[Archives] Déplacement du ministre au Centre de Détention de Bapaume

Publié le 19 octobre 2006

Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux

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Monsieur le Médiateur de la République,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Directeur,
Mesdames et Messieurs les magistrats,
Mesdames, Messieurs,

Je suis particulièrement heureux de me retrouver aujourd’hui, parmi vous, au centre de détention de Bapaume.

C’est pour moi une nouvelle occasion de rendre hommage à l’ensemble du personnel pénitentiaire. Ici, comme dans les autres établissements pénitentiaires, des femmes et des hommes, de jour comme de nuit, se dévouent au service du bien public pour assurer la sécurité des Français.
L’administration pénitentiaire, représente aujourd’hui plus de 30.000 personnes qui participent quotidiennement à la lutte contre la délinquance et à la prévention de la récidive sur l’ensemble du territoire national.

Vous exercez un travail difficile et vous y montrez des qualités humaines qui impressionnent tous ceux qui vous connaissent : l’écoute, le dialogue, le courage et la loyauté. Elles font de vous des fonctionnaires essentiels à l’exercice de l’autorité de l’Etat au sein de la troisième force de sécurité de la nation.

C’est également pour moi l’occasion de montrer la volonté du gouvernement d’investir dans sa justice et dans son système pénitentiaire. Depuis 2002, le budget de la justice a augmenté de près de 38%, ce qui se manifeste encore dans le cadre du Projet de Loi de Finances pour 2007 qui accorde à la justice la plus forte progression budgétaire des différents départements ministériels.
Les engagements pris par le Président de la République pour rétablir la sécurité publique n’auraient pu, en effet, être tenus si nous n’avions pas mené une politique pénitentiaire ambitieuse.

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1 – L’ambition pénitentiaire du gouvernement est avant tout de mener une politique de sécurité au service des Français.

Afin de lutter contre la vétusté et le surencombrement des établissements pénitentiaires, il était urgent d’engager un programme immobilier digne de ce nom.

Le taux d’emprisonnement pour 100 000 habitants est de 93 en France. Ce taux est comparable à celui des pays voisins. Il est inférieur à ceux constatés au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Espagne. Il n’y a donc pas trop de détenus en France mais pas assez de places de prison modernes.

La modernisation de notre parc pénitentiaire a été engagée par la Loi d’Orientation et de Programmation pour la Justice en 2002, avec le lancement de la construction de 13 200 nouvelles places de détention.

La réalisation d’un tel programme prend nécessairement du temps. En attendant, nous ne sommes pas restés inactifs. Grâce à l’ouverture des 6 établissements lancés par Pierre Méhaignerie et à un programme de rénovation des bâtiments au sein des prisons, plus de 3.000 places ont été mises en service et des établissements vétustes ont pu fermer.

Grâce à ces efforts, le nombre d’établissements suroccupés a sensiblement diminué depuis 2002.

Cette politique de sécurité répond à trois objectifs.

D’abord, protéger les Français en conduisant une politique de fermeté face à la délinquance.

Chaque infraction doit entraîner une réponse pénale systématique, et lorsqu’une peine d’enfermement est décidée par le juge, elle doit être exécutée dans les délais les plus brefs. Le parc pénitentiaire français doit être en mesure d’assurer l’exécution des décisions de justice. Il en va de la crédibilité de la réponse judiciaire à faire reculer l’insécurité.

On ne rappellera jamais assez que l’administration pénitentiaire a pris toute sa place dans la lutte contre la délinquance et a fortement contribué au rétablissement de la sécurité des Français.

J’ajoute que la fermeté est une condition du respect des droits des victimes. L’exécution de la peine c’est aussi, bien souvent, indemniser la victime et veiller à sa protection dans la durée.

Cette politique vise ensuite à lutter contre la récidive.

La prison n’est pas la seule peine et c’est la gravité de l’acte délictuel ou criminel qui doit conduire en prison. Ensuite, il faut disposer de régimes de détention variés et y affecter les détenus en fonction de leur personnalité et de l’évolution de leur comportement. C’est pourquoi il me semble essentiel de séparer les condamnés des prévenus et les mineurs des majeurs.

Dès 2007, ouvriront les Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs qui offriront une réponse supplémentaire au cas, bien spécifique, des mineurs délinquants multirécidivistes. La spécificité de la justice des mineurs ne signifie pas que l’éloignement et l’emprisonnement des plus dangereux d’entre eux soient toujours à proscrire. Dans un lieu isolé des majeurs, tourné vers l’éducatif, et la réinsertion, ils pourront faire l’apprentissage des règles fondamentales de vie en société. Il va de soit que ces nouveaux établissements sont très attendus.

Enfin, cette politique vise à mieux sécuriser les établissements pénitentiaires.

Plus que tout autre endroit, les prisons doivent être des lieux de sécurité, pour la société, les personnels et les détenus eux-mêmes. Les efforts consacrés depuis 2002 ont porté leurs fruits. La France dispose désormais d’un des taux d’évasion les plus faibles d’Europe. Conforter ce résultat nécessite une adaptation permanente des dispositifs de sécurité. Les programmes d’équipement des personnels et des prisons en moyens de protection, par exemple contre les intrusions par voie aérienne ou par l’installation de brouilleurs de portables, seront poursuivis.

Le Ministère de la Justice s’est fortement investi pour attirer, recruter et former les fonctionnaires pénitentiaires qui serviront la France dans ces nouveaux établissements. Il a pu attirer les jeunes vers ces métiers en valorisant vos fonctions et en montrant la réalité du travail pénitentiaire à l’opinion publique.

Depuis 2002, il a pu recruter grâce à la création de 4000 nouveaux postes, auxquels s’ajouteront 700 autres en 2007.

Il a aussi pu former ces serviteurs de l’Etat en modernisant leur formation à travers l’Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire, orientée vers l’acquisition des gestes professionnels.

Les métiers pénitentiaires exigent une très grande maîtrise de soi, une attention de tous les instants, la capacité de détecter une tentative de suicide ou d’évasion, la capacité de gérer un refus des détenus de réintégrer leur cellule, mais aussi une aptitude à surmonter parfois un traumatisme. C’est pourquoi cette école délivre un enseignement qui véhicule des valeurs, qui sont celles de la République.

J’ai en effet la conviction, comme tous les personnels pénitentiaires, que ce n’est qu’au sein d’une prison républicaine et citoyenne ayant proscrit tout recours à l’arbitraire que nous pourrons limiter les récidives.

Assurer la sécurité dans le respect des détenus, maintenir l’ordre dans le respect des hommes et des femmes qui vous sont confiés, prévenir de nouvelles infractions en stimulant la volonté des détenus de se réinsérer, voilà la mission que la République vous confie. Elle est exigeante, mais elle est enthousiasmante.

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2 – Car la politique pénitentiaire du gouvernement est également une politique humaniste.

Notre politique pénitentiaire a un devoir : assurer la dignité des détenus.

Créer et garantir des conditions de détention dignes et humaines représentent une exigence qui doit être au cœur de l’action de l’administration pénitentiaire.

C’est pourquoi, j’ai souhaité que la France adopte les Règles Pénitentiaires Européennes présentées par le Conseil de l’Europe et les fasse connaître à l’ensemble des personnels pénitentiaires.

En effet, nous devons avant tout assurer le respect de la personne humaine par des conditions de vie décentes.

Nous savons tous que la solution réside dans la construction de nouveaux établissements pénitentiaires. Mais cela n’est pas suffisant. C’est pourquoi la réhabilitation des 6 000 places vétustes des grandes maisons d’arrêt, comme celles des Baumettes à Marseille, de Fleury-Mérogis et de la Santé à Paris, a été engagée.

Les personnes placées sous main de justice sont souvent des personnes en situation de grande fragilité, touchées par l’illettrisme, le chômage et des troubles psychologiques.
C’est pourquoi la prise en charge médicale des détenus a été entièrement réformée pour favoriser les soins, et in fine, la réinsertion.
Il n’était pas acceptable de tolérer que les détenus connaissant des difficultés sanitaires soient mal soignés ou soignés très loin de leur lieu d’incarcération.

Un programme d’aménagement de chambres sécurisées a donc été élaboré et mis en œuvre au sein des hôpitaux. Entre 2006 et 2008, l’administration pénitentiaire aménagera 208 chambres sécurisées. A terme, les établissements de santé disposeront de 250 chambres habilitées à recevoir des détenus dans 133 hôpitaux.

Pour les détenus les plus gravement malades, nous avons créé des Unités Hospitalières Sécurisées Interrégionales (UHSI). Ces unités accueilleront dans 8 centres hospitaliers universitaires (CHU) les personnes détenues, devant subir une hospitalisation programmée supérieure à une durée de 48 heures.

Aujourd’hui, 77 lits en UHSI sont déjà opérationnels et 61 lits supplémentaires seront disponibles à l’automne 2006, pour un objectif total de 182 lits d’UHSI en 2008.

Afin de mieux soigner les détenus atteints de pathologies psychiatriques, il sera créé, au sein des établissements de santé, 705 lits répartis dans 17 unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), dont les premières ouvriront dès 2008.

L’humanité signifie enfin assurer la continuité des liens familiaux en détention.

J’ai la conviction que c’est avec la famille que se joue la réinsertion. Si elle s’éloigne, le détenu purgeant une longue peine se sent doublement isolé. Si elle s’en rapproche, le détenu peut envisager sa sortie avec espoir. C’est pourquoi j’ai souhaité que soient généralisées les Unités de Visites Familiales qui sont des appartements meublés au sein de l’établissement pénitentiaire où le détenu peut recevoir sa famille dans l’intimité.

Sept centres pénitentiaires en disposent déjà et tous les nouveaux centres de détention pour longues peines du programme 13 200 places en seront dotés. En outre, seront installés des parloirs familiaux dans les maisons centrales où la configuration des lieux ne permet pas de créer des UVF.

En effet, notre politique pénitentiaire a un objectif central : assurer la réinsertion des détenus.

La prison ne doit pas être un lieu de désespérance. Elle doit être un moment utile, tourné vers la réinsertion.

Le temps qu’une personne passe en détention peut, en effet, être l’occasion de rompre avec une spirale d’échecs et lui permettre de prendre enfin un nouveau départ et préparer sa réinsertion ou plutôt, pour le plus grand nombre, préparer sa première insertion dans la vie sociale et professionnelle. Cela implique une réelle pédagogie de la sanction de la part de tous ceux qui interviennent en milieu pénitentiaire.

Lorsqu’il existe une réelle volonté du détenu et une équipe dynamique, les résultats sont plus qu’encourageants. Ainsi, sur 400 personnes entrées dans le programme EQUAL mené à Bapaume depuis 3 ans, plus de 160 personnes ont été placées dans des entreprises avec des contrats de longue durée.
Nous devons intensifier nos efforts pour que l’insertion professionnelle des détenus en fin de peine devienne une réalité.

Favoriser la réinsertion, c’est avant tout aider les détenus à préparer leur projet d’exécution de peine, débouchant, le cas échéant, sur des mesures d’aménagement de peines.

Les dispositifs sont nombreux : semi-liberté, bracelet électronique, placement extérieur, libération conditionnelle. Ils seront prochainement renforcés par la mise à disposition de bracelets électroniques mobiles, actuellement expérimentés dans deux cours d’appel.

Ils sont utiles, car ils sont un premier pas réalisé en faveur de la réinsertion, et c’est là l’honneur et la difficulté du métier de magistrat que de prendre ces décisions difficiles qui, incontestablement, permettent de lutter contre la récidive. En effet, une réinsertion réussie est un risque de récidive qui disparaît.

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3 – La politique pénitentiaire est aussi une politique de l’accès aux droits des détenus.

Les valeurs d’humanité, de fraternité et de justice, fondatrices du pacte républicain, doivent avoir toute leur place au sein de nos établissements. La prison n’est pas l’ennemie du droit, bien au contraire.

Le développement des points d’accès aux droits dans de très nombreux établissements grâce à la forte implication des magistrats, des avocats et des associations garantit aux détenus les plus démunis de trouver les informations pratiques qui leur permettront de faire valoir leurs intérêts dans les litiges de la vie quotidienne, par exemple dans le cadre d’une succession ou d’un divorce.

Cette action s’est trouvée récemment renforcée par l’intervention de délégués du Médiateur de la République dans les prisons.

Au sein de 10 établissements pénitentiaires, un délégué du Médiateur de la République assure une permanence d’une demi-journée par semaine et intervient lorsque les personnes détenues sont en litige avec une administration française, y compris l’administration pénitentiaire.

Les résultats de cette expérimentation sont désormais connus : les délégués du Médiateur ont été bien accueillis par les fonctionnaires pénitentiaires, les détenus ont eu un meilleur accès à leurs droits, des solutions concrètes ont été trouvées aux problèmes administratifs des détenus.

J’ai souhaite donc généraliser cette expérimentation, et j’ai proposé au Médiateur de la République de procéder à son extension dès 2007.

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4 - Je souhaite enfin que la politique pénitentiaire s’inscrive résolument dans une démarche de transparence.

Peu d’administrations sont aussi contrôlées que les prisons, que ce soit par les magistrats, par l’inspection des services pénitentiaires ou par les organismes du Conseil de l’Europe, tels que le comité de prévention de la torture ou le commissaire européen aux droits de l’homme. La France accepte ces contrôles et n’hésite pas à ouvrir ses prisons à tous ceux qui s’inquiètent des conditions de vie dans le milieu pénitentiaire. Ce contrôle s’est d’ailleurs renforcé, depuis quelques années, avec l’intervention de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité.

Je souhaite pourtant aller plus loin et montrer que les prisons françaises sont des lieux de respect et de dignité de la personne humaine.

Car la France n’a pas à rougir de ses prisons et doit le dire publiquement, comme elle s’y est engagée au niveau international en signant, le 16 septembre 2005, le protocole facultatif de la Convention des Nations Unies contre la Torture.

J’ai donc proposé au Premier ministre que les compétences du Médiateur de la République dans le champ pénitentiaire soient étendues. En effet, cette institution joue un rôle croissant dans notre société depuis sa création, en 1973, et contribue efficacement à pacifier les relations entre l’administration et les citoyens. Je souhaite donc que le Médiateur de la République devienne une autorité de contrôle extérieure et indépendante des prisons. Il pourra intervenir dans l’ensemble des établissements pénitentiaires et formuler des recommandations au Ministère de la Justice. Bien entendu, cette nouvelle mission du Médiateur de la République devra s’exercer de façon totalement distincte de celle qui est confiée à ses délégués.

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Cette ambition pénitentiaire a été, pendant trop longtemps, une succession de discours, de promesses et d’incantations. Depuis 2002, le gouvernement a donné à ces avancées une réalité concrète.

Le contrôle des établissements pénitentiaires, après la création des UHSI, des Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs, des Unités de Vie Familiales, le lancement d’un programme immobilier novateur et le développement des aménagements de peine, en est une nouvelle illustration.

Il permettra aux Français d’avoir confiance dans leur système pénitentiaire.

Je vous remercie de votre attention.


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