Passation de pouvoirs avec Monsieur François Bayrou
Publié le 17 mai 2017
Discours de Monsieur Jean-Jacques URVOAS, garde des sceaux, ministre de la Justice
Chancellerie – mercredi 17 mai 2017
Seul le prononcé fait foi
La tradition de ces cérémonies conduit souvent le ministre qui accueille à imposer à l’auditoire un regard – nécessairement laudateur - sur sa propre action.
Je ne vous l’imposerais pas car, désormais, l’essentiel, c’est ce que vous allez faire.
Je me limiterai donc à 4 modestes suggestions.
1 – Ne perdez pas de temps
Ne vous fiez pas à la majesté de cette galerie, ni à la noblesse de votre nouvelle adresse.
La réalité des juridictions est bien moins flatteuse, l’état de nos prisons, la surpopulation qui les affecte, les listes d’attente dans nos établissements de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), ne supportent pas d’attendre.
D’ailleurs, tous ceux que vous rencontrerez, tous les lieux que vous découvrirez, vous rappelleront l’urgente nécessité de doter ce ministère de moyens durables.
Pour y répondre, vous bénéficiez d’un atout puissant : l’engagement du nouveau président de la République pris à l’occasion de son discours de Lille, le 14 mars dernier, d’une «loi quinquennale pour donner de la visibilité sur les moyens et les embauches».
Par anticipation, il y a presqu’un mois, j’ai donné mission au secrétaire général du Ministère de préparer tous les documents pour que cette loi de programmation puisse être élaborée avant l’été.
Des propositions vous seront donc transmises à la fin de ce mois afin que vous puissiez procéder à vos arbitrages.
2 – Ne cherchez pas à bouleverser l'institution judiciaire, mais modernisez son fonctionnement
Parce que la justice est un service public, ce n’est pas au citoyen de chercher son juge.
Cependant l'appareil judiciaire impressionne souvent, le langage juridique est parfois hermétique et le chemin de l'accès au droit demeure encore trop labyrinthique.
Parallèlement à votre action sur les moyens, il y a donc là un vaste chantier que le récent texte sur la modernisation de la justice du 21ème siècle a ouvert.
En effet, je formule l’hypothèse que plus l’augmentation des moyens va s’opérer, plus l’institution judiciaire va devenir efficace et plus elle suscitera des demandes, car la soif de justice ne sera jamais assouvie.
Il vous faudra donc innover.
Et notamment dans l’achèvement de la révolution numérique engagée depuis plusieurs années et qui doit permettre de rendre la justice accessible et plus lisibles pour nos concitoyens.
3 – Appuyez-vous sur le Parlement
Ce ministère est particulier au regard de la mission qu’il sert car la justice est à la fois :
Un rempart qui protège les individus les uns des autres,
Et un gardien qui veille au respect des règles du vivre ensemble.
Ainsi pour nos concitoyens, à Quimper ou à Pau, la justice c'est d'abord les litiges relatifs au loyer, au crédit à la consommation, aux servitudes de passage, et, bien sûr, à la garde des enfants ou aux pensions alimentaires.
En outre, pour notre société, les prisons sont essentielles à la paix publique.
Or le niveau record de la surpopulation carcérale, les conditions indignes dans lesquelles beaucoup de détenus sont enfermés sont autant d’obstacle à une action efficace en la matière, mais également dans une lutte efficiente contre le phénomène de radicalisation.
Et je suis heureux que le Chef de l’Etat ait dans ce domaine indiqué qu’il poursuivrait le programme de construction dont j’ai pu esquisser les contours.
Prendre en charge ces enjeux impose donc de dépasser les clivages partisans.
Et à cette fin, je vous encourage à solliciter les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Elles ont toutes les deux manifesté avec constance leur intérêt pour ces sujets.
Le Parlement sera pour vous un allié précieux, notamment face à vos interlocuteurs budgétaires.
Dans tous les cas, si les Quimpérois, me renouvellent leur confiance, je serai à votre disposition pour tous les appuis dont vous pourriez avoir besoin.
Comme d’autres, je veux le succès de ce quinquennat pour poursuivre le redressement de notre pays.
4 – Enfin, préservez l’essentiel : l’indépendance
Dans la campagne qui s’est achevée, la justice a fait l’objet de mises en cause.
Je l’ai déploré.
Si j’ai cherché à faire de la justice, un sujet politique, elle ne doit pas être un objet polémique.
Voilà pourquoi, vous aurez mille fois raison de chercher à mener à bien la révision constitutionnelle qui renforcera l’indépendance des magistrats afin qu’ils puissent exercer leurs missions dans la sérénité et dans le respect du principe de l’égalité de tous devant la loi.
Un ultime mot sur le premier texte que vous aurez à préparer : celui sur la moralisation de la vie publique.
Député, j’ai été le rapporteur à l’Assemblée nationale de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
Votre tâche sera belle et utile :
Il vous faudra chercher à concilier le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs et l’indispensable regard extérieur sur les intérêts des uns et des autres.
Vous aurez donc à répondre à cette question : jusqu’où le retour à la confiance dans nos institutions impose-t-il la défiance vis-à-vis de ceux qui les incarnent ?
Là encore, vous me trouverez en tout cas à votre côté pour travailler sur ce beau texte dans un esprit de dialogue et d’ouverture, car l’Etat de la France requiert nos efforts à tous.
J’ai été bien trop long.
Les personnels ici présents savent ma gratitude, j’ai eu l’occasion de le leur dire dans une rencontre la semaine passée.
Les directeurs des administrations centrales connaissent ma reconnaissance à leur endroit, ils furent des collaborateurs loyaux et fiables.
Il me reste donc à conclure.
Je ne vous cacherais pas mon émotion.
Une grande figure de la magistrature française, André BRAUNSCHWEIG aimait dire « il faut avoir un certain amour des hommes pour être un bon magistrat ».
Ce conseil vaut, me semble-t-il aussi, pour les ministres de la justice.
Cher François,
A compter de cet instant, vous n’êtes pas seulement garde des sceaux, mais aussi :
Soldat pour gagner des moyens,
Architecte pour créer des ponts entre des mondes différents afin d’en assurer le dialogue et la complémentarité,
Jardinier pour semer et couturier pour réparer,
Chef d’orchestre pour permettre à chacun de faire entendre sa voix afin d’assurer la réconciliation des différentes.
Vous êtes dorénavant tout cela afin d’illustrer la définition que donnait le Chancelier d’AGUESSEAU du Garde des sceaux dans un discours le 18 juin 1700 : « Plein de ces grands sentiments, M. le Chancelier ne se contentera pas d’être le défenseur des lois, l’appui de la justice, le protecteur des magistrats ; il voudra que tout l’Etat recueille les fruits précieux de son heureuse magistrature ».
Lire le discours