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Prestation de serment des auditeurs de justice
Publié le 15 février 2022 - Mis à jour le 24 février 2023
Discours d’Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice
Discours de monsieur Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice
Prestation de serment des auditeurs de justice
Madame la préfète,
Mesdames, messieurs les parlementaires,
Monsieur le maire de Bordeaux,
Madame la première présidente de la Cour de cassation,
Monsieur le procureur général près ladite Cour,
Madame la première présidente,
Monsieur le procureur général,
Monsieur le président du tribunal judiciaire de Bordeaux,
Madame la procureure de la République,
Madame la directrice de l’École nationale de la magistrature,
Mesdames et messieurs les représentants des professions,
Mesdames et messieurs les hautes personnalités,
Mesdames et messieurs,
On n’oublie jamais le jour de sa prestation de serment. On n’oublie jamais comment on se sentait, la moiteur de ses mains, ce qu’on portait, le temps qu’il faisait, les personnes qui nous accompagnaient. On ne l’oublie jamais car la prestation de serment, c’est le début d’une nouvelle vie. Et plus encore la prestation de serment des auditeurs de justice.
Car, j’en suis convaincu, on entre dans la magistrature, un peu comme on entre en religion : par vocation.
Vous intégrez aujourd’hui l’École nationale de la magistrature, une école d’apprentissage qui aura la lourde charge de faire de vous des magistrats éclairés et compétents, toujours humains.
Vous l’intégrez car vous avez réussi un concours exigeant, que vous avez passé en outre dans des conditions très particulières liées à la crise sanitaire. Je vous en félicite. Vous pouvez être fiers du travail accompli.
Vous savez combien je suis attaché à la diversité de la belle maison Justice. C’est donc une grande satisfaction pour moi de voir aujourd’hui que parmi les 261 auditeurs de justice de votre promotion, 57% étaient des étudiants et 43% des professionnels. Nombre d’entre vous étaient déjà immergés dans le monde judiciaire : greffiers, directeurs des services de greffes, juristes-assistants, directeur de SPIP, avocats... D’autres proviennent d’horizons plus lointains : professeurs des écoles, journaliste, responsable RH...
Une autre statistique me ravit : 36 d’entre vous étaient, avant d’entrer à l’ENM, juriste-assistants. Cela démontre que ces fonctions constituent non seulement un vivier indispensable aux juridictions, mais aussi un formidable tremplin pour accéder à la magistrature. C’est notamment par la construction des équipes juridictionnelles que nous permettrons aux magistrats de se recentrer sur leurs missions premières.
C’est pourquoi je souhaite sincèrement que le nombre d’assistants juridictionnels des magistrats grandisse encore dans les prochaines années.
La diversité de votre promotion s’exprime également par vos origines. Vos origines sociales d’abord : 37% des lauréats du premier concours ont bénéficié au cours de leurs études d’une bourse. Vos origines géographiques également : vous venez de l’ensemble des régions de métropole et d’outre-mer du territoire.
Cette ouverture de l’école sur l’interprofessionnalité et sur la société s’incarne parfaitement en la personne de sa directrice, Nathalie Roret, dont je tiens à saluer le remarquable travail. Si j’ai voulu qu’une avocate soit à la tête de cette belle école et si j’ai soutenu l’initiative de l’École d'avocats (EFB) de mettre à sa tête un magistrat, c’est bien pour initier ce mouvement de décloisonnement des professions du monde de la justice que j’appelle de mes vœux depuis des années.
Je souhaite également, chère Nathalie, remercier vos équipes pour la qualité des enseignements qu’elles dispensent au quotidien, auprès de l’ensemble des publics dont elles ont la charge : auditeurs, magistrats en formation continue, magistrats à titre temporaire, juges non professionnels…
Cette capacité d’adaptation de l’école est d’autant plus importante que l’École nationale de la magistrature tourne depuis cinq ans à haut régime. Et cela va perdurer puisqu’au titre des concours 2022, 460 recrutements de magistrats vont avoir lieu.
L’ENM va donc accueillir prochainement la plus grande promotion d’auditeurs de justice de l’histoire, avec pas moins de 380 auditeurs, outre 80 recrutements au titre du concours complémentaire. Ce sont 200 emplois de magistrats supplémentaires qui vont être ainsi créés et qui viendront renforcer les juridictions.
Cher(e)s auditrices et auditeurs de justice,
Vous allez donc avoir l’immense mission de juger les hommes. Vous allez juger des hommes avec leur parcours, avec leur histoire, leurs secrets, leurs qualités et leurs défauts. Il n’y aura pas de petites ou grandes affaires, vous allez juger des affaires qui pour beaucoup, sont les affaires de toute une vie.
Cette mission vous oblige.
Elle vous oblige d’abord à l’humanité, à l’humilité et au doute. Si notre procédure judiciaire est parfois longue et complexe, elle s’est néanmoins forgée au fil des siècles en réaction à l’arbitraire. Elle est irriguée des principes du contradictoire et des droits de la défense que vous devrez toujours avoir en mémoire. Vous devrez faire de l’écoute et du respect un état d’esprit permanent. Et il vous faudra faire place au doute, toujours. « La justice humaine est chose douteuse et précaire », a écrit André Gide dans ses Souvenirs de cours d’assises. Et Olivier Leurent qui a présidé aux destinées de cette école disait aux jurés avant qu’ils se retirent pour délibérer que le doute est une souffrance que le juge s’inflige à lui-même. De grâce éloignez-vous donc des certitudes !
Elle vous oblige ensuite et bien évidemment vous le savez à l’indépendance et à l’impartialité les plus totales. Je sais que vous avez dû entendre ces mots pendant toute la préparation de votre concours et je sais aussi que l’ENM vous inculquera ces valeurs fondamentales. Mais elles ne doivent pas être pour vous des slogans que l’on brandit comme un étendard. Elles sont essentielles, cardinales, elles ne doivent jamais vous quitter. L’indépendance s’appréciera par rapport à votre capacité à résister à des influences extérieures qu’elles soient politiques, sociales et circonstancielles. L’impartialité est une indépendance d’esprit : il vous faudra vous défaire de vos biais internes, de vos préjugés, de vos préjugements et même de vos opinions politiques. Méfiez-vous avant tout de vous-même.
Votre mission vous oblige enfin vis-à-vis de nos concitoyens. N’oubliez jamais que vous rendrez la justice au nom du peuple français. Cette responsabilité est immense mais elle est le corollaire de votre indépendance. Je le dis et le répète, il n’y a pas d’indépendance sans responsabilité. Les Français vous demanderont de rendre des comptes, ils vous le demandent déjà d’ailleurs. Vous devenez magistrats à un moment où la magistrature est profondément mise en cause. Vous devenez magistrats à un moment où la magistrature se remet profondément en question.
J’ai bien évidemment été sensible à la tribune qu’ont signé un grand nombre de vos collègues, en grande partie des auditeurs de justice et des jeunes magistrats, qui ont fait part de leurs inquiétudes pour l’avenir d’une profession qu’ils exercent pour beaucoup avec passion.
Sachez que vous avez devant vous, et vous le savez, un ancien avocat, qui pendant 36 ans a écumé tous les tribunaux de notre beau pays et qui a vu la misère dans laquelle parfois la Justice avait été laissée depuis une vingtaine d’années. J’ai en effet connu l’époque où les magistrats qui partaient à la retraite n’étaient pas remplacés, ou encore les quinquennats où 142 postes de magistrats ont disparu… J’ai connu les budgets en augmentation de 1%. En 2017, la Wifi n’était pas installée dans les tribunaux, nous y avons remédié. Idem pour la fibre optique. Des ordinateurs ultra portables ont été distribués à tous les magistrats de ce pays.
Pleinement conscient du dénuement de la Justice, j’ai obtenu du Premier ministre puis du Parlement, un budget exceptionnel pour mon ministère en hausse de 8% en 2021 mais également en 2022. Au total c’est une augmentation de 30% sur l’ensemble de ce quinquennat, dont 18% pour les services judiciaires. Grâce à ces budgets, ce sont 698 magistrats qui auront été recrutés sur le quinquennat. Par exemple, les effectifs du tribunal judiciaire de Bordeaux sont passés entre janvier 2017 et septembre 2021 de 105 à 118 magistrats. Mais nous avons également recruté 850 greffiers et enfin 2000 contractuels, juristes assistants et renforts de greffe, qui sont venus en soutien de nos juridictions et participent ainsi à la réduction des stocks et au raccourcissement des délais de la justice. Tous ces recrutements sont pérennisés à la demande des juridictions.
Grâce à ce budget, nous avons mis en place la justice de proximité.
Au pénal, cela s’est traduit par une augmentation significative du nombre de délégués du procureur qui désormais rendent des décisions lors d’audiences foraines au plus près de nos concitoyens, dans des point-justice ou des tribunaux de proximité : à Gien, à Villeneuve-sur-Lot, à Saint-Denis, à Cholet, etc…
Et parfois même dans des lieux de justice fermés lors de la réforme de la carte judiciaire de 2008 et que nous avons rouverts : je pense par exemple à Mauriac ou Louviers.
Grâce à ce budget, nous avons commencé à réduire les stocks en matière civile. Voici quelques illustrations : à Fort-de-France, la juridiction a pu résorber totalement en deux ans le stock de 615 convocations de tutelles en retard, grâce à la création d’une audience supplémentaire. A Sarreguemines le stock des affaires familiales est passé de 615 affaires à 282 en 6 mois. A Perpignan, les stocks ont diminué de 38%. Voilà des exemples concrets qui nous font espérer des jours meilleurs pour la justice de notre pays.
Par ailleurs, votre métier est un des plus exigeants et je mesure combien les situations humaines que vous rencontrez peuvent influer sur votre vie personnelle. Il est essentiel que vous soyez soutenus afin d’éviter les situations d’isolement. Des psychologues seront prochainement recrutés au sein des cours d’appel. De même dès cette année, un tutorat / parrainage sera proposé à tous les auditeurs sortant d’école pour les accompagner sur les premiers mois de leur prise de fonction afin d’éviter leur isolement.
Alors bien sûr des efforts restent à faire, j’en suis parfaitement conscient et vous pouvez compter sur moi pour être à la tâche jusqu’au bout. La question des moyens reste évidemment un sujet majeur sur lequel nous devons encore avancer. Un travail important impliquant la direction des services judiciaires et l’Inspection générale et les chefs de cours est d’ailleurs actuellement mené pour objectiver les besoins des juridictions.
Mais nous devons aller plus loin. C’est pourquoi les États généraux de la justice, dont les conclusions seront rendues à la fin du mois d’avril sont une opportunité inédite et une chance pour notre justice de se réformer en profondeur.
Nous comptons d’ores et déjà 1 million de contributions sur le site parlonsjustice.fr, démontrant ainsi, s’il le fallait, combien les Français se passionnent pour leur justice et ont des choses à dire sur son fonctionnement ; démontrant également que ces États généraux sont loin du coup de com’ que certains ont voulu voir. Vous pouvez compter sur moi pour qu’ils ne soient pas une énième consultation pour rien.
Mesdames et messieurs,
Vous venez de prêter serment. Vous débutez une nouvelle vie, une vie passionnante, parfois épuisante, une vie au service de nos concitoyens, une vie au service de la Cité.
La tâche qui vous attend est immense mais elle est magnifique. Et notre justice, cette justice dont tout le monde parle souvent à tort et à travers, cette justice a besoin de vous.
Elle a besoin que vous la transformiez, que vous l’adaptiez aux aspirations de nos concitoyens, elle a besoin de votre jeunesse, de votre enthousiasme. Je veux ici citer la grande Simone Rozes, première femme présidente de la Cour de cassation qui dans une récente interview s’écriait : « ne perdez pas la foi, faites vivre la flamme ! Notre métier est dur, mais l’exercer est aussi un honneur et un privilège. Alors, tenez bon et travaillez ! »
Car vous êtes la justice de demain.
Oui j’aime passionnément la justice, j’y ai consacré ma vie. Dans mon parcours professionnel j’ai rencontré de très grands magistrats : humains, indépendants, respectueux du contradictoire. De ces femmes de ces hommes qui en quelques instants vous réconcilient avec l’idée même de justice. Je vous exhorte à être de ceux-là.
Je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui. A nouveau, laissez-moi vous féliciter pour votre nomination. Je voudrais conclure mon propos par cette phrase d’ Albert Camus : « que serait la justice sans la chance du bonheur ? ». C’est donc beaucoup de bonheur que je vous souhaite à l’aube de cette nouvelle vie.