[Archives] Projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV

Publié le 15 février 2005

Discours du Garde des Sceaux au Sénat

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Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Le traité établissant une Constitution pour l’Europe, signé à Rome le 29 octobre 2004 a pour objet de consolider et de développer les acquis de l’Union européenne.

Ce sont ces acquis qui ont permis à cette Union qui compte aujourd’hui 25 Etats membres de contribuer de manière déterminante à l’émergence, sur notre Continent, d’un vaste espace de paix, de prospérité et de liberté, valeurs cardinales au nombre de celles qui sont communes à tous les peuples.

Comme tous les traités, le traité établissant une Constitution pour l’Europe est le fruit d’un compromis, compromis sur la base duquel 25 Etats aux histoires et aux intérêts particuliers se sont accordés et sont déterminés à unir leurs efforts pour atteindre des objectifs communs qui transcendent ces différences.

L’enjeu est majeur. En effet, ce n’est pas un traité de plus dans l’histoire de la construction européenne. C’est, sans aucun doute, une nouvelle étape de cette construction.

Le traité innove en améliorant profondément le fonctionnement de l’Union européenne : la consécration du Conseil européen comme institution de l’Union, l’élection d’un président du Conseil européen pour deux ans et demi, la création d’un ministre des affaires étrangères de l’Union qui permettra à l’Union de mieux se faire entendre sur la scène internationale, l’intégration de la Charte des droits fondamentaux dans le traité, conférant ainsi aux citoyens de l’Union le plus haut niveau de protection de leurs droits et libertés, en sont quelques exemples emblématiques.

D’autres dispositions modifient sensiblement l’organisation des compétences et le fonctionnement institutionnel de l’Union, permettant une meilleure lisibilité de l’action d’une Union au sein de laquelle 25 pays vont travailler et vivre ensemble plus étroitement.

En France, vous le savez, la ratification de ce nouveau traité de Rome se déroulera en deux phases.

La première phase consiste en une révision de la Constitution. Cette révision est nécessaire pour adapter notre Constitution à celles des stipulations du traité dont le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 19 novembre 2004, a jugé qu’elles n’y sont pas conformes.

Lors de la seconde phase, à la suite de la décision du Chef de l’Etat, le peuple français se prononcera directement, par la voie du référendum, sur la ratification par la France du traité établissant une Constitution pour l’Europe.

Le projet de loi constitutionnelle qui vous est aujourd’hui soumis a d’abord été élaboré afin de répondre aux incompatibilités existant entre notre Constitution et le traité établissant une Constitution pour l’Europe, sur la base des indications figurant dans la décision du Conseil constitutionnel de novembre.

Le Conseil constitutionnel a identifié deux séries de dispositions du traité qui sont incompatibles avec notre Constitution.

La première série est relative aux stipulations du traité concernant les compétences de l’Union. Comme en 1992, à l’occasion du contrôle du traité de Maastricht, puis en 1997, lors du contrôle du traité d’Amsterdam, le Conseil constitutionnel a identifié un certain nombre de stipulations prévoyant de nouveaux transferts de compétence au profit des institutions de l’Union qui, malgré les effets du principe de subsidiarité, ont pour effet d’affecter les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale. Sont notamment visées certaines des stipulations du traité en matière de coopération judiciaire en matière civile et en matière pénale mais aussi par exemple la création d’un parquet européen compétent pour poursuivre les auteurs d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

D’autres stipulations modifient les règles d’adoption des normes européennes dans des matières ayant déjà fait l’objet de transferts de compétence dans des traités antérieurs et réclament, par voie de conséquence, une révision de la Constitution. Ainsi en va-t-il en ce qui concerne les règles relatives à la structure, au fonctionnement et au domaine d’action d’Eurojust et d’Europol.

La seconde série de stipulations contraires à notre Constitution concerne les nouvelles prérogatives reconnues par le traité aux parlements nationaux :

  1. la faculté ouverte à ces parlements de s’opposer à une décision du Conseil de mettre en œuvre le mécanisme de la clause-passerelle générale prévue à l’article IV-444 du traité ;
  2. les pouvoirs reconnus à chaque assemblée parlementaire dans le cadre du contrôle du respect, par les institutions de l’Union, du principe de subsidiarité.

Ces stipulations méritent qu’on s’y arrête quelques instants. Leur objectif est de permettre comme nous l’avons si souvent demandé aux parlements nationaux d’assurer un contrôle politique sur les initiatives de la Commission. Pour ce faire, le traité associe directement les parlements nationaux au contrôle de la bonne application du principe de subsidiarité à travers la création de deux procédures.

La première pourra être exercée par chacune des assemblées composant notre Parlement.

Elle leur permettra, lors de l’examen d’un projet d’acte législatif européen, d’adresser aux institutions européennes un avis motivé exposant les raisons pour lesquelles il est considéré comme susceptible de porter atteinte au principe de subsidiarité.

La seconde permettra, si l’acte est finalement adopté malgré tout, de le déférer à la censure de la Cour de justice de l’Union européenne.

Ce dispositif j’insiste confère pour la première fois un rôle actif aux parlements nationaux dans le processus décisionnel européen. Il s’agit là me semble-t-il d’une avancée majeure vers une Europe démocratique et plus proche de ses citoyens.

Le projet du Gouvernement, qui a fait l’objet de quelques améliorations lors de son examen par l’Assemblée nationale, est organisé en trois volets.

Le premier volet comprend l’article premier du projet de loi. Son objet est à la fois unique et simple : il s’agit de lever les obstacles constitutionnels à la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe. Sa rédaction, qui renvoie au traité signé en octobre dernier, est suffisamment générale pour couvrir toutes les inconstitutionnalités que ce traité est susceptible de contenir.

L’entrée en vigueur de cet article ouvrira par lui même la voie à l’organisation du référendum.

Le deuxième volet comprend l’article 3 du projet de loi. Il se distingue des trois autres articles par sa substance, beaucoup plus importante, ainsi que par le fait que son dispositif n’entrera en vigueur, il faut l’avoir à l’esprit, que lorsque tous les Etats membres de l’Union européenne auront ratifié le traité établissant une Constitution pour l’Europe. L’article 3 consiste en une ré-écriture totale du Titre XV de la Constitution, ré-écriture rendue nécessaire par les modifications profondes induites par la mise en œuvre du traité.

C’est également l’ampleur de ces modifications qui a commandé que ce dispositif n’entre pas en vigueur avant que le traité ne soit lui-même entré en vigueur.

Notamment, les nouvelles prérogatives du Parlement français en matière de contrôle du respect du principe de subsidiarité par les institutions européennes ne pourront être mises en oeuvre que lorsque le traité établissant une Constitution aura été ratifié par l’ensemble des Etats membres.

Toutes les modifications apportées au Titre XV de la Constitution n’ont pour autant pas la même ampleur.

Ainsi, les articles 88-1 et 88-2 seront profondément remaniés.

Lorsque le traité entrera en vigueur, le nouvel article 88-1 de la Constitution, qui continuera à consacrer le principe de la participation de notre pays à l’Union européenne, aura également pour objet et pour effet de lever les obstacles constitutionnels à la mise en œuvre des stipulations de ce traité.

Ces obstacles, comme je vous l’ai indiqué, sont nombreux et divers. Le Conseil constitutionnel n’en a pas présenté une liste exhaustive. Dès lors, il n’était pas nécessaire de lister dans la Constitution, comme cela avait été fait en 1992 et en 1997, les domaines dans lesquels la France consent aux transferts de compétence prévus par le traité.

Il est simplement précisé dans ce nouvel article 88-1 que la participation de la République française à l’Union européenne s’entend je cite « dans les conditions fixées par le traité établissant une Constitution pour l’Europe signé le 29 octobre 2004 ». Cette formulation, qui est la même que celle utilisée à l’article premier, produit les mêmes effets : toutes les inconstitutionnalités contenues dans les stipulations de ce traité seront couvertes juridiquement par ce dispositif. Dans le même temps, ce dispositif assurera et c’est un point important qu’à l’avenir, si un nouveau traité devait être conclu, les inconstitutionnalités qu’il pourrait contenir imposeraient une nouvelle révision de la Constitution.

La conséquence de ce choix est de faire disparaître les deux premiers alinéas de l’ article 88-2, qui, intégrés au nouvel article 88-1, n’ont plus de raison d’être.

Seul le troisième alinéa de l’article 88-2 actuel sera maintenu. En effet, les inconstitutionnalités qu’il a pour objet de couvrir ne trouvent pas leur source dans les traités mais dans des actes de droit dérivé, pris par les institutions européennes. Pour assurer leur pérennité, et pour que les règles régissant le mandat d’arrêt européen continuent de s’appliquer en France, il est donc indispensable de maintenir cet alinéa dans notre Constitution.

Les articles 88-3 et 88-4 ne faisaient l’objet que de modifications de forme dans le projet initial du Gouvernement.
S’agissant de l’article 88-3, qui prévoit la possibilité, qui est aujourd’hui une réalité, de conférer, dans certaines conditions, la qualité d’électeur et d’éligible aux ressortissants de l’Union européenne, le Gouvernement a choisi de faire disparaître la réserve de réciprocité et l’adjectif « seuls » qui figurent au premier alinéa de cet article.

En effet, la réserve de réciprocité, classique dans le cadre du droit international, n’a pas de sens s’agissant d’un dispositif européen.

Quant à l’adjectif « seuls », dès lors que l’article 88-3 ne permet pas d’accorder le droit de vote à des ressortissants de pays non membres de l’Union européenne, il est semble-t-il sans utilité juridique.
Ainsi, dans les deux cas, les modifications apportées au texte constitutionnel sont sans portée juridique.

L’article 88-4, en revanche, a été, au terme d’un débat de qualité et de grand intérêt, sensiblement modifié par l’Assemblée nationale sur le fond.

Cet article, vous le savez, impose au Gouvernement de transmettre au Parlement les projets ou propositions d’actes des Communautés ou de l’Union européennes comprenant des dispositions de nature législative et leur permet d’adopter des résolutions à leur sujet.

Outre la suppression de la référence aux Communautés européennes, absorbées par l’Union, la notion de « dispositions de nature législative » a été remplacée par celle de « dispositions du domaine de la loi », pour éviter l’ambiguïté entre les notions d’acte législatif européen et d’acte législatif français. C’est pourquoi elle est remplacée par les mots « domaine de la loi », qui figurent déjà dans six autres articles de la Constitution de 1958, et permettent, en renvoyant à l’article 34, de dissiper tout risque de confusion. Ces modifications de forme ont été approuvées par l’Assemblée nationale.

Mais à ces modifications de forme mineure, l’Assemblée nationale a ajouté, avec l’accord du Gouvernement, une modification de fond relative au champ d’application de cet article.

Le Gouvernement je le rappelle n’entend pas qu’à l’occasion de la présente réforme de la Constitution la répartition des compétences entre les pouvoirs exécutif et législatif, telle qu’elle résulte de la Constitution, soit remise en cause.

Pour autant, le Gouvernement a bien compris la préoccupation des parlementaires quant à la place des assemblées dans le processus d’élaboration de la norme européenne. C’est pourquoi il a pris deux engagements forts.

Le premier s’est concrétisé par le soutien apporté à l’amendement qui a rallié les suffrages des députés. Celui-ci a pour objet de prévoir la transmission obligatoire au Parlement de tous les projets d’actes législatifs européens, quel que soit leur contenu.
Il permettra à chaque assemblée parlementaire d’adopter, sur le fond, des résolutions relatives à un projet d’acte législatif européen. Cette orientation est cohérente je crois avec celle du traité qui voit les parlements nationaux systématiquement rendus destinataires de ces projets par les institutions européennes elles-mêmes.

Le deuxième engagement du Gouvernement concerne la mise en œuvre des dispositions de l’article 88-4. La circulaire du 13 décembre 1999 qui organise cette mise en œuvre sera modifiée ou remplacée. Y figurera la règle selon laquelle, à la demande d’une assemblée parlementaire ou d’une de ses commissions, les documents qui n’entrent pas dans le cadre de la transmission obligatoire au Parlement devront l’être sauf exception.
Les avis alors rendus par l’une ou l’autre assemblée devront faire l’objet d’un examen attentif de la part du Gouvernement.

Le Parlement français disposera ainsi de prérogatives d’information et d’action propres à garantir sa participation active au processus d’élaboration de la norme européenne.

Enfin, les articles 88-5 et 88-6 sont totalement nouveaux. Ils auront pour objet de permettre aux assemblées parlementaires françaises de mettre en œuvre les prérogatives nouvelles que le traité établissant une Constitution pour l’Europe leur reconnaît.
L’article 88-5 a été, avec l’accord du Gouvernement, entièrement refondu devant l’Assemblée nationale.

Il permettra à chaque assemblée, dans des conditions d’initiative et de discussion fixées par son règlement intérieur, de voter des résolutions lui permettant :

  • d’une part, d’émettre un avis motivé à destination des institutions européennes lorsqu’un projet d’acte législatif européen est susceptible de méconnaître le principe de subsidiarité,
  • d’autre part, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne dans le cas ou l’acte en cause serait tout de même adopté.

Compte tenu des délais relativement brefs dans lesquels ces résolutions doivent intervenir, il est prévu qu’elles puissent être adoptées en dehors des périodes de session. Les termes utilisés doivent permettre à chaque assemblée d’adopter ces résolutions sans inscription systématique à l’ordre du jour d’une séance publique.
Le Gouvernement, qui est tenu informé dans le premier cas, a pour seul rôle de transmettre à la Cour de justice les recours décidés sur le fondement du deuxième alinéa.

L’article 88-6, adopté sans modification par l’Assemblée nationale, est quant à lui relatif à la mise en œuvre du droit de veto reconnu aux parlements nationaux de se prononcer d’une seule voix, y compris lorsqu’ils sont composés de manière bicamérale, contre la mise en œuvre du mécanisme de révision simplifiée figurant à l’article IV-444 que j’évoquerais tout à l’heure du traité établissant une Constitution pour l’Europe et dont je vous ai déjà exposé le principe précédemment.

Là encore, ce sont les règlements intérieurs des deux assemblées qui devront fixer les modalités procédurales d’adoption de la motion commune, adoptée en des termes identiques, j’insiste, par laquelle le Parlement français pourra faire échec au passage de la règle de l’unanimité à celle de la majorité qualifiée dans les domaines de compétence matérielle de l’Union européenne.

L’article 88-7 ne nécessite pas d’observations particulières puisqu’il est destiné à reprendre les dispositions que l’article 2 du présent projet de loi aura intégrées à l’article 88-5 de la Constitution en attendant l’entrée en vigueur du traité.

Ces dispositions font partie du troisième et dernier volet de ce projet de loi, volet qui comprend les articles 2 et 4, et qui entrera en vigueur même si le traité établissant une Constitution pour l’Europe n’était pas ratifié par tous les Etats.

Il a pour objet de concrétiser l’engagement qu’a pris le Chef de l’Etat de soumettre au peuple français, par la voie du référendum, toute nouvelle adhésion d’un Etat à l’Union européenne.

Seul le principe de ce recours au référendum sera inscrit dans la Constitution. Les dispositions de l’article 4 du projet de loi, qui présentent un caractère transitoire, n’y figureront pas.

Leur objet est de réserver le cas des pays pour lesquels les négociations en vue de leur adhésion ont déjà commencé ou sont sur le point de commencer. Il ne faut pas en effet que soient modifiées les règles qui étaient applicables lorsqu’ont été décidées les négociations en vue de l’adhésion de la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie.

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Mesdames, Messieurs les Sénateurs, à l’issue de mon propos, je tiens à souligner à nouveau l’importance de ce projet de loi constitutionnelle qui vous est aujourd’hui soumis.


En adaptant la Constitution de notre pays pour permettre que la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe soit proposée au peuple français, il constitue une étape nécessaire dans le processus qui permettra à la France, qui permettra aux Français de poursuivre, avec nos 24 partenaires, la construction d’une Union européenne seule à même de garantir la paix et la prospérité de ses membres.