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Le procès de Jeanne d'Arc

Publié le 06 juillet 2012 - Mis à jour le 10 juillet 2024

"Je sais que mon roi gagnera le royaume de France, je le sais aussi bien que vous êtes devant moi, siégeant au tribunal" - Jeanne d'Arc

Le procès de Jeanne d'Arc - Sources : WikiMedia Commons

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« La pucelle ne voulait croire conseil, ainst faisoit tout à son plaisir » : ainsi s’exprimait Regnault de Chartes, chancelier de Charles VII, roi de France, dans sa lettre aux habitants de Reims pour les informer de la capture de Jeanne d’Arc par les Bourguignons, le 23 mai 1430, lors du siège de Compiègne.

Le contexte historique

Le traité de Troyes

En ce début du XVe siècle, la guerre civile sévit dans le royaume de France entre les Bourguignons et les Armagnacs. Philippe le Bon, chef des Bourguignons est maître en Flandres, Bourgogne et Artois. En 1419, les Bourguignons s’allient aux Anglais qui ont envahi la Normandie et profitent des querelles internes.

La France au XVe siècle - Disponible sur Wikicommons

Charles VI, roi de France, est atteint de troubles nerveux. Le conseil de régence a pris le pouvoir en la personne de son épouse, la reine Isabeau de Bavière qui s'allie aux Bourguignons. Sous leur pression, en 1420, Charles VI signe le traité de Troyes qui stipule que la France rentrera dans l’héritage anglais à sa mort.

Par cette clause, Charles VI et Isabeau de Bavière déshéritent leur propre fils, Charles de Ponthieu. Mais les deux rois de France et d’Angleterre meurent la même année, en 1422, laissant cette succession mal résolue. Elle est à l'origine de la reprise de la guerre de Cent ans avec les Anglais qui revendiquent la terre de France, avec le soutien des Bourguignons.

Charles de Ponthieu est cependant reconnu comme dauphin de France par les Armagnacs, ennemis des Bourguignons. Depuis les terres du Centre et de la Loire où il s’est retiré, Charles et ses alliés partent à la reconquête des villes occupées par les Anglais.

Jeanne d’Arc : le parcours d’une comète

Jeanne d’Arc naît en 1412. Paysanne de Domrémy, elle grandit dans cette France déchirée par la guerre civile et les combats opposant le dauphin Charles (futur Charles VII) aux Anglais et aux Bourguignons.

Encouragée par ses célèbres visions, bravant les difficultés, c’est en 1428 que Jeanne d’Arc se rend à Chinon pour y rencontrer le dauphin Charles de Ponthieu. Elle le persuade de se rendre à Reims pour y être sacré roi de France.

Jeanne a foi en la reconquête française et galvanise l’armée rapidement victorieuse contre les Anglais en 1429, à Orléans, Patay, Troyes, etc.

Le dauphin est couronné roi de France à Reims, le 17 juillet 1429, et prend le nom de Charles VII.

Douée d’un incroyable talent de chef de guerre reconnu par tous, acclamée avec enthousiasme par les populations, Jeanne d’Arc est cependant peu rompue aux usages de la cour et de la diplomatie. Aussi se fait-elle beaucoup d’ennemis parmi l’entourage du jeune roi Charles VII.

Jeanne dérange les conseillers influents du roi Charles VII comme Regnault de Chartres, chancelier du roi et archevêque de Reims ainsi que Georges de La Trémoille, ambassadeur des Bourguignons.

Ces conseillers sont partisans d’une trêve avec les Anglais et avec Philippe le Bon, chef des Bourguignons. Leur point de vue finit par l’emporter auprès du roi et, à peine trois mois après le sacre de Reims, des ambassades s’organisent fin 1429. Jeanne, opposée à ce projet, est mise à l’écart. Plus encore, persistant à vouloir « bouter l’Anglois » hors de France, elle prend des initiatives militaires peu appréciées. Distance et silence s’installent entre la cour de France et Jeanne.

En outre, certains capitaines n’avaient rendu qu’une allégeance de circonstance à Jeanne d’Arc que le Conseil du roi leur avait imposée comme chef de guerre. Aussi, chefs militaires français et bourguignons ne tardent-ils pas à s’entendre pour se débarrasser de Jeanne.

La capture

Ville-forteresse remarquable, Compiègne est un point stratégique sur le chemin de Paris. Aussi Jeanne s’y précipite-t-elle dès que lui parvient la nouvelle de l’arrivée des troupes anglaises. Mais Compiègne est un piège.

Le soir du 23 mai 1430, sur les conseils du capitaine de Compiègne, Guillaume de Flavy, Jeanne sort des murs de Compiègne pour une inspection, revêtue de sa lourde armure. Curieusement, dès qu’elle est hors les murs, les cloches de la ville se mettent à sonner à toute volée. À ce signal, les Bourguignons prêts et armés se ruent sur Jeanne et ses compagnons sans que personne ne vienne à leur secours. Rapidement, Jeanne est faite prisonnière et emmenée à Margy.

Les Bourguignons envoient aussitôt des messages portant l’heureuse nouvelle de la capture de Jeanne vers leurs partisans et alliés anglais. Les archives nous livrent aujourd’hui quelques-uns de ces courriers. Ils révèlent l’importance extrême de la prisonnière.

L’emprisonnement

Durant de longs mois, nombre de courriers diplomatiques sont échangés entre, d’une part, Philippe le Bon, chef des Bourguignons qui tient Jeanne, d’autre part, les Anglais et l’Université de Paris, qui la veulent pour la juger. Quant à la cour de France et à Charles VII, il semble qu’ils se soient peu investis pour récupérer leur championne.

Enfermée au château de Beaurevoir, Jeanne essaie de s’échapper plusieurs fois, sans succès. Finalement, elle est vendue aux Anglais par les Bourguignons.

Prisonnière quelques temps au Crotoy, elle est amenée et emprisonnée au château de Rouen où se tient la gouvernance anglaise.

Prise de guerre, Jeanne aurait pu être échangée contre une rançon. Mais derrière Jeanne se trouve une couronne, celle de Charles VII qu’elle a conduit à Reims… Et, pour les Anglais, faire de cette paysanne une sorcière, c’est ternir avantageusement la couronne de France et celui qui la porte.

Le procès (de janvier à mai 1431)

Les archives nous livrent aujourd’hui une copie du procès, le « manuscrit d’Urfé » et trois copies des procès verbaux.

L'instruction du procès

Le procès de Jeanne d’Arc s’ouvre le 9 janvier 1431 devant une assemblée de religieux et de théologiens. Dans un premier temps, ceux-ci s’interrogent avec une grande prudence sur la conduite à suivre. Les enquêtes sont présentées, on prévoit d’en faire d’autres.

Outre Pierre Cauchon qui préside le procès, on trouve maître Jean d’Estinet, nommé procureur général, Jean de la Fontaine, conseiller commissaire instructeur. On trouve aussi des greffiers comme Bois Guillaume et Manchon. Maître Jean Massieu est l’exécuteur des exploits et des convocations.

Au total, environ 120 personnes vont participer à ce procès.

Le 19 février 1431, le ministère de l’Inquisition est invoqué. Le grand inquisiteur est en déplacement, c’est son vicaire et vice-inquisiteur, frère Jean Lemaître qui le remplace.

Suite à la lecture des articles et des dépositions des témoins, les conseillers décident qu’il y a « matière suffisante pour faire livrer la prévenue en cause de foi ».

Le procès préparatoire aux interrogatoires

Le 21 février, la séance est ouverte dans la chapelle royale du château de Rouen où Jeanne est citée à comparaître. Sa prestation de serment pose problème à ses juges.

Ces « étrangetés » vont servir à asseoir l’accusation d’hérésie et de sorcellerie constamment dans l’esprit des théologiens comme on le constate dans leurs questions :

12e séance, jeudi 1er mars 1431 :

Inquisition : « Que dites-vous touchant notre seigneur le pape et qui croyez-vous vrai pape ? »

Jeanne : « Il y en a donc deux ? »(…)

Inquisition : « Qu’avez-vous fait de votre mandragore ? »

Jeanne : « Je n’ai ni oncques n’eus de mandragore… »

Juger la sorcellerie au XVe siècle

Jeanne affirme que les révélations qui lui viennent de ses visions ne sont réservées qu’à son roi et qu’elle ne pourra donc répondre aux questions qui les concernent :

« …Mais quant aux révélations qui me viennent de Dieu, je n’en ai onques rien dit ni révélé à personne, sinon à Charles mon roi… »

Jeanne maintiendra jusqu’au bout cette restriction sur sa prestation de serment.

Pendant plusieurs semaines, elle est interrogée sur sa vie avant et après son départ de son village natal de Domrémy. Paysanne sans éducation ni savoirs, Jeanne fait face comme elle le peut à ses juges, sans se recouper, avec assurance, voire audace. Surtout, Jeanne ne veut ni renoncer à ses vêtements d’homme, ni réfuter ses visions.

Aux tribunaux ecclésiastiques de procédure accusatoire et administrés par les évêques, l’Eglise adjoint, au XIIIe siècle, l’inquisition qui donne au juge l'initiative de la poursuite et durcit ainsi le ton contre les hérétiques en augmentation depuis le XIe siècle. De plus en plus marginalisés par les populations et poursuivis par l’Eglise, guérisseurs et sorciers sont eux aussi confiés à l’inquisition.

En 1326, le pape Jean XXII rédige une bulle qui assimile les sorciers à des hérétiques.

À l’époque de Jeanne, les faits de sorcellerie et d’hérésie dont on la soupçonne sont donc liés, ils sont du domaine de compétence du grand inquisiteur de France et de l’évêque du lieu du délit.

Maître Jean Graverent est sollicité dans l’affaire Jeanne d’Arc : grand inquisiteur de France, délégué permanent du Saint-Siège, il est installé à l’Université de Paris. Corporation de juristes et de théologiens célèbres, l’Université de Paris aime à se distinguer de l’Eglise romaine par des prises de position. Elle a pris le parti des Anglais et leur offre le procès d’inquisition en sorcellerie.

Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, juridiction dont dépend Compiègne où Jeanne a été arrêtée, préside le procès devant un tribunal ecclésiastique. Jeanne étant prisonnière à Rouen, il obtient du chapitre de cette ville le droit d’y instruire le procès.

Le procès ordinaire

Réquisitoire et actes d’accusation

Le 27 mars, le procès ordinaire commence par le réquisitoire de Jean d’Estivet qui remet l’acte d’accusation au tribunal. La requête est mise en délibération. Jeanne est présente, elle refuse le conseil que lui propose l’évêque Cauchon pour se défendre.

Enfin, les 27 et 28 mars, les actes d’accusation sont lus par maître Thomas de Courcelles qui requiert que « ladite Jeanne soit déclarée et prononcée sorcière et sortilège, devineresse (…) hérétique (…) schismatique (…) elle soit punie et corrigée ».

D’innocentes fêtes de Domrémy deviennent des incantations maléfiques. L’habitude de Jeanne de porter un « habit d’homme », « abandonnant sans vergogne toute décence », est dénoncée avec conviction par ses juges…

Les réponses de Jeanne d’Arc ont été déformées pour construire l’accusation.

Attentive à la lecture des actes, Jeanne nie et renvoie à chaque fois à ses réponses originales.

Rédaction des articles et délibération

Douze articles servent de base à la condamnation. Ils ne seront pas transmis à l’accusée. Des ajouts et des manquements seront détectés lors du procès en réhabilitation, quelques années plus tard, en comparant les articles du procès avec les pièces conservées par un greffier.

Dans la délibération du 12 avril (44e séance), basée sur ces articles, les visions de Jeanne sont décrites comme « des fictions d’invention humaine en procédant du malin esprit ». Jeanne est également présentée comme une hérétique et une schismatique, accusée de blasphèmes et de « divinations superstitieuses ». En conclusion, « (…) la prévenue doit être abandonnée au bras séculier pour expier son crime (…) ».

La condamnation de l’Université de Paris

Le 19 avril, Jean Beaupère, Jacques de Touraine et Nicolas Midi quittent Rouen pour Paris afin de soumettre les 12 articles à l’Université de Paris. La réponse de l’Université revient à Rouen un mois plus tard. Elle est lue le 19 mai dans la chapelle du Palais épiscopal. Les conclusions rejoignent celles énoncées précédemment en matière de sorcellerie et d’hérésie.

Jeanne est assignée le lendemain pour la lecture de sa sentence.

Les admonitions du procès de Jeanne d'Arc

Plusieurs admonitions ou renonciations publiques sont imposées à Jeanne d’Arc au cours de son procès : il s’agit pour les docteurs et théologiens de la persuader du caractère imaginaire de ses visions et de la faire revenir sur ses « dires défectueux ».

C’est peine perdue. Pour Jeanne, maintenir la véracité de ses visions, c’est servir Dieu. Pour les théologiens, c’est désobéir à l’Eglise.

« Je ray bien que l’Eglise militante ne peut errer ou faiblir ; mais quant à me dis et à mes faits, je les meicts et rapporte du tout à Dieu qui me a fait faire de ce que ay fait » (admonition de Jeanne du 2 mai 1430).

Jeanne ira même jusqu'à déclarer que « …si elle estoit dedans le feu, si n’en dyroit-elle autre chose… » (admonition de Jeanne du 23 mai 1430).

La renonciation de Saint-Ouen

Cette abjuration, destinée à lui faire renier ses visions, se tient le lendemain au cimetière de Saint-Ouen, en plein air. Mais c'est en réalité une simple soumission. Jeanne a probablement simplement accepté de reconnaître l’autorité de l’Eglise et de reprendre les vêtements féminins en échange de sa vie.

En effet, des éléments troublants survenus durant cette journée sont venus jusqu’à nous grâce à des témoignages : des désordres sont relatés après la signature de Jeanne, l’évêque Cauchon est pris à partie et accusé de complaisance par les religieux anglais, la foule crie à la tromperie… De plus, la soi-disant pièce d'abjuration rapportée au procès n’est pas la pièce que maître Guillaume Erard fit signer à Jeanne en public. Grâce à cette mascarade, Jeanne échappe toutefois au bourreau qui était prêt à l’emmener. Elle est reconduite à la prison anglaise.

La condamnation

Le répit est de courte de durée. De retour dans sa prison anglaise, Jeanne s’habille de nouveau en homme. Là aussi, les circonstances de ce revirement sont suspectes. On sait aujourd’hui que les Anglais ont infligé sévices et violences à Jeanne et lui ont ôté et subtilisé ses vêtements féminins. Greffiers et clercs appelés pour constater le revirement vestimentaire sont empêchés de pénétrer dans la prison. Ils sont molestés et menacés par les Anglais.

Pour s’être ainsi de nouveau vêtue, Jeanne est déclarée relapse (retombant dans ses erreurs passées). Le 28 mai, un second jugement lui sera fatal. Interrogée sur ses visions, Jeanne campe sur ses positions habituelles et ne reconnaît pas son abjuration du 24 mai :

« Dit qu’elle n’a point dit ou entend révoquer ses apparicions… »…

« …et que ce qui estoit en la cédule de l’abjuracion, elle ne l’entendait point ».

Jeanne meurt sur le bûcher le 30 mai 1431.

Le frère Ladvenu qui l’accompagna jusqu’au supplice se souvint que « jusqu’à sa dernière heure, comme toujours, Jeanne affirma et maintint que ses voix étaient de Dieu… ».

En 1456, la parole libérée de nombreux témoins éclaira d’un autre jour le procès de Jeanne qui, toute jeune encore, mourut sans avoir renié ni ses visions célestes, ni son roi, Charles VII dit « le bien servi ».

C’est en effet vers la fin de son long règne et après le départ des Anglais que, pour Jeanne, Charles VII demanda un procès en réhabilitation.

En savoir plus

  • "Jehanne nommée d'Arc née et morte sous Y", J.Y. Laurent-Lefèvre, collection Vérité, édition Die
  • "Le Procès de Jeanne d'Arc', traduction R.P. Dom H. Leclerc, édition ESR