Église de France, et ami de Colbert. Le contenu des fioles est analysé par un apothicaire, il s’agit de poisons virulents laissant peu de traces dans l’organisme.
Entre temps, la marquise de Brinvilliers a eu vent de la découverte de la cassette et s’est enfuie à Londres. L’affaire est dès le départ suivie de très près au plus haut sommet de l’État, les personnages cités étant des personnalités importantes. Louvois, ministre de la Guerre de Louis XIV, ne tarde pas à s’intéresser à l’affaire et ordonne à son lieutenant général de police, Nicolas de La Reynie, de tout faire pour arrêter la marquise en fuite à l’étranger. Ce dernier se voit attribuer les pleins pouvoirs pour mener l’enquête. En effet, Louvois souhaite que le lien soit fait entre la fugitive et Pennautier afin d’impliquer son grand rival Colbert, principal ministre du Roi Soleil.
Malgré les moyens déployés, la marquise de Brinvilliers reste introuvable. Elle est donc condamnée à mort par contumace en 1673. La trace de la fuyarde est finalement retrouvée quatre ans plus tard dans un couvent aux Pays-Bas. Son arrestation rocambolesque a lieu le 25 mars 1676 par la ruse d’un agent de la Reynie déguisé en prêtre. Elle est extradée et son procès devant le Parlement de Paris débute le 29 avril. Les juges répugnent à livrer au public les détails sordides de ses crimes perpétrés dans leur société même. Ils vont cependant se concentrer sur ses liens avec Pennautier, ce qui vaudra à ce dernier d’être accusé et emprisonné. La Brinvilliers, passée à la question par l’eau, ne cessera jamais d’affirmer l’innocence du haut personnage. Faute de preuve, Pennautier est libéré. La marquise de Brinvilliers est quant à elle emmenée place de Grève le 17 juillet pour y être décapitée à l’épée. Son cadavre est aussitôt brûlé sur un bûcher et ses cendres dispersées au vent.
Religion, sortilèges et obscurantisme
En cette fin du XVIIe siècle, la contre-Réforme est à son apogée et le monde est empreint de religiosité. On croit en Dieu et on craint Satan. Toute sorte de charlatans et devins profitent de cet état de fait pour tirer un revenu de la curiosité des crédules, en leur prédisant l’avenir ou en leur faisant voir le diable à l’occasion de messes noires. « L’ancienne habitude de consulter les devins, de faire tirer son horoscope, de chercher des secrets pour se faire aimer, subsistait encore parmi le peuple et même chez les premiers du royaume », écrit Voltaire dans son ouvrage "Le Siècle de Louis XIV" (1751). Faux abbés ou même vrais prêtres sont passés experts en magie noire, ensorcellements et maléfices afin de satisfaire leurs nombreux clients. Dans ce climat, les dérapages ne sont pas loin. Les enquêteurs de La Reynie, échaudés par l’affaire de la Brinvilliers, vont demeurer très vigilants et vont continuer de recueillir des renseignements.
Les faits
En septembre 1677, un billet anonyme faisant allusion à un complot ourdit contre le Roi Soleil, avec utilisation de « poudre blanche », est déposé dans un confessionnal de l’abbaye des Jésuites de la rue Saint-Antoine. La Reynie, toujours sur le qui-vive dans cette atmosphère paranoïaque, s’empare de l’enquête. Celle-ci s’oriente vers une détenue du Châtelet accusée d’avoir empoisonné son mari. Elle reçoit régulièrement la visite d’une certaine Marie Bosse qui n’est pas inconnue des enquêteurs, puisque Marie Bosse se vante d’empoisonner à l’instigation de femmes de l’aristocratie parisienne. Un piège lui est tendu, elle est confondue et emprisonnée. Soumise à la torture, elle fait de nombreuses révélations aux policiers et donne le nom de Catherine Deshayes, femme Monvoisin, dite la Voisin. Cette dernière était déjà soupçonnée de sorcellerie, elle est arrêtée le 12 mars 1679 ainsi que plusieurs de ses complices. Leur interrogatoire démontre rapidement que leurs pratiques dépassent le cadre divinatoire et les enquêteurs se retrouvent face à un véritable réseau d’empoisonneurs dans la capitale.
Le 7 avril, Louis XIV, fortement encouragé par Nicolas de la Reynie, établit une cour d’exception spécialement chargée d’instruire et de juger « une affaire de poisons », celle de la Voisin et de ses complices : la Chambre ardente est créée.
La Chambre ardente
La Chambre ardente se réunit à l’Arsenal, près de la Bastille. Elle est dotée de ce nom impressionnant car ses audiences se tiennent dans une pièce tendue de noir et éclairée par des flambeaux. Cette commission est composée d’une douzaine de magistrats de haut rang provenant du Parlement de Paris. Elle a pour président Louis Boucherat, futur chancelier, et pour rapporteurs Bazin de Bezons et La Reynie. Ses audiences sont secrètes et très solennelles.
L’instruction
L’instruction se concentre en premier lieu sur les rapports de police, les interrogatoires et les procès verbaux relatifs aux empoisonnements de la Voisin et de ses acolytes mais très tôt, il est question d’avortements, de magie, de maléfices, de sortilèges et autres messes noires… La Voisin, ses complices magiciens et ses consœurs en sorcellerie, avouent toutes sortes de crimes et délits avec leur lot d’exagérations, d’imprécisions, d’affabulations : nourrissons égorgés durant des messes noires et enterrés dans des jardins, vente de "poudre de succession", apparition de démons sur demande. La Reynie, sans esprit critique, enregistre tout.
Puis les inculpés se mettent à dénoncer leurs "clients" à tout va. Ainsi, du 10 avril 1679 au 21 juillet 1682, la Chambre ardente auditionne 442 accusés et ordonne 367 arrestations, dont 218 sont maintenues. Les inculpés citent des noms de personnages importants, pensant certainement se couvrir par leur protection ou que les magistrats étoufferaient l’affaire. Des grands personnages de la cour sont évoqués.
Cette affaire aux dimensions hors normes fait perdre le sens critique aux magistrats de la chambre dont certains manquent de prudence et suivent leur collègue La Reynie dans sa volonté de châtier de manière spectaculaire ces gens de qualité prétendument compromis. Ils ne remarquent pas que Louvois intervient en sous main, visitant des prisonniers, faisant des rapports personnels au roi et que la plupart des grands seigneurs ou grandes dames mis en cause sont des amis ou des protégés de Colbert. Le maréchal duc de Luxembourg, glorieux soldat mais aussi ennemi de Louvois et ami de Colbert, en fera les frais en étant accusé et embastillé à tort durant 14 mois.
Les sentences
Le roi suit de près le cas des principaux suspects, l’honneur de sa cour étant mis à mal. La plupart des accusations émanent des aveux de la Voisin et consorts, et les preuves tangibles manquent. La majorité des hauts personnages de la cour sont innocentés. Aux plus compromis, Louis le Grand conseille l’exil volontaire. Quant à la Voisin, elle est brûlée vive en place de grève le 22 février 1680 devant une foule hystérique.
Un rebondissement inattendu
Mais l’exécution de la Voisin ne marque pas la fin de l’affaire, bien au contraire. Sa fille, Marie-Marguerite Voisin, n’a plus à protéger sa mère et va donc trouver la Reynie pour lui parler de ce qu’elle sait en impliquant directement madame de Montespan, favorite de Louis XIV et mère de sept de ses enfants. La marquise aurait bel et bien commis l’imprudence de consulter la Voisin pour des horoscopes, des "philtres d’amour" ou autres sorts d’expression banale en ce temps mais Marie-Marguerite Voisin va s’acharner et apporter de nouvelles prétendues précisions sur de nouveaux crimes.
Dès les premiers bruits concernant la marquise de Montespan, le roi réagit en interdisant aux magistrats d’utiliser des registres pour les interrogatoires et leur enjoint de recourir aux feuilles volantes. Ces documents sont rassemblés dans une cassette scellée et conservée par Louis XIV. Peu après, il demandera à la Chambre ardente de ne plus s’occuper des affaires où le nom de madame de Montespan apparaît.
Épilogue
Les juges de la Chambre ardente ne s’accommodent pas des prescriptions royales. Alors Louis XIV décide de suspendre les travaux de la chambre le 21 juillet 1682 et disperse, par lettres de cachet, les derniers accusés dans différentes prisons royales du pays. Ils y resteront jusqu’à la fin de leurs jours. Marie-Marguerite Voisin, fille de la Voisin, et plusieurs autres empoisonneurs, auront donc échappé au bûcher en médisant sans mesure sur madame de Montespan. En tout, la Chambre ardente aura fait exécuter 34 personnes, envoyé cinq coupables aux galères et en aura condamné 23 autres au bannissement.
En juillet 1709, Louis XIV brûle lui-même l’entièreté des fiches accusatrices conservées dans sa cassette, refermant ainsi une affaire politico-judiciaire interminable partie des faubourgs parisiens et qui aura touché jusqu’à ses plus proches.