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Passation de pouvoirs entre Éric Dupond-Moretti et Didier Migaud

Publié le 23 septembre 2024

La cérémonie de passation de pouvoirs entre Éric Dupond-Moretti et Didier Migaud s’est déroulée le 23 septembre 2024 au ministère de la Justice, place Vendôme, à Paris. Retrouvez leurs discours en vidéo.

Passation de pouvoirs entre Éric Dupond-Moretti et Didier Migaud
Passation de pouvoirs entre Éric Dupond-Moretti et Didier Migaud

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Sur proposition du Premier ministre, le président de la République a nommé Didier Migaud garde des Sceaux, ministre de la Justice, le 21 septembre 2024.

La passation de pouvoirs entre Éric Dupond-Moretti et le nouveau ministre de la Justice a eu lieu le 23 septembre à l’hôtel de Bourvallais, le siège du ministère de la Justice, place Vendôme, à Paris.

Cérémonie de passation de pouvoirs entre Éric Dupond-Moretti et Didier Migaud

Cérémonie de passation de pouvoirs entre Éric Dupond-Moretti et Didier Migaud

Éric Dupond-Moretti

Monsieur le garde des Sceaux, ministre de la Justice, bienvenue à l'Hôtel de Bourvallais. J'ai travaillé ici plus de quatre ans, quatre ans alors que les Cassandres prédisaient quatre semaines. Et je laisse entre ces murs, comment le dire, beaucoup de moi : mes doutes, mes réflexions, mes convictions. Vous l'imaginez, c'est avec beaucoup d'émotion que je quitte mes fonctions, les gens qui m'entourent, et que, bien sûr, je vous transmets les sceaux de la République.

Le moment n'est pas venu pour moi de présenter mon bilan, mais permettez-moi cependant d'exprimer quelques fiertés et quelques regrets.

Les fiertés d'abord. Mon ambition n'a jamais été politique ; je ne suis pas venu ici pour faire carrière. J'avais une vie avant, j'aurai une vie après. Je n'ai jamais cherché à être un marqueur de gauche ou de droite, et pour moi tout cela, à vrai dire, n'a pas beaucoup de sens. Mon objectif a été d'améliorer la justice de mon pays, et je ne suis pas peu fier d'avoir donné aux 90 000 personnes qui travaillent au service de la justice des moyens inédits pour accomplir leur mission. Le budget du ministère était de 7,6 milliards d'euros en 2020 ; il avoisine les 10 milliards d'euros en 2024. En quatre ans, nous avons embauché plus de 680 magistrats, plus 560 greffiers, plus 3 000 contractuels, 300 personnels de la protection judiciaire de la jeunesse, et 4 000 personnels pénitentiaires. Tout cela s'est fait grâce à l'indéfectible soutien des Premiers ministres que j'ai eu l'honneur de servir : Jean Castex, Élisabeth Borne et Gabriel Attal. La justice est désormais sur la bonne voie et je suis optimiste pour son avenir. Mais pour cela, il est indispensable, Monsieur le garde des Sceaux, que la loi de programmation pour la justice, que j'ai portée et qui a été très largement votée par le Parlement en octobre dernier, soit respectée. Je le dis sans ambages, une trahison de cette loi serait un signal dévastateur adressé à tous ceux qui servent notre justice. Cette loi prévoit, vous le savez, une embauche de 1 500 magistrats supplémentaires, 1 800 greffiers, plus de 1 100 contractuels et la poursuite du plan de construction pénitentiaire. Ces moyens, nous les devons aux magistrats, aux greffiers, aux contractuels, aux personnels administratifs, aux surveillants pénitentiaires, aux éducateurs, qui chaque jour dédient leur vie professionnelle, et souvent personnelle, au service public de la justice. C'est évidemment à eux que je pense à cet instant. Et j'ai bon espoir, monsieur le garde des Sceaux, que votre rang protocolaire vous permettra de défendre efficacement cette loi.

Fierté encore d'avoir porté plus d'une soixantaine de textes au Parlement et je veux remercier les parlementaires présents aujourd'hui. Je veux citer pêle-mêle, et bien sûr de façon non exhaustive : la création des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales, en matière environnementale, la création du pôle haine en ligne, du pôle Cold case, le raccourcissement des délais d'enquêtes préliminaires, la confiscation des avoirs criminels, la criminalisation des relations sexuelles avec des mineurs de moins de 15 ans, le code de justice pénale des mineurs, la possibilité de changer de nom de famille, la suppression des remises automatiques de peine pour les conditionner à l'effort, et la mise en place d'un statut du détenu travailleur. Car un prisonnier qui travaille, vous le savez, c'est un prisonnier qui se réinsère et qui ne récidive pas. Et bien sûr, la constitutionnalisation de la liberté d'interrompre volontairement sa grossesse.

Fierté enfin d'avoir mis en place de nouveaux outils pour la justice, et en particulier pour la justice amiable, nouvelle procédure que nous sommes allés chercher à l'étranger et qui permet à nos concitoyens de se réapproprier leur procès et d'obtenir un jugement beaucoup plus rapidement. Les premiers résultats sont d'ores et déjà très encourageants.

Je veux, monsieur le garde des Sceaux, faire à cet instant une confidence : je me souhaitais, comme le chantait Serge Reggiani, « une mémoire allergique au regret ». Mais vous le savez, les choses ne sont pas ainsi faites. Je regrette de ne pas avoir eu le temps de porter devant le Parlement un grand texte sur la lutte contre le narcotrafic qui gangrène nos sociétés. Pour reprendre une formule d'ores et déjà consacrée, « vous trouverez le texte sur votre bureau ». Je regrette d'avoir été trop souvent seul à défendre la justice de notre pays, qui fait l'objet d'accusations injustes, souvent de la part de commentateurs voire — et c'est pire — de responsables politiques qui ne la connaissent pas, et qui ne connaissent pas davantage les règles qui la régissent : la présomption d'innocence, la charge de la preuve, la personnalisation de la peine, l'autorité de la chose jugée, l'indépendance bien sûr. Bref, des règles que notre société civilisée a mis des millénaires à élaborer. Ne pas respecter la justice, c'est ne pas respecter l'État de droit, qui nous protège tous. Je regrette qu'un nombre toujours plus conséquent de nos compatriotes reste persuadé que la justice est laxiste. Pourtant, nos prisons n'ont jamais été aussi pleines, et tous les chiffres démontrent que la justice n'a jamais été aussi sévère.

Ceux qui opposent police et justice se trompent lourdement. Et qu'il me soit permis de remercier Gérald Darmanin, car le couple police-justice a, durant ces quatre dernières années, parfaitement fonctionné. Depuis 2020, ma politique pénale a toujours été claire : elle se résume en trois mots : une réponse pénale ferme, une réponse pénale rapide, une réponse pénale systématique. En témoignent d'ailleurs les très nombreuses circulaires que j'ai prises. Ma philosophie est elle aussi très claire : fermeté sans démagogie, humanisme sans angélisme. Je veux m'adresser à nos compatriotes : ne cédez pas à la facilité des discours démagogiques qui veulent vous faire croire que la justice est responsable de tous les maux, et qu'il faudrait être soit du côté des victimes, soit du côté de l'État de droit. Mais dans cette époque où toutes les paroles se valent, la nuance a disparu. Gabriel et Michel Barnier ont évoqué leur mémoire, je voudrais évoquer la mienne, qui m'a appris, selon un proverbe italien, éloge de la nuance : « … ». Il faut du vent dans les églises, mais pas au point d'éteindre les bougies.

Je veux ici et maintenant avoir une pensée pour les familles des deux agents pénitentiaires lâchement exécutés, et pour leurs collègues blessés dans l'exercice de leurs fonctions lors de l'attaque du péage d’Incarville, et pour toute la grande famille pénitentiaire, que j'ai toujours soutenue. J'ai été fier d'être votre ministre ; je crois vous avoir donné la juste place qui doit être la vôtre, en revalorisant votre profession. Je formule là encore le souhait que la trajectoire que j'ai dessinée ne s'inverse pas.

Comment ne pas avoir une pensée pour les justiciables, et en premier lieu pour les victimes, qui considèrent souvent que l'artisan de leur malheur n'a pas été suffisamment condamné. Comment pourrait-il en être autrement ? Tout le monde devrait se rappeler que la justice, c'est d'abord la confiscation de la vengeance au profit d'une institution étatique qui respecte des règles de droit. Ce que nous pouvons faire, ce que nous devons faire, c'est améliorer l'accueil des victimes, être le plus humain possible, raccourcir les délais de jugement. Beaucoup de choses ont été faites, beaucoup de choses restent à faire. Je pense aussi aux citoyens injustement mis en cause, qui vivent des moments difficiles et des heures sombres. La vie médiatique et la rumeur publique font rapidement des coupables, alors que la justice doit prendre le temps nécessaire à la manifestation de la vérité. Je sais d'expérience, et chacun me comprendra, la souffrance que représente, dans l'attente, la mise en cause de l'honneur et de la probité. Cela aussi, il faut l'avoir à l'esprit.

Enfin, je veux remercier ceux qui m'ont entouré durant ces 4 années. Je pense d'abord aux travailleurs de l'ombre, ces femmes et ces hommes dont on ne parle jamais, premiers levés, derniers couchés, sans qui le ministère ne pourrait pas fonctionner. Je remercie aussi bien sûr la secrétaire générale, les directeurs, sous-directeurs, les membres de l'administration centrale. Je pense bien sûr aux membres de mon cabinet ; ils n'ont pas compté leurs heures, ils ont fait beaucoup de sacrifices pour travailler au service de la justice de ce pays. Je pense aussi à ma famille, à ma mère, à ma compagne, qui a accepté que nous mettions notre vie personnelle entre parenthèses, à mes enfants. Ces 4 années au ministère de la Justice me marqueront bien évidemment à jamais et je veux sincèrement remercier le président de la République de la confiance qu'il m'a faite en me nommant à ce poste. Je souhaite lui rendre un hommage appuyé. Aucun président avant lui n'avait accordé à la justice une attention comme celle qu'il lui a accordée. Grâce à lui, nous avons commencé le rattrapage de plus de 30 ans d'abandon politique, humain, et budgétaire. Monsieur le garde des Sceaux, le 7 juillet 2020, je disais devant ma prédécesseure que la parole était à présent aux actes. Ces actes appartiennent désormais à l'histoire de notre ministère, que je quitte le cœur serré et conscient de l'immense honneur qui m'a été fait de pouvoir servir la République. Je veux sincèrement, monsieur le garde des Sceaux, ministre de la Justice, vous souhaiter tous mes vœux de plein succès.

[Applaudissements]

Voilà les sceaux. C’est lourd.

[Applaudissements]

Didier Migaud

Monsieur le ministre, cher Éric Dupond-Moretti, qui aurait dit que nous nous retrouverions là, vous et moi, en ce 23 septembre 2024, à nous passer le relais des fonctions de garde des Sceaux sur le perron de cet hôtel de Bourvallais ? Les circonstances politiques, qui sont parfois taquines, en ont décidé ainsi. Je suis heureux, en tout cas, de vous succéder dans ces fonctions éminentes, et j'en profite pour saluer votre travail au cours de vos plus de 4 années à la tête de ce ministère.

J'ai entendu tout ce que vous avez présenté à travers l'action que vous avez conduite depuis 4 ans. Je ne sais si je disposerai d'autant de temps. Je sais que le temps peut m'être compté. J'essaierai d'agir, et je voudrais vous dire que je comprends tout à fait l'émotion qui est la vôtre. Être ministre de la Justice, être garde des Sceaux, est un grand honneur dans la République, et je comprends tout à fait l'émotion qui peut être la vôtre aujourd'hui en quittant ce ministère. Vous y avez notamment obtenu une augmentation très sensible des moyens, et je mesure tout le travail qui a été effectué par vous et vos équipes, et je vous en sais gré, moi qui vais désormais prendre votre suite. Je pense aussi naturellement à tous les grands noms qui nous ont précédés dans la défense et la protection des libertés : Robert Schuman, François Mitterrand, Michel Debré sous la 4e République, Robert Badinter bien sûr au plus près de nous, et puis Christiane Taubira, Nicole Belloubet. C'est un immense honneur pour moi que de leur succéder aussi, tant ces personnalités ont porté haut tout au long de leur vie les valeurs de la République.

Je pense évidemment à ma famille, à mon épouse, à mes enfants qui sont ici présents, à mes deux parents aujourd'hui décédés, à mon père, notaire, et à ma mère, disparue cet été, qui aurait ressenti, comme votre maman un immense sentiment de fierté à être présente aujourd'hui, et à tous ceux qui m'entourent. J'ai une pensée également pour Louis Mermaz, lui aussi parti récemment, qui n'a jamais été ministre de la Justice mais qui comptait parmi les hommes d'État qui m'ont, vous le savez peut-être, accompagné et formé. Je mesure la chance d'être devant vous aujourd'hui, mais aussi la difficulté de la tâche qui m'incombe dans une période éminemment troublée, tant sur le plan politique que budgétaire.

Le défi principal auquel j'entends m'atteler, et je pense que mes expériences passées comme élu local, national, comme premier président de la Cour des comptes, comme président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique vont m'y aider, je l'espère, c'est de renforcer, vous l'avez évoqué, la confiance des citoyens dans l'institution judiciaire. Car la défiance dans nos institutions est un mal injuste mais réel, qui ronge le vivre-ensemble, ne reconnaît pas les efforts accomplis et nie l'intérêt général, alors que celui-ci devrait primer par-dessus tout. Accroître cette confiance ne se fera pas seul, et à tout le moins pas sans l'institution judiciaire elle-même et la communauté qui la fait vivre.

Vous l'avez rappelé : magistrats, greffiers, agents pénitentiaires, agents d'insertion et de probation, agents de la protection judiciaire de la jeunesse, agents administratifs, professions juridiques et judiciaires, mais aussi les associations qui œuvrent à nos côtés, les chercheurs et universitaires qui réfléchissent à améliorer notre justice, et toutes les bonnes volontés seront les bienvenues. Ces forces vives, à l'intérieur comme à l'extérieur du ministère, sont les moteurs de cette confiance et du changement qu'elle peut rendre possible. J'y veillerai, en tout cas, et vous pouvez tous et toutes compter sur mon engagement.

Je souhaite que nous puissions ouvrir les méthodes, mieux travailler, mieux gérer. Ce n'est pas seulement une question de moyens, même si les moyens, bien sûr, sont essentiels, j'y reviendrai. Et je le dis à l'heure où la situation des comptes publics impose vraisemblablement à notre pays des efforts collectifs. C'est une question de volonté et d'adhésion collective à un projet de transformation qui nous rendra plus efficaces et plus fiers. Un projet qui permettra de clarifier pour tous la politique judiciaire nationale, de la rendre plus lisible et, mot qui m'est cher, je vous laisse deviner pourquoi, plus transparente, même si je peux connaître parfois vos réserves vis-à-vis de cette transparence.

J'ai, comme vous le savez, une longue carrière politique derrière moi avant que je ne devienne magistrat financier en janvier 2010, mais j'arrive ici avec un regard neuf sur la justice, même si, du temps où je présidais la Cour des comptes, j'ai pu présenter un certain nombre de rapports touchant à l'institution judiciaire. Je compte ouvrir, comme vous l'avez fait aussi, de larges consultations, rencontrer tout le monde : conférences, organisations syndicales et représentants des professions, mais aussi, directement sur le terrain, magistrats, agents et professionnels qui connaissent les défis, grands et petits, auxquels notre justice doit répondre au quotidien. J'affronterai, comme je l'ai toujours fait, je crois, les situations qui posent problème. Vous en avez évoqué bien sûr quelques-unes : je pense à l'administration pénitentiaire, en souffrance depuis tant d'années, ou à la protection judiciaire de la jeunesse. Mais je sais qu'il y a aussi beaucoup d'autres défis. Mon objectif est de contribuer à créer du consensus dans une institution éminente qui a pu en manquer parfois. Je pense que vous ne me contredirez pas, monsieur le ministre, sur la nécessité de faire progresser la justice, pour la rendre plus proche des citoyens, plus juste, plus rapide. La question des délais est effectivement un enjeu essentiel, et ce n'est pas à vous que j'apprendrai l'importance cruciale de la justice rendue, je le rappelle, au nom du peuple français pour le bon fonctionnement d'une démocratie, et cela mérite bien de dépasser quelques clivages.

La justice est, pour moi, une priorité. On peut être partisan d'une maîtrise budgétaire sans remettre en cause les priorités. Justement, c'est peut-être parce qu'on maîtrise la dépense budgétaire qu'on peut dégager des priorités, et en ce qui me concerne, la justice est une priorité. Je ne veux pas être plus long, car ce n'est ni le lieu ni le moment.

Je vous souhaite, monsieur le ministre, cher Éric Dupond-Moretti, de réussir votre vie après le ministère de la Justice, et je suis plutôt confiant sur ce point, vous connaissant un peu. Mais je nous souhaite plus encore, pour nous tous et toutes qui formons la galaxie judiciaire, c'est de réussir, dans la concorde et la sérénité, les immenses défis auxquels notre institution et notre société sont déjà et vont être confrontées. C'est le seul objectif qui m'importe et qui justifie ma présence aujourd'hui à cette place au sein de ce gouvernement. Je vous remercie. Et puis, vous l'avez dit vous-même : au travail et aux actes.

[Applaudissements]

« Le défi principal auquel j’entends m’atteler, c’est de renforcer la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire. Car la défiance dans nos institutions est un mal qui ronge le vivre ensemble et nie l’intérêt général, alors que celui-ci devrait primer par-dessus tout. »

Didier Migaud, garde des Sceaux

Didier Migaud, garde des Sceaux, ministre de la Justice

« Je veux m’adresser à nos compatriotes : ne cédez pas à la facilité des discours démagogiques qui veulent vous faire croire que la justice est responsable de tous les maux et qu’il faudrait être soit du côté des victimes, soit du côté de l’État de droit. »

Éric Dupond-Moretti, ancien garde des Sceaux