Les juridictions interrégionales spécialisées
Mises en place en 2004, les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) sont compétentes pour juger deux types d’infractions quand elles sont d’une grande complexité :
- le crime organisé : trafic de stupéfiants, traite des êtres humains, proxénétisme aggravé, crime aggravé d’extorsion, trafic d’armes, crime de fausse monnaie et toutes les infractions en bande organisée ;
- la délinquance financière : abus de biens sociaux, travail illégal, utilisation frauduleuse de données de cartes bancaires, abus de confiance, escroquerie à la TVA, blanchiment, contrefaçon, corruption, prise illégale d’intérêt, trafic d’influence, infractions douanières.
Pour la criminalité organisée, la juridiction interrégionale spécialisée est compétente s’il existe notamment :
- une pluralité d’auteurs et de complices ;
- un caractère organisé et planifié des faits commis par des bandes structurées et hiérarchisées ;
- une dimension nationale ou transnationale des faits ou de l’organisation criminelle ;
- la puissance financière et la surface patrimoniale de l’organisation criminelle ;
- un nombre important de victimes ;
- des préjudices importants.
La JIRS s’occupe entièrement de l’affaire, c’est-à-dire de l’enquête, de l’instruction, des poursuites et du jugement.
Cette juridiction bénéficie de dispositifs d’investigation dérogatoires : infiltrations, mises sur écoute d’un lieu, équipes d’enquête communes à plusieurs pays.
Il s’agit d’une compétence territoriale qui concerne huit juridictions : Paris, Lyon, Marseille, Lille, Rennes, Bordeaux, Nancy, Fort-de-France.
Les JIRS regroupent des magistrats du parquet et de l’instruction qui possèdent de solides connaissances en matière de criminalité organisée et en matière économique et financière. L’École nationale de la magistrature leur assure une formation approfondie dans ces domaines, à l’instar des autres juridictions spécialisées.
Ils sont assistés par d’autres professionnels (des douanes, des impôts, etc.).
La juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée
Créée en 2019 au sein du tribunal judiciaire de Paris, la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO) est en charge de la lutte contre la criminalité de très grande complexité dans les mêmes domaines que les juridictions interrégionales spécialisées (narcotrafic, cybercriminalité, traite d’êtres humains, proxénétisme, criminalité organisée financière, blanchiment aggravé…).
Cette très grande complexité peut résulter :
- de l’envergure nationale ou internationale d’une affaire, avec le cas échéant le recours à l’entraide pénale internationale, dont les mécanismes sont complexes ;
- de faits relatifs à des groupes criminels présentant des capacités financières, des niveaux d’organisation et de structuration hautement sophistiqués, ou ayant démontré leur capacité à corrompre les acteurs ou structures de l’État, ou à pénétrer l’économie légale ;
- du nombre important d’auteurs, de victimes ou de faits commis ;
- de l’usage, par les groupes criminels, des technologies les plus innovantes, qui imposent une connaissance et une expertise fines de ces phénomènes.
Les juridictions du littoral spécialisées
Les juridictions du littoral spécialisées (JULIS) ont été créées en 2001 afin de juger les infractions en matière de pollution des eaux marines et des voies ouvertes à la navigation maritime commises dans les eaux territoriales (trois façades métropolitaines et certains territoires ultramarins), les eaux intérieures et les voies navigables françaises jusqu'aux limites de la navigation maritime.
Leur compétence matérielle a été étendue aux infractions d’atteinte aux biens culturels maritimes (gisements, épaves, vestiges ou tout bien présentant un intérêt préhistorique, archéologique ou historique) en 2016.
Les sièges des JULIS se situent au sein des tribunaux judiciaires de Brest, du Havre, de Marseille, de Fort-de-France, de Saint-Denis-de-la-Réunion et de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Le tribunal judiciaire de Paris est quant à lui compétent pour le jugement des infractions de pollutions maritimes commises en haute mer.
Les pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement, ou pôle régional environnement
Afin de traiter plus efficacement les infractions environnementales complexes, ainsi que les affaires civiles relatives au préjudice écologique et les actions en responsabilité civile prévues par le code de l’environnement, les pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement, ou pôles régionaux environnementaux (PRE) ont été créés en 2020.
Les PRE sont des juridictions territorialisées, instaurées au sein d’un tribunal judiciaire déterminé par décret, dans le ressort de chaque cour d’appel.
La compétence des PRE s’étend :
- aux délits prévus par le code de l’environnement ;
- aux délits prévus par le code forestier ;
- à certaines infractions du code rural et de la pêche maritime et du code minier ;
- ainsi qu’à toutes les infractions qui leur sont connexes.
Les PRE sont compétents pour connaître des affaires relatives à ces infractions qui « sont ou apparaîtraient complexes ». La complexité de l’affaire est appréciée au regard de sa technicité, de l’importance du préjudice causé ou encore du ressort géographique sur lequel l’infraction s’étend.
Les tribunaux maritimes
Les tribunaux maritimes ont été créés en 2012 et ont remplacé, depuis le 1er janvier 2015, les tribunaux maritimes commerciaux.
Ils se situent auprès des tribunaux judiciaires de Bordeaux, Brest, Cayenne, Le Havre, Marseille et Saint-Denis de La Réunion. Leur compétence territoriale couvre le ressort de plusieurs cours d’appels.
Les tribunaux maritimes sont exclusivement compétents pour connaître des délits maritimes prévus par le code des transports et par l'ordonnance du 8 décembre 2016 relative aux espaces maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction de la République française, ainsi que pour les contraventions connexes.
Ils disposent également d’une compétence concurrente pour connaitre des délits de droit commun de blessures et homicides involontaires, de mise en danger de la vie d’autrui, de non empêchement de crime ou de délit contre l’intégrité corporelle, de non-assistance à personne en péril, d’abstention de combattre un sinistre, de délit de fuite et de dégradations volontaires, si ces faits sont connexes à un délit maritime.
Les pôles de santé publique et de l’environnement (PSPE)
Les tribunaux judiciaires de Paris et Marseille accueillent en leur sein deux juridictions interrégionales spécialisées en matière de santé publique et d’environnement, qui traitent notamment les grandes affaires judiciaires relatives à des produits de santé mettant en cause un nombre important de victimes.
Créés en 2002, ces pôles de santé publique et de l’environnement (PSPE) disposent d’une compétence concurrente à celle de toutes les juridictions métropolitaines et d’outre-mer. Le PSPE de Paris est compétent sur le ressort de 25 cours d’appel et celui de Marseille sur le ressort de sept cours d’appel.
Limitée à l’origine aux affaires concernant les produits de santé et les produits alimentaires, leur compétence a été étendue en 2004 à certaines atteintes environnementales, puis, en 2016, aux infractions du code du sport, notamment le dopage, et aux pratiques médicales, paramédicales et esthétiques.
Ces juridictions sont compétentes pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des délits dans les affaires relatives à un produit de santé ou à un produit destiné à l’alimentation de l’homme ou de l’animal, ou à un produit ou une substance auxquels l'homme est durablement exposé, et qui sont réglementés en raison de leurs effets ou de leur dangerosité, et qui présentent un caractère de grande complexité.
Cette grande complexité peut résulter de différents critères :
- l’aspect international de l’affaire ;
- la technicité de la matière, notamment scientifique ;
- l’importance du préjudice causé, notamment du nombre de victimes ;
- le niveau des responsabilités en cause.
Le pôle national de lutte contre la haine en ligne
Afin de lutter contre les propos haineux ou discriminatoires et les appels à la violence dans l'espace public numérique, le pôle national de lutte contre la haine en ligne a été créé en 2020 au sein du tribunal judiciaire de Paris.
Il exerce une compétence concurrente lorsque les propos diffusés sur internet visibles depuis n’importe quel point du territoire national sont susceptibles de constituer les infractions suivantes :
- la provocation directe non suivie d’effet à la commission d’un crime ou d’un délit ;
- les délits de provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence, d’injure publique et de diffamation publique à raison de l’appartenance ou de la non-appartenance, réelle ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion, ou à raison du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre ou du handicap ;
- le harcèlement moral dès lors que les messages sont publics et qu’ils comportent des éléments permettant de retenir une circonstance aggravante de discrimination fondée notamment sur la race, l’orientation ou l’identité sexuelle de la victime.
Les critères de saisine du parquet de Paris sont, sous réserve de son appréciation pour chaque procédure :
- la complexité de la procédure, résultant de la technicité de l'enquête, de vérifications internationales, de la multiplicité d'auteurs et notamment lorsqu'ils sont localisés en de multiples points du territoire ;
- le fort trouble à l'ordre public engendré par les faits, notamment en cas de retentissement médiatique important ou la sensibilité particulière de l'affaire au regard de la personnalité de la victime ou du contexte des faits.
Le pôle n’a pas vocation à connaître ces infractions lorsque, bien que publiques et commises par voie numérique, elles interviennent dans un cadre interpersonnel, notamment familial ou professionnel.
Le pôle des crimes sériels ou non élucidés
Le pôle dédié au traitement des crimes sériels ou non élucidés (PCSNE) a été créé en 2022 au sein du tribunal judiciaire de Nanterre. Ce pôle exerce sur l’ensemble du territoire national une compétence concurrente à celle des juridictions de droit commun portant sur l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des crimes sériels ou non élucidés plus de 18 mois après les faits et lorsque les investigations les concernant présentent une certaine complexité.
Le pôle est ainsi compétent pour traiter des crimes de meurtre et d’empoisonnement, d’actes de torture et de barbarie, de viol et d’enlèvement ou séquestration, ainsi que les délits connexes à ces crimes, à une double condition :
- que les investigations présentent une complexité particulière
- que l’une au moins des conditions alternatives suivantes soit remplie :
- ces crimes ont été commis ou sont susceptibles d'avoir été commis de manière répétée à des dates différentes par une même personne à l'encontre de différentes victimes ;
- leur auteur n'a pu être identifié 18 mois après la commission des faits.
D’autres critères doivent donc être pris en compte pour que le pôle cold case se saisisse :
- les enjeux tenant à la dimension nationale ou internationale des faits ;
- des investigations nécessitant un haut niveau de technicité et d’expertise ;
- des dossiers ne relevant pas de la compétence du pôle spécialisé (selon plusieurs critères).
Les parquets spécialisés
Le parquet national financier
Le parquet national financier (PNF) a débuté son activité en 2014. C'est un parquet :
- à compétence nationale : il enquête sur des infractions commises sur l’ensemble du territoire français ;
- spécialisé : son action est ciblée sur les enquêtes pénales les plus complexes dans le domaine de la délinquance économique et financière ;
- autonome : il dispose de moyens propres entièrement dédiés à la lutte contre la délinquance économique et financière.
Son champ de compétence recouvre quatre catégories d’infractions :
- les atteintes aux finances publiques (les délits de fraude fiscale complexe, de fraude fiscale commise en bande organisée, d’escroqueries à la TVA de grande complexité et de blanchiment des infractions précitées) ;
- les atteintes à la probité (les délits de corruption, de trafic d’influence, de prise illégale d’intérêts, de pantouflage, de concussion, de favoritisme, de détournement de fonds publics, d’obtention illicite de suffrages en matière électorale…) ;
- les atteintes au bon fonctionnement des marchés financiers (les délits d’initié, de manipulation de cours ou d’indice, de diffusion d’informations fausses ou trompeuses) ;
- Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 24 décembre 2020, le PNF a vu sa compétence étendue aux atteintes au libre jeu de la concurrence (les délits d’entente illicite et d’abus de position dominante).
En matière d’atteintes aux finances publiques, à la probité et à la concurrence, le PNF dispose d’une compétence concurrente à celle des autres parquets territoriaux et juridictions spécialisées (JIRS). Cela signifie que les autres parquets près les tribunaux judiciaires sont également compétents pour traiter ce type d’infractions.
Toutefois, en matière d’atteintes aux marchés financiers, sa compétence est exclusive, ce qui signifie que le PNF est la seule autorité judiciaire compétente pour enquêter et poursuivre pénalement ce type d’infractions.
Le parquet national antiterroriste
Le parquet national antiterroriste (PNAT) a été créé en 2019 pour consolider le dispositif français de lutte contre le terrorisme et les crimes internationaux reposant sur la spécialisation et la centralisation des magistrats agissant en la matière. Situé au sein du tribunal judiciaire de Paris, le PNAT dispose, comme les parquets locaux, d’une compétence pour la poursuite, le jugement et l’exécution des peines dans les domaines suivants :
- les infractions terroristes ;
- les infractions relatives à la prolifération d’armes de destruction massive et leurs vecteurs ;
- les crimes contre l’humanité et les crimes et délits de guerre ;
- les crimes de tortures commises par les autorités étatiques et les crimes de disparitions forcées.
En pratique, les procureurs de la République locaux font systématiquement remonter ce type d’infractions au PNAT, qui s’en saisit de manière exclusive.
La poursuite de ces infractions répond à un régime procédural dérogatoire permettant la mise en œuvre de techniques spéciales d’enquête. La spécificité de ces contentieux justifie par ailleurs une grande maitrise par ces magistrats spécialisés tant des enjeux géopolitiques que des mécanismes de coopération internationale.
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