[Archives] Plan d'action pour l'amélioration de la sûreté des juridictions

Publié le 03 février 2006

Discours du garde des Sceaux lors de son déplacement à Aix-en-Provence

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Monsieur le Préfet,
Madame le Député-Maire,
Monsieur le Directeur,
Monsieur le Premier Président,
Monsieur le Procureur Général,
Monsieur le Président,
Monsieur le Procureur,
Monsieur le Préfet délégué pour la sécurité et la défense,
Monsieur le sous-préfet,
Monsieur le Bâtonnier,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les Magistrats,
Mesdames et Messieurs,

La question de la sécurité des agents de l’Etat a pris, ces derniers mois, une nouvelle acuité. Longtemps, l’image de la puissance publique et le respect de l’intérêt général ont protégé ceux qui le servent. Nos parents n’imaginaient pas qu’un élève puisse agresser un enseignant, qu’un voyageur puisse invectiver un contrôleur de la SNCF, encore moins qu’un justiciable puisse s’en prendre à un magistrat ou à un fonctionnaire de justice.

Bien sûr des débordements ont eu lieu, mais pas avec la même fréquence ou sans raison particulière. Car le drame de cette situation nouvelle, c’est qu’un simple mécontentement peut dégénérer. La simple contestation d’une décision de justice peut entraîner une réaction violente, imprévisible et incontrôlable.

Certains y voient la fin de l’autorité de l’Etat, le triomphe de l’individualisme ou du consumérisme. Je ne suis pas de ceux qui se contentent d’avoir des regrets. La société française a évolué.
Il faut en prendre acte et protéger les agents de l’Etat. C’est le sens de ma démarche aujourd’hui.

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La sécurité des agents du Ministère de la Justice est une préoccupation ancienne du fait de la fragilité des publics que nous accueillons. Ainsi, la sécurité des établissements pénitentiaires a été considérablement renforcée, notamment depuis 2002. Nous avons maintenant le devoir de renforcer la protection des magistrats, fonctionnaires, agents travaillant en juridiction ainsi que les justiciables et fonctionnaires de justice.

Je sais que, dans leurs fonctions, il leur arrive d’être exposé. Nous avons, en particulier, tous en mémoire l’intolérable agression d’une fonctionnaire de justice en septembre 2005.

Dès que j’ai été informé de ces faits, je me suis rendu à Rouen ce qui m’a permis de manifester mon soutien et mon indignation aux magistrats et fonctionnaires du tribunal.

Surtout, cette affaire m’a définitivement convaincu, s’il en était besoin, qu’il est nécessaire d’améliorer très sensiblement la sûreté des juridictions. D’une part pour protéger l’intégrité physique des agents qui ne saurait être atteinte sur leur lieu de travail. D’autre part, afin d’assurer la continuité du service public de la Justice et garantir la sérénité de la décision des magistrats.

Toute violence au sein d’un tribunal est inacceptable. Il faut s’organiser pour la prévenir, ou l’arrêter le plus rapidement possible. Ses auteurs doivent être fermement sanctionnés.

Pour cela, j’ai décidé de mobiliser des moyens conséquents.

J’ai obtenu, en fin d’année dernière, du ministère du budget le déblocage d’une somme de 2 millions et demi d’euros. J’ai également obtenu 2,1 millions d’euros supplémentaires pour l’année 2006.

Par conséquent, le budget consacré à la sûreté des juridictions a quasiment doublé en deux ans. En 2004, le budget sécurité s’élevait à 8,5 millions d’euros. L’an dernier, celui-ci a été porté à 12,2 millions d’euros. En 2006, il sera de l’ordre de 16 millions.

J’ai alors demandé aux chefs de cours de me proposer les solutions techniques les plus adaptées permettant de mieux garantir la sécurité des personnels. Je leur ai recommandé que ces propositions de travaux soient élaborées dans la concertation la plus large, notamment avec les organisations syndicales.

Après évaluation des besoins de sûreté des juridictions, une programmation nationale et régionale de mise en conformité des équipements nécessaires a été élaborée.

J’ai également veillé à ce que les travaux de réhabilitation ou de construction des nouveaux palais de Justice, comme à Pontoise ou à Angers, prennent rigoureusement en compte la sécurité des personnels.

Ce travail d’évaluation a également été un travail de recensement. Il faut, en effet, que l’on sache de quoi on parle. Des correspondants sûreté ont été nommés dans chaque juridiction et une cellule spécialisée sur la sûreté a été créée à l’administration centrale, au sein de la direction des services judiciaires.

Il apparaît ainsi que 216 incidents dans les juridictions ont été signalés à l’administration centrale l’an dernier. La majorité des incidents sont des insultes, des altercations ou des dégradations. 10% d’entre eux étaient des faits de violences, dont 4 ont entraîné un arrêt de travail. C’est peu, mais c’est déjà beaucoup trop.

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L’existence de faits de violence, certes en nombre réduit, mais récurrents, implique une politique globale de sûreté des juridictions. C’est pourquoi la rénovation des bâtiments ne suffira pas. Il nous faut également recourir à des personnels de sécurité.

Ainsi j’ai demandé au ministre de l’Intérieur d’avoir recours aux policiers retraités de la réserve civile.

J’ai également voulu mobiliser les agents retraités de l’administration pénitentiaire.

Une expérimentation a alors été lancée au mois de décembre dernier sur trois sites. Le Palais de Justice de Rouen, ainsi que l’annexe du Tribunal de Grande Instance de Rouen, le Tribunal d’Instance de Toulouse et enfin les palais Verdun et Monclar d’Aix-en-Provence ont fait l’objet d’une surveillance générale.

En complément des services de police et, dans certains cas, des vigiles de sociétés privées, des agents réservistes de la police nationale et de l’administration pénitentiaire ont été recrutés. Ils sont chargés d’effectuer des rondes régulières au sein des locaux, tout particulièrement dans les zones identifiées comme sensibles telle que l’instruction, le parquet ou la salle des pas perdus. Ils contrôlent l’accès des sites pendant les heures d’ouverture des bâtiments au public. Ils interviennent en cas d’incidents.

En deux mois, nous avons eu le temps d’évaluer ce dispositif. Quels en sont les enseignements ?

Le plus important à signaler est que la confiance des magistrats et fonctionnaires de justice est revenue, notamment à Rouen. La présence des nouveaux agents de sécurité s’est avérée également très rassurante pour chacun des auxiliaires de justice et des usagers.

Ensuite, le renforcement de la sécurité s’est montré dissuasif et a permis de prévenir des incidents qui auraient pu être plus graves. C’est pour cela que les agents ont été très bien accueillis par tous. Mais ils l’ont aussi été parce qu’ils ont su faire preuve d’un grand professionnalisme et d’une maîtrise des situations difficiles conjuguant rigueur et courtoisie.

Je ne note également que la collaboration entre les agents retraités de la police nationale et de l’administration pénitentiaire a été efficace.

J’ai évoqué ce bilan avec les organisations syndicales représentatives ce matin. Je leur ai présenté le plan de renforcement de la sûreté des juridictions.

J’ai donc décidé d’étendre ce dispositif.

Il sera prochainement mis en place dans les points les plus sensibles et en particulier dans les Juridictions Interrégionales Spécialisées.

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Je voudrais m’arrêter un moment sur le profil des agents de sécurité qui interviendront dans les juridictions. Ce sont des retraités de l’administration pénitentiaire. Je vous rappelle que les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire prennent leur retraite à un âge moyen de 53 ans. Ils sont alors encore jeunes, souvent très motivés pour continuer à exercer une activité professionnelle et particulièrement bien formés pour exercer ce type de missions. Nous n’avons sollicité que des volontaires et je peux vous assurer que j’ai été surpris par le nombre très important de ceux qui ont répondu à l’appel.

J’y vois évidemment une marque supplémentaire de la très grande conscience professionnelle, du sérieux et du dévouement des fonctionnaires pénitentiaires qui représentent la troisième force de sécurité publique de la nation.

J’y vois aussi un sujet de réflexion plus vaste pour chacun d’entre nous. Devons-nous nous priver des compétences et des talents des jeunes retraités ? Je ne le crois pas. Le premier ministre a annoncé, il y a quelques semaines, un plan de soutien à l’activité des seniors, levant en partie les obstacles au cumul emploi retraite. C’est la bonne direction et l’administration doit s’engager dans ce sens.

C’est pourquoi j’ai décidé la création d’une réserve pénitentiaire.

Tous les agents retraités de cette administration qui le souhaiteront pourront en faire partie. Ils seront alors affectés en fonction des besoins dans les juridictions et sites du ministère de la Justice. Ils seront dotés, comme à Aix-en-Provence, d’un uniforme qui est en cours de réalisation.

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La sécurisation des juridictions est une de mes priorités. Comme vous le voyez, elle s’appuie sur des moyens budgétaires supplémentaires et sur des solutions innovantes.

Mais cette action ne s’arrête pas là. Elle s’accompagne de formations à l’attention des personnels concernés et de dispositifs de soutien aux victimes. Les médecins de prévention sont, en ce domaine, sollicités pour les organiser et les mettre en pratique.

L’ensemble du Ministère de la Justice est mobilisé pour assurer la sûreté de ses personnels. Je remercie également le Ministère de l’Intérieur qui a fait preuve d’une très grande compréhension et s’est montré disponible pour assurer l’efficacité du travail en commun entre la police et la Justice.

Nous mettrons tout en œuvre pour éviter de nouvelles tragédies.

Je vous remercie de votre attention.