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Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire

Publié le 18 mai 2021 - Mis à jour le 24 février 2023

Discours d’Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice

Examen en séance publique, mardi 18 mai 2021 à 17 h 00

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Seul le prononcé fait foi

Monsieur le président,

Madame la présidente de la commission des lois,

Monsieur le rapporteur,

Mesdames, messieurs les députés,

La confiance des français dans la Justice s’érode chaque jour davantage au point désormais de mettre en danger notre pacte social .

Les causes de cette défiance sont multiples et méritent que l’on s’y arrête.

L’une, bien connue, qu’il faut d’abord évoquer, trouve difficilement de remède car elle tient à la frustration inhérente à celui qui a perdu son procès.

Parmi ces mécontents, il y a par exemple celui qui en matière civile a perdu son procès et qui pense que la Justice n’est pas au rendez-vous de ses espérances, même s’il a tort et surtout s’il a tort.

En matière pénale, c’est le délinquant qui estime que la peine prononcée est trop lourde ; cela peut-être aussi la victime qui estime que l’artisan de son malheur n’a pas été suffisamment condamné. Peine trop sévère, peine trop clémente, rien n’est plus subjectif, mesdames et messieurs les députés, que l’appréciation d’une peine juste.

Tous ceux qui ont été jurés le savent, au sein même du délibéré, de nombreux désaccords peuvent voir le jour sur la détermination d’une sanction. Contre cela, personne ne peut rien. La confiance ne se décrète pas, pas plus qu’elle ne s’ordonne.

Car la Justice est une institution humaine. Merveilleusement humaine mais aussi parfois terriblement humaine. C’est de cette humanité que naissent ses défaillances. Le grand juge Casamayor nous rappelait à cet égard que « la justice est une erreur millénaire qui veut que l’on ait attribué à une administration le nom d’une vertu ».

Mais il est d’autres causes de défiance, plus objectives, plus graves, qui creusent le fossé entre nos concitoyens et l’institution judiciaire. Ces causes sont connues et anciennes : elles se nomment lenteur des procédures, insuffisance chronique des moyens mais aussi méconnaissance de son fonctionnement et critiques incessantes.

Pour les deux premières causes, nous agissons et nous agissons fort, comme aucun autre Gouvernement avant nous :

  • une augmentation historique du budget de la justice de + 8 % ; +21% depuis le début de la mandature,
  • le dépassement historique du cap des 9 000 magistrats,
  • l’embauche de 2 000 autres personnels d’ici le mois de juillet, soit une hausse de près de 10 % des effectifs, pour traiter la délinquance et résorber les stocks, notamment en matière civile,
  • le doublement du nombre des délégués du procureur,
  • et vous avez également voté, mesdames et messieurs les députés, le code de la justice pénale de mineurs et la loi « justice de proximité », qui permettent une importante réduction des délais de jugement.

Une autre raison alimente la défiance des citoyens envers l’institution judiciaire : ce sont les attaques incessantes et l’instrumentalisation nocive dont elle fait l’objet.

Que les syndicats de police demandent à ce que les forces de l’ordre soient respectées dans notre pays, c’est légitime. Un certain nombre d’entre eux manifesteront d’ailleurs demain. Je veux leur assurer ici l’expression de ma considération mais, la justice, elle aussi, mérite le respect. Police et justice sont dans la même « barque républicaine » . Au quotidien, sur le terrain, loin des plateaux télévisés, policiers et magistrats travaillent ensemble, et travaillent bien.

J’entends donc aujourd’hui, face aux critiques, être l’avocat de la justice, trop facilement coupable, aux yeux de certains, de tous les maux de notre société. Ainsi peut-on notamment entendre, à longueur de journée, que la justice est laxiste !

Je vous livre donc quatre séries d’éléments et quatre questions :

  • 132 000 peines d’emprisonnement fermes ont été prononcées en 2019, alors qu’elles étaient 120 000 en 2015 : est-ce cela le laxisme ?
  • Le nombre total d’années d’emprisonnement prononcées par les juridictions est en hausse : 113 000 années d’emprisonnement en moyenne entre 2016 et 2019 contre 89 000 années d’emprisonnement entre 2001 et 2005 : est-ce cela le laxisme ?
  • Entre 2002 et 2020, avant le confinement, la population carcérale a augmenté de près de 25 000 personnes, avec les problèmes de surpopulation carcérale déplorés sur tous ces bancs : est-ce cela le laxisme ?
  • Lorsque l’avocate générale dans le procès Lellandais demande 30 ans de peine d’emprisonnement dans son réquisitoire mais que c’est le jury populaire, des Français, qui le condamne à 20 ans : est-ce cela le laxisme ?

Ces chiffres sont l’illustration de difficultés et de défaillances dont la Justice ne peut pas être tenue seule responsable. Parce que les hommes qui lui sont présentés sont d’abord le fruit de leur histoire, de leur éducation, de leur milieu socio-culturel, la Justice doit juger et punir leurs actes à la lumière de leur personnalité ; elle ne peut pas réécrire leur vie. Mais elle doit pouvoir faire aussi, sans tomber dans l’automatisme, la différence entre un primo-délinquant inséré socialement et un récidiviste endurci.

Si certains responsables politiques ont choisi délibérément de jeter l’opprobre sur l’institution judiciaire pour promettre aux Français le mirage d’une société sans aucune violence ni crime, je fais, moi, le choix de la vérité et de l’action.

Enfin, dans cette époque où la polémique a pris le pas sur la nuance et le populisme sur la réflexion, le flux continu des approximations et des contre-vérités jette sur la justice un éclairage sans nuance.

C’est pourquoi à l’article premier de cette loi, j’ai souhaité que la justice soit filmée afin que nos compatriotes puissent mieux connaître et comprendre le fonctionnement de nos institutions et en appréhender ainsi toutes les difficultés.

Bien sûr, toutes les garanties ont été prises, et renforcées d’ailleurs par votre commission des lois : qu’il s’agisse du droit à l’image, du droit à l’oubli, de la présomption d’innocence. Et les diffusions n’interviendront pas avant que l’affaire ne soit définitivement jugée.

Il est indispensable dans la période troublée que nous connaissons que la Justice vienne à la rencontre des Français pour qu’ils se forgent une intime conviction sur son fonctionnement.

Que les choses soient claires  : il ne s’agit en aucun cas de verser dans la " justice spectacle", mais tout au contraire de permettre par des explications pédagogiques et accessibles à tous de mieux appréhender le fonctionnement de la justice, et je me félicite d’ailleurs des améliorations que nos débats en commission ont permis sur ce point. En tout état de cause, ni les images des mineurs ou des majeurs protégés, ni celles des forces de l’ordre ne pourront être diffusées et seront obligatoirement anonymisées sans exception possible.

Enfin, le travail de réflexion du rapporteur a également permis d’enrichir cet article par la création d’une incrimination spéciale en cas de diffusion d’images ne respectant pas ces dispositions, assurant ainsi la meilleure protection possible aux justiciables.

Le texte que je vous présente vise ensuite à renforcer les droits de nos concitoyens au cours de la procédure pénale, et cela dès le stade de l’enquête préliminaire qui avant 1959, portait le doux nom d’enquête officieuse. Suspecter une personne pendant 3 ans, 4 ans, 5 ans, sans qu’elle ait accès à son dossier et sans qu’elle puisse se défendre est gravement attentatoire aux droits de l’homme ; pire encore, lorsque son honneur est livré aux chiens.

C’est pourquoi la durée des enquêtes préliminaires de droit commun sera limitée à deux ans. L’enquête pourra néanmoins être prolongée d’un an après autorisation du procureur de la République pour tenir compte de la complexité des investigations. Il sera toujours possible, en outre, de recourir à l’ouverture d’une information judiciaire.

Elle sera également ouverte au contradictoire en cas d’audition, de perquisition ou s’il a été porté atteinte, médiatiquement, à la présomption d’innocence d’un mis en cause. J’ajoute que les sanctions pénales et pécuniaires encourues en cas de violation du secret de l’enquête ou de l’instruction seront rehaussées.

Par ailleurs, il est urgent de restaurer le secret qui lie l’avocat et son client mais qui ne cesse de se déliter au point de ne plus protéger efficacement le justiciable. Dans une récente enquête, 93% des Français estiment d’ailleurs que ce secret est aussi important que le secret médical. Disons-le clairement, il ne s’agit pas de protéger l’avocat, mais bien le justiciable.

C’est pourquoi les actes d’enquête les plus intrusifs à l’encontre d’un avocat, s’agissant de l’exploitation ou l’interception de ses communications téléphoniques, comme la perquisition de son cabinet, ne seront désormais possibles qu’à des conditions très strictement encadrées.

Enfin, s’agissant du jugement des crimes, le projet de loi traduit tout à la fois l’attachement de nos concitoyens à la cour d’assises et l’efficacité permise par l’institution des cours criminelles départementales.

D’abord, l’expérimentation réussie des cours criminelles départementales me conduit aujourd’hui à vous proposer leur généralisation. Car, disons-le :

  • les magistrats et les avocats expriment leur satisfaction,
  • les justiciables également puisque les taux d’appels sont de 10 points inférieurs à ceux des appels interjetés contre les verdicts des cours d’assises,
  • les délais d’audiencement sont deux fois inférieurs.

Ces juridictions permettent également de régler le problème de la correctionnalisation des viols incompréhensible et si mal vécue par les victimes.

Mais il convient aussi, face aux procès d’intention, de réaffirmer l’importance de la cour d’assises, qui est non seulement pérennisée pour les crimes les plus graves mais aussi comme juridiction d’appel des verdicts rendus par les cours criminelles départementales.

De surcroît, j’ai tenu à redonner ses lettres de noblesse à la souveraineté populaire en faisant en sorte qu’aucune décision de culpabilité ne puisse être prise sans les voix de la majorité des jurés.

Restaurer la confiance, c’est également redonner du sens à la peine d’emprisonnement et prévenir plus efficacement la récidive.

Si la prison est nécessaire pour mettre à l’écart les individus dangereux et préserver la sécurité de nos concitoyens, elle doit aussi favoriser leur réinsertion.

En fin de peine, nous le savons tous, une libération accompagnée réduit par deux le risque de récidive. Or, trop de détenus sont encore libérés sans aucune prise en charge. C’est pourquoi nous avons conçu un mécanisme systématique de suivi des détenus à 3 mois de leur libération.

Par ailleurs, s’agissant des réductions de peines je souhaite à la fois durcir le régime applicable aux condamnés pour des faits de violence commise envers les forces de l’ordre et mettre un terme aux crédits automatiques de peine, système totalement hypocrite de régulation carcérale que nos concitoyens ne comprennent pas.

Le nouveau mécanisme que nous avons conçu met fin à cette automaticité pour mettre enfin en valeur le mérite, les efforts et la bonne conduite envers le personnel pénitentiaire qui sont des gages tangibles de la volonté du détenu de se réinsérer.

L’objectif essentiel de cette réforme est de favoriser la réinsertion, de rappeler que les exigences de la vie en société ne peuvent s’effacer en entrant en prison, que les sens de l’effort et du travail ne sont pas des sens interdits. Cette mesure incitera les détenus à accomplir des efforts qui pourront prendre des formes différentes : apprendre à lire, se soigner, se désintoxiquer, suivre une formation…

Dans les années 2000, 50 % des détenus travaillaient. Ils ne sont plus aujourd’hui que 29 %. Pour inverser cette tendance, j’ai dès à présent mobilisé un grand nombre d’acteurs économiques susceptibles d’offrir du travail en prison.

Dans cette optique, j’ai souhaité que soit créé un contrat d’emploi pénitentiaire pour le détenu qui exerce une activité professionnelle. Il sera assorti d’un certain nombre de droits sociaux dès la libération, tels que l’assurance chômage ou l’accès à l’assurance vieillesse. Il s’agit là d’une question de dignité et un levier essentiel pour mieux lutter contre la récidive.

Enfin, le texte que je vous présente vise à restaurer la confiance envers les professionnels du droit qui constituent souvent le premier contact de nos concitoyens avec le monde judiciaire.

Les règles déontologiques qui régissent les professions des officiers publics et ministériels et des avocats sont anciennes et complexes et donnent lieu à très peu de sanctions. Nos concitoyens peuvent avoir parfois le sentiment d’un entre-soi et d’un contrôle disciplinaire défaillant.

Le projet de loi modernise en profondeur les règles applicables, en prévoyant d’abord que chaque profession devra se doter d’un code de déontologie.

Il renforce ensuite la place de l’usager qui devra être systématiquement informé des suites données à sa réclamation et pourra saisir directement la juridiction disciplinaire en l’absence de conciliation ou de poursuites.

Enfin, cette refonte du système passe également par la modernisation de l’échelle des peines et par la création de véritables juridictions disciplinaires, composées pour une plus grande impartialité de manière échevinale avec des avocats et des magistrats.

Je tiens enfin à remercier le rapporteur Stéphane Mazars, ainsi que la députée Laëtitia Avia pour la qualité de leur travail dans la construction de ce texte, et leur engagement continu en matière de justice. Mais plus largement, c’est l’engagement de la majorité dans son ensemble que je tiens à saluer, madame la députée Vichnievsky et monsieur le député Houbron. Il s’agit là d’une œuvre commune pour la justice de notre pays.

Mesdames, messieurs les députés, si nous parvenons à rendre notre justice plus proche, plus lisible, plus accessible, plus efficace, alors nous aurons fait œuvre utile, et nous pourrons nous souvenir des mots de Camus nous invitant à faire de la justice « une chaleur de l’âme ».