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Le procès de Jeanne du Barry

Publié le 30 juillet 2012

Série « les grands procès de l’histoire » publication n°4

Le procès de Jeanne du Barry - images disponible sur Wikicommons

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 « Je suis bien sûre que nous ne serons pas toujours pauvre ; et si je puis devenir riche, vous le serez aussi »(2) écrivait Jeanne Bécu à sa mère, en 1759. Jeanne va se battre toute sa vie pour s'élever dans ce XVIIIe siècle encore monarchique. Devenue comtesse du Barry, c'est pour garder le reste des splendeurs qui illuminèrent sa vie de favorite royale que, en pleine Révolution française, Jeanne préféra sacrifier sa sécurité.

« Elle parla fort bien, et l'on ne se serait pas douté de ce qu'elle avait été d'abord (1). »

- Sommaire -


CONTEXTE

Portrait de Jeanne du Barry (vers 1770) par François-Hubert Drouais - Disponible sur Wikicommons

La « Presque Reine »(3)

Née le 19 août 1743, à Vaucouleurs, en Lorraine, des amours d’une couturière, Jeanne Bécu est de basse extraction.

L’excellente éducation qu’elle reçoit toutefois lui permet de devenir modiste à Paris, rue Saint-Honoré. Elle fréquente les salons et collectionne les galants de la bonne société.

En 1768, elle a ainsi l’opportunité d’être présentée au roi Louis XV, veuf de 58 ans. Malgré les médisances, Louis XV l’impose comme sa favorite à la cour de Versailles : « (…) Elle est très jolie, elle me plaît, cela devrait suffire (…) »(4).

Jeanne obtient le titre de comtesse du Barry.

Portrait de Louis XV (1774) par Armand-Vincent de Montpetit - Disponible sur Wikicommons

Maîtresse choyée d’un roi taciturne et triste qu’elle égaie, Jeanne évolue en mécène éclairée. Elle s’intéresse peu à la politique mais supporte le parti du maréchal duc de Richelieu, son ancien galant, contre le parti du duc de Choiseul.

Pour avoir voulu la guerre contre les Anglais, Choiseul est écarté. La comtesse Jeanne du Barry règne alors sur Versailles et sur le cœur du roi :

«  (…) Sa majesté a souri et m’a dit qu’elle ne pouvoit rien me refuser (…) »(5).

Mais Louis XV meurt trop tôt, le 10 mai 1774, laissant un successeur bien jeune : Louis XVI est peu préparé à poursuivre les réformes commencées par son grand-père, Louis XV. Peu appréciée de Marie-Antoinette, la nouvelle souveraine, Jeanne du Barry est chassée de Versailles et trouve refuge dans son château de Louveciennes (Yvelines), cadeau de Louis XV.

Château de Louveciennes - Disponible sur Wikicommons

Le vol

Portrait de Madame du Barry (1789) par Elisabeth Vigée Lebrun - Disponible sur Wikicommons

Jeanne du Barry est âgée d’une cinquantaine d’années à l’aube de la Révolution française ; la demeure de Louveciennes, quelques rentes et ses bijoux lui assurent une fin de vie aisée.

Elle garde ses diamants et ses perles dans sa chambre. Elle en a aussi dissimulé dans le jardin…

Le 11 janvier 1791, Jeanne part fêter l’Epiphanie. A son retour, bijoux et objets précieux ont disparu.

Un procès-verbal détaillé est dressé par la maréchaussée ce 11 janvier et relate le vol.

A l’origine, Jeanne du Barry n’avait ni rang, ni fortune. Le vol d’une partie de son trésor (d’une valeur actuelle d’environ 60 millions d’euros) la prive du lustre qu'elle a acquis.

Pavillon de musique au château de Louveciennes - Disponible sur Wikicommons

Jeanne du Barry ne cessera de multiplier les démarches pour retrouver son bien.

La comtesse fait distribuer une liste précise des pierres volées dans les postes de police et chez les diamantaires français et étrangers, avec promesse de récompense.

Les pierres sont retrouvées assez rapidement à Londres et déposées dans une banque anglaise. Les voleurs sont emprisonnés mais, au XVIIIe siècle, les conditions d’extradition entre la France et l’Angleterre sont inexistantes : les voleurs, arrêtés en Angleterre, doivent purger leur peine en Angleterre, pour recel, avant de retourner (de leur plein gré) en France pour être jugés pour vol… et pour que Jeanne puisse se faire restituer ses pierres par la banque.

En ces temps troublés, la quête agitée de Jeanne du Barry va faire porter l’attention sur elle.

Les voyages en Angleterre

Plongée dans ce labyrinthe juridictionnel, en pleine Révolution française, Jeanne du Barry va effectuer pas moins de quatre voyages entre la France et l’Angleterre, entre 1791 et 1793 dans l’espoir de récupérer son bien. Pour sortir du territoire français, elle doit obtenir des papiers dans un contexte qui se durcit vis-à-vis des aristocrates émigrés.

Intérieur d'un comité révolutionnaire sous la Terreur (1793-1794) par C.N. Malapeau - Disponible sur Wikicommons

Durant ses séjours en Angleterre, elle s’installe dans un quartier où logent ses concitoyens, des émigrés parfois en mauvaise posture et à qui elle offre gite et couvert. Résidant en Angleterre lors de la décapitation du roi Louis XVI, le 21 janvier 1793, Jeanne du Barry n'hésite pas à en porter le deuil.

Mais les relations entre la France et l’Angleterre se gâtent.

En mars 1793, émigrer devient un délit, puni de la confiscation des biens.

La comtesse du Barry rentre précipitamment en France dès qu'elle apprend que les scellés sont posés sur son domaine. Elle doit justifier ses séjours en Angleterre.

LES ACCUSATIONS

La garde à vue

Comme d’autres municipalités, Louveciennes est maintenant occupée par des

Les furies révolutionnaires - Disponible sur Wikicommons

personnes étrangères au village, des dénonciateurs commandités par la Convention(6), comme le citoyen Greive. Deux des anciens serviteurs de Jeanne, Zamor et Salanave, se joignent à lui ; des pétitions s'organisent contre elle. Les rapports de l’espion Blache sur le comportement de la comtesse en Angleterre n’arrangent rien.

Une première fois, accusée d’incivisme, la comtesse du Barry est gardée à vue dans sa demeure. Son dossier suit son cours, de la Convention au Comité de Sûreté générale(7). Se souvenant de la générosité dont elle a su faire preuve, les habitants de son village témoignent en sa faveur ; Jeanne est innocentée.

Mais la partie n’est pas gagnée. Poussés par la peur d’un retour en arrière qui pourrait être aussi un retour de bâton pour eux, les meneurs révolutionnaires exaspèrent la véritable folie meurtrière qui s’est emparée de la population.

L’arrestation - L’interrogatoire

En octobre 1793, un décret suspend la Constitution. La Terreur s’installe en même temps que la dictature imposée par le Comité de salut public dont se sont rendus maîtres Robespierre et ses amis(8).

La loi des suspects est promulguée le 17 septembre 1793. Des comités de surveillance autoproclamés traquent les suspects.

La prison des femmes à la Conciergerie - Disponible sur Wikicommons

Jeanne du Barry en fait partie. Elle est arrêtée le 22 septembre (Arrêté du Comité de Sûreté générale du 21 septembre 1793).

Conduite à la prison de Sainte Pélagie de Paris, elle est suspectée d’incivisme et d’aristocratie.

Les scellés sont mis sur ses biens, ses papiers sont saisis et transmis au procureur du Comité de Sûreté générale.

Greive, Zamor et Salanave en profitent pour piller sa demeure ; le personnel du château est maltraité.

Le 19 novembre 1793, elle est emmenée à la prison de la Conciergerie du Palais de justice où elle est interrogée.

Entrée de la Conciergerie vers le Tribunal révolutionnaire - Disponible sur Wikicommons

Jeanne du Barry multiplie les arguments pour se disculper : n’a-t-elle pas souscrit aux emprunts de la Révolution, soutenu la municipalité de Louveciennes, participé aux dons patriotiques ? Les preuves ne sont-elles pas là pour justifier ses voyages ?

Après quatre jours d’interrogatoire, elle est reconduite à la prison de Sainte Pélagie.

Le 4 décembre 1793, elle est de nouveau emmenée à la Conciergerie pour y être jugée au Palais de justice par le Tribunal révolutionnaire.

Le Tribunal révolutionnaire

Le Tribunal révolutionnaire est créé en mars 1793 par la Convention.

Les compétences de ce tribunal s'étendent à tous les crimes contre-révolutionnaires.

Il siège au Palais de justice de Paris et comprend un président, quatre juges, un accusateur public et douze jurés rémunérés.

Les jugements sans appel sont immédiatement exécutoires.

Le Tribunal révolutionnaire - Disponible sur Wikicommons

D'avril 1793 à juillet 1794, environ 2 500 condamnations à mort y seront prononcées : "Les tribunaux, protecteurs de la vie et des propriétés, étaient devenus des boucheries où ce qui portait le nom de supplice et de confiscation n'était que vol et assassinat" (…) »(9).

LE PROCES

Le réquisitoire

Antoine Quentin Fouquier-Tinville - Disponible sur Wikicommons

Les 6 et 7 décembre 1793, Jeanne du Barry comparaît devant l’accusateur du Tribunal révolutionnaire, Antoine-Quentin Fouquier-Tinville qui l'accuse d’avoir conspiré contre la République.

Des preuves du vol ont été apportées par Jeanne. Elles ne sont pas suffisantes pour Fouquier-Tinville qui le considère comme un « stratagème » pour « (…) procurer d’une manière certaine des secours aux émigrés (…) ».

Jeanne est donc accusée d’avoir formé « (…) le projet d'être utile tant aux émigrés qu’au petit nombre de ses amis qui étoient restés en France et qui trouvaient chez elle un asile assuré (…) ».

Fouquier-Tinville se lance dans une diatribe contre Jeanne, nouvelle « Messaline » et « (…) femme que l’on doit regarder comme un des plus grands fléaux de la France et comme un gouffre effroyable dans lequel s’est englouti une quantité effrayante de millions (…) ».

Surtout, son statut d’ex-maîtresse royale pèse dans la balance. Fouquier-Tinville insiste sur ce point :

 « (…) Louis quinze du nom, a scandalisé l'univers en donnant la surintendance de

Madame du Barry emmenée au supplice - Disponible sur Wikicommons

ses honteuses débauches à cette célèbre courtisane (…) », « (…) cette créature éhontée lui fut en effet présentée, et qu'en peu de temps elle parvint par ses rares talents à prendre l'empire le plus absolu sur le faible et débile despote (…) », « (…) les ministres, les généraux, les ci-devant princes de l'Eglise furent nommés ou culbutés par cette nouvelle Aspasie, et tous venaient bassement faire fumer leur encens à ses genoux (…) ».

Les amours, amitiés, sentiments de Jeanne sont transformés en crimes d’Etat. N’a-t-elle pas « (…) porté, à Londres, le deuil du tyran (…) » et « (…) vécu familièrement avec le parti ministériel (…) ».

Jeanne du Barry est condamnée à mort le 7 décembre 1793.

Après la sentence, elle s’évertue à négocier sa vie et à gagner du temps…

Se voyant perdue, elle promet même de révéler la cachette du reste de ses trésors. Les tractations auraient même retardé le départ de la charette.

L’exécution

Portrait de Madame du Barry (1782) par Elisabeth Vigée Lebrun - Disponible sur Wikicommons

L’histoire aurait gardé de sa fin le souvenir de déchirantes supplications qui sont loin d’être avérées lorsque la comtesse Jeanne du Barry gravit les marches de l’échafaud.

Un fait est réel cependant : attendant son jugement à la Conciergerie, Jeanne laissa passer une possibilité d’évasion qui s’offrait à elle au profit d'Adélaïde de Mortemart, aristocrate recherchée.

Madame de Mortemart put ainsi quitter sa cachette et gagner l’Angleterre.

Jeanne du Barry, petite modiste devenue « La du Barry », favorite royale, fut guillotinée le 8 décembre 1793… par le bourreau Charles Henri Sanson, un de ses anciens amis du temps des galanteries de la rue du Bac.

EN SAVOIR PLUS

Bibliographie

« La Presque Reine », Pascal Lainé, Editions de Fallois, 2003.

« Les dieux ont soif », Anatole France, Calmann-Lévy, 1912.

« Le Vieux Cordelier », Camille Desmoulins, Pierre Pachet, coll. Littérature et politique, Dir. Coll., Claude Lefort, Belin.

Notes

1. Journal du duc Emmanuel de Croy. Eté 1774. Cité dans  « La Presque Reine », Pascal Lainé, Editions de Fallois, 2003.

2. Lettre de Jeanne à sa mère. Cité dans  « Lettres originales de Madame la comtesse du Barry », Mathieu François Pidanzat de Mairobert, 1779. Gale Ecco, Print Editions, 2010.

3. « La Presque Reine », Pascal Lainé, Editions de Fallois, 2003.

4. Billet de Louis XV au duc de Choiseul. Eté 1774. Cité dans  « La Presque Reine », Pascal Lainé, Editions de Fallois, 2003.

5. Lettre de Jeanne au duc d’Anguillon. Cité dans  « Lettres originales de Madame la comtesse du Barry », Mathieu François Pidanzat de Mairobert, 1779. Gale Ecco, Print Editions, 2010.

6. La Convention succède le 21 septembre 1791 à l’Assemblée législative. Elle fonde la 1re République et abolit la royauté.

7. Le Comité de Sûreté générale était une institution de la 1re République créée le 25 novembre 1791. Il était chargé de poursuivre les ennemis de la Révolution.

8. Le Comité de Salut public est créé le 6 avril 1793 par la Convention pour contrôler le travail des parlementaires et faire face au mécontentement. Son pouvoir illimité tourne à la dictature. Il fonctionne pendant un an en s’appuyant sur les comités de surveillance.

9. Camille Desmoulins, « Le Vieux Cordelier », Numéro 3 du 17 décembre 1793.