[Archives] 59ème congrès de la FNUJA à Grenoble
Publié le 29 mai 2003
Discours du garde des Sceaux
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Hauts magistrats,
Monsieur le Préfet,
Mesdames, Messieurs les Bâtonniers,
Mesdames, Messieurs,
Je tiens tout d’abord, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, à vous remercier vivement de votre accueil, et à vous dire tout le plaisir que j’ai de me trouver aujourd’hui parmi vous à l’occasion de votre 59ème congrès.
Monsieur le Président, vous venez de livrer votre perception de notre relation, en faisant la chronique d’une idylle tumultueuse, faite d’indifférence, d’outrage, d’attention et de séduction.
Et votre discours, en effet, avait tout du discours amoureux.
Ce qui caractérise le discours amoureux, on le sait, c’est l’excès.
Aveuglé par la passion, l’amoureux manque parfois de clairvoyance.
Il est enclin à l’exagération.
Il se perd à n’en plus finir dans l’interprétation angoissée, parfois paranoïaque, des signes.
« M’aime-t-il ? », « M’a-t-elle remarqué ? », figures typiques du discours amoureux.
Outre sa tendance à la sur-interprétation, l’amoureux est susceptible – c’est un écorché-vif.
J’essaierai pour ma part d’éviter les excès de la passion.
Entre vous et moi d’ailleurs, je ne crois pas qu’il doive être question d’amour ou de désamour.
Trop d’énergie se perd dans les tumultes d’une relation passionnelle. Cela risquerait d’être dommageable à la poursuite de l’objectif considérable que nous avons en commun : la construction de la justice.
La justice : dans nos relations, c’est bien ce troisième terme qui doit être primordial, celui qui doit polariser tous nos désirs.
Cette Justice qui se construit, collectivement, inlassablement – avec le souci que l’institution Justice soit toujours, et toujours plus, conforme à l’idéal de justice.
Mesdames et Messieurs, je ne suis pas venu vous conter fleurette.
Je suis venu vous proposer de travailler avec moi à la construction de l’institution et à la défense de l’idéal.
Monsieur le Président, j’ai cru comprendre que vous étiez d’accord sur ce point : nous devons œuvrer ensemble, de concert, en bonne intelligence.
La proposition n’est pas tout à fait nouvelle. Depuis mon arrivée au ministère de la Justice, j’ai appris à vous connaître, à connaître votre langage… Je vous ai écoutés et je vous ai associés à la prise de décision.
Eh bien, je souhaiterais poursuivre dans la voie de la concertation – et approfondir le sens de notre collaboration.
Mais pour commencer, je souhaiterais vous montrer que j’ai eu depuis mon arrivée au Ministère de la Justice un réel regard sur votre profession.
Ceci en évoquant certaines mesures que j’ai prises dont je sais qu’elles vous tenaient à cœur.
Et en expliquant le sens des mesures qui ont suscité des critiques de votre part.
Car pour obtenir votre concours, il me faudra d’abord calmer votre courroux.
En fait, tout comme vous Monsieur le Président après avoir fait le point sur le passé, je vous proposerai de contempler avec moi l’avenir.
Avec la Loi « Professions », j’ai eu le souci d’œuvrer en faveur des avocats.
En matière de formation des avocats, je crois que les avancées portées par ce texte sont considérables.
Je sais que vous, jeunes avocats, y avez été sensibles.
Concernant le cursus, le projet de loi, vous le savez, prévoit de supprimer le stage de deux ans à la sortie du CRFPA et d’instaurer à la place une formation en alternance d’une durée d’au moins dix-huit mois sanctionnée par le CAPA. À l’issue de ce cursus, le titulaire du CAPA prêtera serment, avant d’être directement inscrit au tableau de l’ordre en qualité d’avocat de plein exercice.
Plus de stage initial donc, où l’on a la frustration d’être déjà sorti de l’école mais encore en formation.
Par ailleurs, j’ai voulu introduire une nouvelle voie d’accès au CAPA : le contrat d’apprentissage. Cette nouvelle voie permettra, j’en suis convaincu, de diversifier les sources de financement de la formation des avocats en y associant l’entreprise.
Concernant les programmes de l’examen d’entrée au CRFPA et du CAPA, des mesures réglementaires viendront en modifier le contenu.
Bien sûr, votre profession sera associée à l’élaboration des textes d'application. Je crois qu’il serait important de donner une plus grande place, à côté de la formation à l’activité judiciaire des avocats, à tout ce qui a trait à l’activité de conseil.
Je suis convaincu, et je sais que nous partageons cette conviction, Monsieur le Président, que l’adaptation de la formation aux exigences nouvelles du marché du droit était une nécessité et qu’elle servira les avocats français – notamment au sein de l’espace européen, espace ouvert, espace de concurrence donc.
Mais pour faire face à la concurrence, il convient aussi que les avocats français disposent de structures plus performantes.
J’ai bien conscience que le droit régissant l’exercice des professions libérales en société doit être repensé pour les avocats. Sur deux points en particulier.
Premier point : il existe un trop grand nombre de formes de société pour l’exercice de la profession– et aucune n’offre véritablement un cadre attractif.
Je crois qu’il conviendrait de simplifier les structures et de créer un mode d’exercice de la profession d’avocat qui lui permette d’être plus compétitive face à la concurrence internationale redoutable – ce qui est particulièrement important évidemment dans les moments de mauvaise conjoncture économique.
À cet égard, la société d’exercice libéral (SEL), devait offrir des moyens de financement et de concentration, que n’offre pas la société civile professionnelle (SCP). Mais à l’évidence, la société d’exercice libéral n’a pas connu de réel succès, notamment pour des raisons fiscales.
Deuxième point : le problème du coût d’entrée dans la profession.
En France, le jeune avocat qui veut devenir associé doit acquérir des parts et s’endetter à cette fin. Le professionnel qui se retire lui vend ses parts en incorporant dans l’opération les fruits de son investissement personnel, l’importance de sa clientèle et son renom.
Je crois que ce système de patrimonialité de la clientèle est un poids pesant sur la situation économique et sociale des professionnels français.
Je pense que le temps est venu une réflexion approfondie sur ces différents points. J’aimerais y travailler avec vous dans les mois à venir.
Puisque j’en suis à des aspects statutaires, je dirai un mot à propos des mesures relatives à la séparation des activités de conseil et de contrôle.
Car elles concernent, quoique indirectement, ceux d’entre vous qui travaillent dans des réseaux pluri-disciplinaires.
À la suite des affaires retentissantes que vous connaissez, l’association du conseil et du contrôle légal des comptes a été clairement dénoncée.
Le projet de loi sur la sécurité financière entend renforcer la législation qui existait en la matière. Il rappelle l’interdiction pour les commissaires aux comptes de la prestation de tout conseil autre que ceux indispensables à la certification et renforce leurs obligations professionnelles en étendant ce principe à l’activité exercée en réseau.
Ainsi, le commissaire aux comptes affilié à un réseau ne pourra plus accepter une mission de certification des comptes d’une société qui est conseillée, en quelque matière que ce soit, par un autre membre du réseau.
Les commissaires aux comptes contrôlent, les avocats conseillent. Le texte va dans le sens d’une indépendance renforcée des professions – ce dont je crois nous devons ensemble nous féliciter.
La cause majeure dont je sais qu’elle vous tenait à cœur et en faveur de laquelle vous ne pouvez pas dire que je n’ai pas agi, c’est l’aide juridictionnelle.
Très tôt, je vous ai fait connaître que je ne poursuivrai pas dans la voie d’une aide juridictionnelle de masse qui n’assurerait pas aux justiciables une défense juste et efficace de leurs droits.
Comme vous, je ne voulais pas d’une justice à deux vitesses.
J’ai pris des engagements pour réformer l’aide juridictionnelle sur d’autres bases – et je les ai tenus.
Je vous ai dit que je voulais harmoniser les pratiques en matière de rémunération des avocats désignés pour les mineurs délinquants.
C’est fait : la notion de conflit d’intérêts entre le mineur et ses parents sera appréciée de manière souple de telle sorte que les avocats de mineurs délinquants puissent être systématiquement rétribués par l’aide juridictionnelle.
Je vous ai dit que je voulais simplifier la demande d’aide juridictionnelle.
C’est fait, par la voie de la même circulaire, que je viens de signer.
Par le décret du 2 avril 2003, j’ai arrêté une méthode de calcul plus juste pour moduler le seuil d’éligibilité à l’aide juridictionnelle en fonction du nombre d’enfants à charge.
Ce même décret met en place le bénéfice de l’aide juridictionnelle sans condition de ressources pour les victimes des crimes les plus graves.
C’est pour moi une mesure forte envers ceux qui ont cruellement souffert et envers qui nous avons tous des devoirs.
Quant à la rémunération des avocats ?
Les discussions ont été entamées avec votre profession dès l’automne dernier.
Des mesures d’urgence ont alors été prises.
Mes services ont élaboré un projet de décret modifiant le barème de l’article 90 en vue de revaloriser les procédures qui ne l’avaient pas été en décembre 2000.
Certaines catégories de procédures revalorisées sont de première importance, comme les affaires de droit commun devant le tribunal de grande instance.
Le projet de décret vient d’être transmis au Conseil d’Etat pour avis et les revalorisations prévues seront mises en œuvre dès le semestre prochain.
Ces mesures d’urgence auront un coût annuel de 11,3 Millions d’euros. Vous voyez, Monsieur le Président, que mon engagement pour les causes qui sont les vôtres est conséquent.
Par ailleurs, j’ai décidé de prévoir au titre du budget du ministère de la justice pour l'année prochaine, une enveloppe de crédits qui, dans le cadre des moyens alloués par la loi d’orientation et de programmation pour la justice, permettra la revalorisation du montant de l’unité de valeur.
Au-delà des mesures d’urgence, j’ai lancé des pistes de réflexion pour des réformes de fond, plus globales.
Ainsi celle du recours encadré à des honoraires de résultat que vous avez rappelée, mais aussi, bien sûr, celle de l’assurance de protection juridique.
Concernant cette dernière, je suis heureux de pouvoir dire que les choses avancent. Très bientôt seront rendues publiques les clauses considérées comme essentielles à un contrat de qualité et a été rappelé tout à l’heure à juste titre avec un certain nombre de ces clauses.
Je suis ouvert à d’autres propositions.
Je l’ai dit aux représentants de vos instances professionnelles lorsque je les ai reçues. Ils m’ont indiqué qu’ils me communiqueraient rapidement leurs suggestions de réformes.
Je les examinerai avec attention dès qu’elles me seront parvenues dans le souci de parvenir rapidement à des solutions.
J’espère avoir maintenant la bienveillance de mon auditoire.
Car je vous ai offert une formation de meilleure qualité et mieux adaptée aux exigences du marché, j’ai entamé une réflexion pour rendre plus attractive et compétitive les structures d’exercice de votre activité, œuvré pour l’indépendance de l’activité de conseil, et revalorisé votre contribution dans le cadre de l’aide juridictionnelle.
En bref, j’ai œuvré pour vous.
J’aimerais maintenant vous montrer qu’en aucune matière je n’ai agi contre vous.
Car Monsieur le Président, j’ai entendu votre discours, et votre « je plaide coupable » liminaire, il faut bien l’avouer, aurait pu être un « j’accuse » !
Je vous ai entendu exprimer les préoccupations de votre profession – et c’est heureux.
Car je pourrai peut-être maintenant calmer ces préoccupations en dissipant certains malentendus qui les nourrissent – j’aimerais autant éviter en effet que nous « concluions sur des malentendus ».
Quelques mots d’abord sur la directive blanchiment.
Cette directive prévoit que les avocats ont vocation, dans certaines hypothèses très délimitées, à établir une déclaration de soupçon, s’ils pensent être sollicités aux fins de faciliter une opération de blanchiment.
Nous avons l'obligation de transposer ce texte et je ne crois pas réaliste de penser que la directive pourrait être renégociée sur tel ou tel point.
Mais le Bâtonnier Iweins a évoqué tout à l’heure certaines pistes qu’il voudrait ouvrir. Je souhaite que nous puissions nous entretenir et examiner dans quelle mesure ces actions pourraient être secondées.
J’ai eu l’occasion de dire à plusieurs reprises que le secret professionnel de l’avocat était à mes yeux un impératif démocratique et que j’en serai le farouche défenseur.
Je crois ne pas avoir failli à mon engagement.
J’ai en effet travaillé à tirer au maximum profit de la souplesse que le texte de la directive anti-blanchiment offrait aux Etats membres dans l’exercice de transposition.
L’affaire n’a pas été aisée, il m’est arrivé de me sentir un peu seul et l’arbitrage du Premier Ministre a dû être requis. Mais les solutions qui se dessinent me paraissent de nature à garantir l’essentiel.
J’ai obtenu en effet que ce ne soit qu’à l’occasion de la rédaction d’actes que la déclaration de soupçon soit obligatoire.
Il n’est donc plus du tout question de toucher au secret professionnel de l’avocat pour ce qui concerne son activité judiciaire. Et votre secret professionnel est également entièrement préservé pour l’activité de consultation. Il me semble que cette concession est extrêmement importante.
Bien sur, j’ai entendu vos propos sur les difficultés d’interprétation quant à la consultation et la rédaction d’acte. Il faudra que nous soyons clairs sur cette question.
J’aimerais maintenant vous expliquer le sens de mon action en matière pénale et aborder deux questions dont je sais qu’elles sont assez sensibles : les moyens renforcés pour la lutte contre le crime organisé et le plaider-coupable.
Après les réformes portées par la loi d’orientation et de programmation, qui concernaient plutôt la petite délinquance, il m’est apparu tout à fait nécessaire de nous donner les moyens de lutter plus efficacement contre les formes de criminalité qui sont le fait de bandes organisées.
C’est à cet effet que j’ai proposé des modifications de procédure pour tous les faits de criminalité organisée les plus graves, ceux contre les personnes : enlèvements et séquestration, proxénétisme, traite des êtres humains…
Ces modifications de procédure concernent essentiellement le recours aux infiltrations et aux repentis, la garde à vue, les perquisitions et les écoutes téléphoniques.
L’efficacité des méthodes d’infiltration et de repentis n’est pas à prouver : la première a permis de démanteler une extension du cartel de Cali en France ; la seconde a permis au juge Falcone de faire tomber Cosa Nostra.
Il convenait d’autoriser ces méthodes efficaces tout en les encadrant scrupuleusement.
Le projet de loi offre un cadre pour réglementer les infiltrations, c’est-à-dire contrôler strictement l’activité de l’officier de police judiciaire tout en le protégeant.
Concernant les témoignages de repentis, ils seront encouragés par des réductions de peines, mais à la différence de ce qui se passe en Italie – et les avocats, je le sais, étaient très attachés à ce point – il est clairement spécifié dans le texte que les déclarations d’un repenti ne sauraient à elles seules justifier une condamnation, ceci comme garantie fondamentale des droits de la défense.
A propos de l’allongement de la garde à vue, peut-être un mot pour bien en comprendre le sens :
Bien souvent en matière de crime organisé, on n’arrête pas une seule personne mais tout ou partie de l’organisation. Lors de l’opération Margarita menée en 1994 contre des narcotrafiquants colombiens, 70 perquisitions ont été menées en même temps. Quand le nombre de confrontations avec les enquêteurs est grand et qu’il faut en faire la synthèse au fur et à mesure, 48 heures peuvent ne pas suffire.
C’est pour cette raison que le projet de loi prévoit qu’il soit possible à titre exceptionnel de prolonger la garde à vue de 24 heures par deux fois.
Les propositions que j’ai faites en matière de lutte contre les formes les plus graves de crime organisé ont soulevé des réactions parfois assez vives.
Pour commencer, permettez-moi de préciser qu’elles ne sont pas l’apanage de la France : des dispositions analogues ont déjà été prises chez bon nombre de nos voisins – notamment au sein des pays du G8, dont j’ai récemment rencontré les représentants.
Mais on donne, disent les uns, les pleins-pouvoirs à la Police. On donne, disent d’autres, des pouvoirs excessifs aux procureurs.
La vérité, c’est que la Police travaille sous contrôle du parquet.
Et la garantie contre tout abus de procédure par le parquet, c’est que tout recours aux moyens procéduraux que je viens d’évoquer se fera sur autorisation d’un magistrat du siège.
On enfreint les droits de la défense ?
Dans le projet de loi que j’ai soumis à l’Assemblée Nationale mercredi dernier, je crois pouvoir dire que toutes les dispositions sont prises pour que les droits de l’accusé et de la défense soient sauvegardés. Sur certains points ils seront même renforcés.
- Ainsi, concernant la présence de l’avocat à la première heure de garde à vue, le droit actuel reste inchangé.
- Le projet de loi prévoit par ailleurs qu’une personne qui a été placée en garde à vue et qui n’a pas fait l’objet de poursuites dans un délai de 6 mois puisse, si elle en fait la demande, être informée par le Procureur sur la suite de la procédure.
Si le Procureur décide de poursuivre l’enquête, il doit le faire savoir dans un délai de 2 mois à la personne qui peut alors faire consulter le dossier de la procédure par son avocat. - En outre, dans le cas où un procureur déciderait la comparution immédiate après avoir fait usage, lors de l’enquête, des nouvelles règles d’investigation, il est prévu que l’avocat du prévenu puisse intervenir devant le magistrat du parquet pour le convaincre d’ouvrir une instruction en raison de la complexité des faits.
Voilà pour le crime organisé.
Mais il me faut maintenant défendre une autre mesure qui a suscité des réactions de votre part : ce que vous appelez par commodité de langage le « plaider-coupable ».
Pour commencer, un principe de bon sens : la Justice doit prendre le temps qu’il faut pour établir la vérité, mais pas davantage.
Vous conviendrez, j’imagine, qu’il n’est pas aberrant de ne pas traiter exactement de la même manière les affaires dans lesquelles la culpabilité est reconnue et celles où elle est contestée.
C’est dans cette logique que j’ai proposé de créer la procédure de « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ».
J’aimerais vous montrer que les critiques dont cette procédure a fait l’objet sont injustifiées.
Mais auparavant, laissez-moi vous rappeler brièvement de quoi il est question.
Il s’agit d’une procédure qui ne sera applicable qu’à certains délits, punis de 5 ans d’emprisonnement au plus.
Elle sera exclue pour les mineurs, les délits de presse, les délits d’homicide involontaire et les délits faisant l’objet d’une procédure de poursuite spécifique.
Cette procédure prévoit que, dans les cas où la culpabilité est reconnue, le procureur de la République puisse lui-même proposer une peine à la personne qui reconnaît être auteur du délit.
Les peines proposées par le Procureur de la République seront plafonnées : des peines plus légères, si elles sont plus rapidement appliquées, seront plus exemplaires.
C’est en présence de son avocat, lequel aura eu accès au dossier et la possibilité de s’entretenir avec son client que la personne mise en cause donnera ou non son consentement à la peine proposée.
La personne pourra bénéficier d’un délai de réflexion de 10 jours avant de faire connaître sa réponse.
En cas d’acceptation de la peine proposée, la personne comparaîtra devant le président du Tribunal de Grande Instance. En présence de l’avocat, le juge du siège s’assurera de la persistance du consentement et décidera d’homologuer ou non la proposition du procureur
Il est prévu que la personne poursuivie dispose à nouveau d’un délai de 10 jours pour faire appel.
Je tiens à préciser que suite à des observations faites par le barreau, le projet a été amélioré afin de prévoir que lorsque la personne n’accepte pas la peine proposée, ou lorsque la proposition n’est pas homologuée, le procès-verbal dressé ne pourra être transmis à la juridiction de jugement.
Ni le ministère public, ni les parties ne pourront faire état devant la juridiction des déclarations faites.
Dernier point, ce mode de procédure garantit pleinement les droits de la victime : celle-ci sera informée de la procédure et elle pourra pour sa demande d’indemnisation soit comparaître avec le prévenu devant le président du TGI, soit demander la tenue ultérieure d’un procès civil.
- Alors on a dit que c’était vouloir substituer le procureur au juge.
Il n’en est aucunement question. Dans la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, le parquet propose, le juge dispose.
- On a comparé cette procédure au « plaider-coupable », on a parlé d’américanisation de la justice.
C’est inexact.
Aux États-Unis, en cas de reconnaissance de culpabilité, il y a systématiquement une véritable négociation de la peine entre la défense et la partie poursuivante, incarnée par l’ « attorney » – lequel n’est guère comparable à notre magistrat du parquet. Et surtout : l’issue de leur négociation lie le juge.
Dans le projet de loi, le déclenchement de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité est laissé à la discrétion du procureur de la République. Et encore une fois, c’est le président du Tribunal de Grande Instance qui décide.
Quand on parle de « plaider-coupable », il convient donc de bien avoir conscience des énormes différences séparant le système que je propose de la procédure anglo-saxonne.
- C’est l’assimilation des deux types de procédures, je crois, qui conduit à parler de dérive vers un système de type accusatoire.
Le système inquisitoire français, je l’ai déjà dit et je le maintiens, m’apparaît le mieux à même d’assurer tout à la fois l’égalité de traitement de tous les justiciables et le respect des droits de la société, des victimes et de la défense.
- Dernier éclaircissement : certains ont dit que la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité allait permettre d’enterrer certaines affaires.
Là encore c’est faux, puisque la constitution de partie civile impliquera toujours bien évidemment la saisine d’un juge.
Ce qui est vrai en revanche, c’est que cette réforme permettrait un précieux gain de temps dans le traitement des affaires en correctionnel – et ce gain de temps, nous le devons au justiciable, qui est aussi l’usager d’un service public.
En matière de lutte contre la criminalité organisée ou de « plaider-coupable », je crois qu’il serait injuste de conclure que « la fin justifie les moyens ». Les précautions ont été prises pour que les moyens soient justes.
Mais j’aimerais maintenant regarder vers l’avenir et parler du travail qu’ensemble nous pourrions faire.
L’avocat est un personnage majeur pour élaborer et faire vivre la justice.
Dans le domaine judiciaire, il œuvre à la fois pour le respect des droits de la défense en plaidant pour les prévenus et pour le droit des victimes à obtenir réparation en plaidant pour les parties civiles.
Dans le domaine juridique il participe à la mise en œuvre de la règle de droit par son activité de conseil ou par la rédaction d’actes.
Parce que le rôle des avocats est décisif, il m’importe au plus haut point que vous participiez avec moi à la construction de la justice.
Ainsi dans la politique d’accès au droit, qui vise à rendre la justice proche des justiciables.
Les avocats, je le sais, s’impliquent fortement dans la promotion de l’accès au droit, dans les Conseilss Départementaux d’Accès au Droit (CDAD) et par leur participation aux permanences d’accès au droit organisées notamment au sein des maisons de justice et du droit (MJD).
« Besoins de droit » : c’est pour votre profession, j’en suis convaincu, un programme et un engagement.
Votre concours, j’en aurai besoin également dans la mise en œuvre des réformes du droit de la famille que j’ai entreprises avec mon collègue Christian JACOB.
Chaque pan du droit de la famille, vous le savez, sera modernisé : le mariage, la filiation, le divorce, les successions et les libéralités, les tutelles et la protection des majeurs.
J’aimerais en un mot vous redire les orientations fondamentales de la réforme du divorce.
Le projet exclut le principe d’un divorce extra-judiciaire et maintient quatre cas de divorce.
1) Il maintient le divorce pour faute tout en recherchant à réduire les conflits.
2) Il supprime, sauf exception, la deuxième audience dans le divorce par consentement mutuel.
3) Il rénove le « divorce accepté », de manière à mieux prendre en considération la volonté des deux époux, sous réserve de la présence, pour chaque partie, d’un avocat pour recueillir l’accord des conjoints sur le principe du divorce.
4) Dans le divorce « pour altération définitive du lien conjugal », le prononcé sera subordonné à l’existence d’une séparation effective des époux de deux ans avant la requête en divorce ou, à défaut, entre celle-ci et l’assignation.
Le succès de cette réforme dépendra évidemment en grande partie de votre collaboration.
Un mot encore pour donner le contexte et le sens de l’action qui nous incombe en matière de tutelles.
Plus de 600 000 personnes sont en France placées sous un régime de protection judiciaire soit plus d’1% de la population !
Et les conditions de la prise en charge sont loin d’être satisfaisantes, nous le savons bien.
Il m’apparaît inacceptable que des mesures de tutelles puissent ne pas faire l’objet d’un réexamen pendant des années et inadmissible que des foyers surendettés puissent être placés sous une mesure de curatelle.
La réforme du dispositif est, je crois, indispensable : il en va de la défense des libertés individuelles, du respect de la dignité humaine et du devoir de solidarité.
Sur le dossier de l’aide aux victimes enfin, je suis tout à fait mobilisé, et je sais que la FNUJA l’est également.
Lorsque mes collaborateurs vous ont sollicité pour participer à l’expérience naissante des SAVU de mon collègue Jean-Louis BORLOO, votre réponse enthousiaste ne m’a pas étonné.
Je crois que nous devons poursuivre maintenant ensemble dans la mise en œuvre les quatorze mesures du programme national d’actions en faveur des victimes que j’ai présenté en conseil des ministres en septembre dernier.
Nous avons déjà bien avancé, avec par exemple l’obligation d’informer la victime de son droit à bénéficier d’un avocat pour poursuivre, l’aide juridique de droit pour les victimes des crimes les plus graves ou encore la majoration de l’aide financière accordée par l’État aux barreaux pour tenir des permanences spécialisées d’avocats de victimes.
De nouvelles étapes devront être franchies, en collaboration avec le Conseil National d’Aide aux Victimes qui mène plusieurs réflexions en ce domaine.
Les jeunes avocats, le garde des sceaux et la Justice, c’est sur ma conception de nos relations triangulaires que j’aimerais conclure.
Il ne s’agit pas d’un classique triangle amoureux.
Car, telle est notre chance, la Justice est un bien commun.
La justice.
Elle est primordiale dans la démocratie parce qu’elle garantit à chacun le plein exercice de sa liberté et l’épanouissement de ses capacités.
Grâce à la règle de droit, l’action d’autrui est encadrée et ne vient pas entraver l’action de chacun.
Grâce à la règle de droit, l’avenir est, dans une certaine mesure, prévisible – ce qui autorise à s’y projeter, à contracter, à entreprendre ou à aimer.
Justice et développement durable… belle intersection, enjeu énorme, dont je sais qu’il vous est cher, vous à qui il appartient de construire l’avenir.
La visée de la Justice, c’est l’harmonie, l’équilibre.
La justice, instrument de régulation sociale, a pour fin la paix sociale.
C’est pourquoi il convient que la justice apaise celle qui en a le plus besoin : la victime.
La justice doit être soucieuse de chacun et à la portée de chacun. Elle doit être justice de proximité.
Justice et liberté,
Justice et égalité,
Justice et fraternité,
La Justice évidemment est au cœur de notre République.
Quel est le rôle du ministre « de la Justice » ?
Le ministre de la justice, ce n’est pas le ministre de l’institution judiciaire, des magistrats et des fonctionnaires de la Justice.
Le devoir du ministre de la Justice, c’est de veiller à ce que la justice soit bien rendue, juste et efficace, à tous les niveaux, et de dialoguer avec tous les « auxiliaires » de justice.
Votre concours à vous, jeunes avocats, m’est nécessaire. Et il ne doit pas être seulement de concertation ou de participation. Il doit également être critique.
« On dit que les jeunes générations sont difficiles à gouverner. Je l’espère » (Alain, Propos sur l’éducation).
Votre mission vous requiert d’être critique, puisque vous êtes les défenseurs des libertés fondamentales.
Je compte sur vous néanmoins pour toujours savoir trouver où est l’intérêt de la Justice, et pour la défendre vivement comme j’essaie de le faire quand le discrédit est jeté sur elle.
J’espère pouvoir compter à la fois sur votre critique et sur votre cohésion.
Je vous remercie.