[Archives] Bicentenaire du Conseil des Prud'hommes de Lyon

Publié le 21 avril 2006

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux

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Monsieur le Ministre,
Monsieur le Premier Président,
Monsieur le Procureur général,
Monsieur le Président du Conseil des Prud’hommes,
Monsieur le Vice-Président du Conseil des Prud’hommes,
Monsieur le Bâtonnier,
Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux d’être présent parmi vous dans cette belle ville de Lyon, capitale d’une région chère à mon cœur, pour célébrer le bicentenaire de la création du conseil des prud’hommes de Lyon.

C’est en effet par une loi du 18 mars 1806, que fut créée à Lyon, par Napoléon Ier, la première juridiction du travail, composée à l’époque de cinq négociants fabricants et quatre chefs d’ateliers.

Ces neuf membres devaient disposer d’une certaine expérience professionnelle puisque le texte requérait qu’ils aient « six ans d’exercice de leur état ».

A partir de cet exemple lyonnais, une nouvelle juridiction spécialisée dans les litiges individuels du travail s’est développée. On recensait ainsi près de 75 conseils de prud’hommes en 1847.

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Forte de près de 271 juridictions, la justice prud’homale occupe aujourd’hui une place spécifique dans le système judiciaire français, bien qu’on la compare souvent avec d’autres juridictions composées de juges élus, tels les tribunaux de commerce.
Si une des spécificités des conseils des prud’hommes devait être mise en avant, je dirais qu’elles sont avant tout une juridiction de proximité.

Juridiction de proximité pour les salariés et les employeurs qui apprécient le rôle de régulation des relations individuelles du travail par l’intermédiaire de leurs élus.

Juridiction de proximité également par sa composition originale, puisque les conseils des prud’hommes sont des juridictions paritaires. Les juges prud’homaux accomplissent une mission fondamentale pour notre économie. Ils le font avec dévouement, en conservant leur activité initiale. Ce ne sont pas des magistrats professionnels, ce sont des professionnels des relations sociales, salariés ou employeurs. Je saisis l’occasion de cette célébration pour remercier publiquement les 14600 conseillers prud’homaux de leur engagement et de leur participation au service de la justice.

Bien entendu, lorsque cela est nécessaire, un juge départiteur vient apporter aux conseillers son analyse juridique.

D’une manière générale, on peut relever que le conseil de prud’hommes est bien une spécificité française si on le compare aux juridictions du travail existant chez nos voisins immédiats que sont l’Allemagne, l’Angleterre, la Belgique, l’Espagne ou l’Italie.

En effet, elles font appel à l’échevinage ou sont composées uniquement de magistrats professionnels. Jamais elles ne partagent cette totale confiance en la démocratie sociale.

Une autre caractéristique de la juridiction du travail à la française est illustrée par la double tutelle exercée par les ministères du Travail et de la Justice. En effet, le premier a en charge l’organisation des élections des conseillers ainsi que leur formation, la Justice assurant notamment l’indemnisation des conseillers et le fonctionnement des conseils de prud’hommes.

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Les conflits sociaux sont moins nombreux qu’il y a quelques années. Les litiges individuels du travail ont en revanche augmenté, avant de se stabiliser récemment autour de plus de 200 000 affaires terminées chaque année. La durée moyenne de traitement s’élève à 12 mois.

S’agissant plus particulièrement de la juridiction lyonnaise, je constate qu’elle n’est pas en reste puisqu’elle affirme sa place de second conseil de prud’hommes après celui de Paris.

Doté d’un effectif de 244 conseillers, le conseil de prud’hommes de Lyon a ainsi traité près de 6500 affaires nouvelles en 2005.

Comme dans les autres juridictions, une de mes priorités est la réduction des délais de jugement. Cette exigence de réactivité est la première des garanties que nous devons aux justiciables. Elle est encore plus sensible pour les juridictions prud’homales où les conséquences des décisions, tant sur l’activité de l’entreprise que sur la vie quotidienne d’un salarié sont fondamentales. Cet objectif, nous le partageons tous. Je serai attentif à vos propositions en ce domaine.

Les décisions rendues par les conseils de prud’hommes font l’objet d’un taux d’appel supérieur à 60%. Ce chiffre est en apparence certes élevé, mais il doit être relativisé.

Vous êtes bien placés pour savoir que l’essentiel du contentieux qui est soumis à la juridiction prud’homale est un contentieux de l’indemnitaire. Le plus souvent, si la décision satisfait l’un des plaideurs qui estime être justement indemnisé, elle déçoit alors l’autre partie qui conteste une évaluation excessive du dommage allégué par son adversaire.

C’est donc bien naturellement que les litiges du travail sont plus fréquemment élevés en instance d’appel. Mais à y regarder de plus près, on s’aperçoit que si le taux de réformation est proche des 60%, les véritables infirmations, notamment celles portant sur le fond du droit, ne dépassent pas les 20%. J’y vois le signe que les conseillers prud’homaux remplissent leur office avec sérieux, rigueur et expérience.

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L’engagement de tous les conseillers prud’hommes au service de la justice, s’il est gracieux, doit cependant être indemnisé.

Or, force est de constater que le régime juridique de l’indemnisation des conseillers prud’hommes repose sur des textes législatifs et réglementaires anciens, dont l’interprétation a conduit au fil des années à des pratiques hétérogènes sur l’ensemble du territoire.

L’évolution des dépenses d’indemnisation est, par conséquent, difficilement maîtrisable et peu compatible avec les obligations instaurées par la loi organique relative aux lois de finances en date du 1er août 2001, applicable au 1er janvier 2006.

En effet, cette réforme de la constitution budgétaire de notre pays nous oblige à définir le montant de la dépense annuelle là ou jusqu’à présent les crédits étaient évaluatifs. Il faut donc se donner les moyens, comme il est demandé à tous les ministères, de maîtriser la dépense.

La mission de réflexion confiée en septembre 2004 à Monsieur le procureur général honoraire Henri DESCLAUX a donné lieu à de nouvelles propositions afin d’assurer de manière efficace et pérenne la juste et légitime indemnisation des conseillers prud’hommes, tout en respectant l’indispensable maîtrise budgétaire de la dépense publique.

Les principales mesures développées dans le cadre du rapport que m’a remis Monsieur Desclaux, le 5 octobre 2005, concernent les points suivants :

  • Premièrement : une nouvelle détermination des activités prud’homales indemnisables avec certaines préconisations en matière de recours à l’étude de dossiers et de rédaction des décisions ;
  • Deuxièmement : les principes et les modalités de l’indemnisation des activités prud’homales avec notamment la proposition de mise en place d’un système déclaratif encadré et la revalorisation du taux de la vacation horaire ;
  • Troisièmement : la prise en charge des frais de déplacement selon le décret applicable aux magistrats et fonctionnaires tout en préconisant l’instauration d’une limitation des distances indemnisables ;
  • Dernièrement : les pouvoirs, compétences et responsabilités au sein de la juridiction prud’homale ;

Depuis la présentation du rapport aux membres du Conseil supérieur de la prud’homie, le 14 octobre dernier, le ministère de la justice, en collaboration avec les services du ministère du travail, s’est attaché à concrétiser les propositions ainsi formulées.

Des textes législatifs et réglementaires ont ainsi été récemment discutés avec les partenaires sociaux dans le cadre d’un groupe de travail du Conseil supérieur de la prud’homie. Une présentation officielle de ces textes devant cette instance consultative est prévue le 5 mai prochain.

J’attache un grand prix à ce que ce chantier soit mené à son terme dans l’esprit de concertation qui a présidé jusque là à la réflexion.

Ce chantier coïncide avec l’année du bicentenaire, ce qui le place, je le souhaite, sous les meilleurs auspices.

Je souhaite donc une longue vie aux juridictions prud’homales.

Je vous remercie.