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Présentation du projet de loi de moralisation de la vie publique

Publié le 15 juin 2017

Le garde des Sceaux François Bayrou en détaille dans une interview au Monde les principales dispositions

François Bayrou ©DICOM/MJ

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Après la présentation en Conseil des ministres de son projet de loi « pour la confiance dans notre vie démocratique », François Bayrou, ministre d’État, garde des Sceaux, ministre de la Justice revient dans le journal Le Monde daté du 15 juin 2017 sur les principaux points du texte sur la moralisation de la vie publique. Et, il évoque le projet de loi antiterroriste. Extraits de l'interview.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Jacquin et Cédric Pietralunga

[…]

Ce projet de loi s’inscrit dans la continuité des réformes de 2013 et 2016 qui ont créé le Parquet national financier et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. En quoi est-ce radicalement nouveau ?

Des questions qui étaient pendantes depuis des décennies vont trouver une réponse décisive ! Exemple, à l’automne viendra le texte constitutionnel sur la suppression de la Cour de justice de la République. C’était une anomalie démocratique incroyable qu’un ministre soit jugé par ses « pairs » parlementaires, tandis que les collaborateurs qui étaient sous ses ordres sont traduits devant des cours ordinaires. Le fait de trancher crée une situation nouvelle.

Il en est de même pour les emplois familiaux, qui créaient un mélange des genres préjudiciable. Idem pour la limitation des mandats dans le temps. L’obligation de justifier de ses frais de mandat met seulement les parlementaires au niveau des salariés ou cadres d’entreprise pour qui c’est une obligation de présenter leurs notes de frais. Ainsi, des pratiques ou des facilités d’un autre âge vont trouver des règles qui permettront le retour de la confiance.

Pour éviter les conflits d’intérêts, vous instaurez un registre des déports pour les parlementaires, inspiré du Parlement européen. Mais un député représente la nation, pas une profession…

Cette obligation n’a rien à voir avec la profession. Un député médecin pourra toujours intervenir sur notre système de santé, ou un agriculteur sur une loi agricole. Mais si vous avez des intérêts dans une entreprise, ou si vous êtes le conseiller rémunéré d’une branche d’activité, vous ne pourrez ni porter un texte ni participer au vote. Ce qu’il faut éviter, c’est le risque de lobbyistes clandestins parmi les élus.

Donc quelqu’un qui conseille une mutuelle ne pourra pas porter une proposition de loi sur ce secteur ?

Je ne parle pas par allusion. Chaque assemblée sous l’autorité de son comité de déontologie veillera à empêcher les conflits d’intérêts.

Cela ne risque-t-il pas d’entretenir cette idée d’arrangements dans un entre-soi ?

Je respecte la séparation des pouvoirs et donc le droit de l’Assemblée et du Sénat de s’organiser pour faire respecter les principes définis. Mais nous aurons un débat parlementaire et le texte a vocation à être enrichi. Pourquoi ne pas travailler sur les attachés parlementaires, aujourd’hui injustement ciblés ? Ils le vivent mal, à juste titre, et la discussion de ce texte pourra peut-être faire avancer leur situation.

Le Conseil d’Etat critique certaines de vos propositions sur le financement des partis, en particulier votre projet de « banque de la démocratie ». Que comptez-vous faire ?

Le Conseil d’Etat souhaite seulement une étude d’impact plus détaillée. Je défendrai bien entendu cette idée novatrice, ouverte et qui constituera pour notre vie démocratique un immense progrès. Je trouve humiliant et sur le fond inacceptable que des banques privées aient droit de vie et de mort sur des mouvements politiques ou des campagnes.

Et la séparation des fonctions d’ordonnateur et de payeur au sein des grands partis ?

Mon idée de départ allait encore plus loin : elle était de placer les partis politiques recevant de l’argent public dans une situation comparable à celle des collectivités locales, libres de leurs choix budgétaires et de leurs dépenses, mais dotées obligatoirement d’un payeur public. Je suis sûr qu’on n’aurait pas osé présenter les « factures » de Bygmalion [affaire de surfacturations de prestations pour le compte de l’UMP lors de la présidentielle de 2012] à un payeur public. Un certain nombre d’administrations ont été en désaccord.

A ce stade, le Conseil d’Etat souligne à juste titre que la séparation ordonnateur-payeur entre en conflit avec la liberté constitutionnelle d’organisation des partis politiques. Peut-être reprendrons-nous cette réflexion pendant les débats, de même que le contrôle que je souhaitais par la Cour des comptes, parce que je suis sûr que l’intervention pour certifier les comptes des partis d’un magistrat de la Cour serait une garantie pour le citoyen.

Les progrès de la France en matière de dispositifs anticorruption, salués par les organismes internationaux, sont contrebalancés par des critiques sur l’indépendance de la justice. Que comptez-vous faire ?

Conformément aux engagements du président de la République, nous sommes décidés à ouvrir le chapitre de l’indépendance du parquet. Un texte a été adopté par les deux Assemblées sous la dernière législature : c’est un point de départ, même si je crois qu’on peut aller plus loin.

Si j’ai accepté cette responsabilité au gouvernement, c’est parce que je crois que l’on doit faire des choses essentielles, et les faire vite. C’est le cas du statut des parquets. C’est le cas de la loi de programmation sur les moyens de fonctionnement de la justice. C’est le cas de l’immense question des prisons. Nous ne pouvons pas nous accommoder de la situation actuelle et du temps qui passe, où discussions et procédures s’enlisent sans fin, sans que jamais rien ne change.

Sur ces sujets, au cœur de votre mission de ministre de la justice, quelles sont vos orientations ?

J’en discuterai avec les intéressés, magistrats, fonctionnaires, responsables budgétaires, et au sein du gouvernement avant toute communication publique.

Quant au projet de loi antiterroriste censé permettre de sortir de l’état d’urgence, comment accepter que de telles mesures issues de l’état d’urgence échappent au contrôle de l’autorité judiciaire ?

Je propose que l’on juge du texte lorsqu’il sera définitivement établi. Il faut bien comprendre la détermination du gouvernement. L’état d’urgence est un état d’exception qui suspend certaines garanties apportées au citoyen dans tous les domaines. C’est donc une obligation d’en sortir, mais certainement pas en désarmant notre Etat face au terrorisme. Il y a des procédures qu’il faudra pouvoir utiliser dans le droit commun, dès lors que la garantie sera apportée qu’elles sont absolument circonscrites au terrorisme, à l’existence d’une menace grave et urgente, à la fréquentation de réseaux, et sous le contrôle d’un juge.

Mais le projet gouvernemental exclut le juge judiciaire et confie ce sujet au juge administratif…

Les mesures de prévention relèvent naturellement du juge administratif, les mesures de privation de liberté, du juge judiciaire. Je ne doute pas que le texte que portera le ministre de l’intérieur respectera ces principes et il aura mon soutien. L’avis rendu par le Conseil d’Etat sera étudié par le gouvernement, qui arrêtera ensuite sa décision définitive. C’est même le rôle précis du Conseil d’Etat.

La philosophie de ce texte revient à appliquer des mesures d’exception à une certaine catégorie de la population, car la notion de terrorisme est floue et large.

Elle n’est pas floue pour les victimes, pour les trois jeunes Français encore tués à Londres et les dizaines de victimes que nous avons pleurés. Je connais et j’apprécie les réflexions principielles. Mais je me sens bien davantage responsable face aux victimes et aux victimes potentielles, comme le ministre de l’intérieur, comme le premier ministre et le gouvernement autour du président de la République se sentent responsables. Prendre les mesures les plus efficaces en cas de menace terroriste identifiée n’est pas selon moi une option théorique, mais un devoir.

Comptez-vous créer, comme le préconisent certains proches d’Emmanuel Macron, un parquet national antiterroriste ?

De fait, il existe ! La section antiterroriste du parquet de Paris est un parquet antiterroriste. Soutenons-le, au lieu d’entamer un bouleversement supplémentaire.

[…]

Lire l'intégralité de l'interview du garde des Sceaux sur le site du Monde

http://abonnes.lemonde.fr/gouvernement-philippe/article/2017/06/14/francois-bayrou-les-moments-que-nous-vivons-seront-dans-les-livres-d-histoire_5144071_5129180.html